Jusqu’au 29 septembre, la Maison européenne de la Photographie laisse carte blanche à Thomas Mailaender. Un pari réussi pour l’artiste visuel qui imagine un parcours immersif où les images forment de drôles d’installations.
Comment rejouer les codes de la photographie ? Quelles sont les différentes manières de faire vivre une image ? Peut-on leur donner une seconde vie ? Insuffler une dimension artistique à des clichés jugés « pauvres », ou du moins « ordinaires » ? Dans quelle mesure est-on propriétaire d’une photo que l’on n’a pas réalisée ? Autant de questions que se pose Thomas Mailaender. Avec sa carte blanche intitulée Les Belles Images, ce dernier investit les deux étages de la Maison européenne de la Photographie – et même certains espaces inédits – avec une créativité ludique certaine. Véritable collectionneur d’archives visuelles, l’artiste rend hommage, donne à voir, transforme et se réapproprie inlassablement ses trouvailles à la manière d’un génie fou en recherche constante de l’inattendu.
Une voile de bateau imprimée, déployée dans le jardin de la MEP, des stickers collés sur les vitres, une cabane de chasse mise au point par un fabricant de chars de guerre, une chambre noire installée pour l’occasion, un sens de la visite inversé… Multipliant les installations et décisions farfelues, l’auteur entend « questionner son regard sur la culture de la photographie et de l’image », comme le souligne Simon Baker, directeur de la MEP et commissaire de l’exposition. « Thomas fait très peu de photos lui-même, poursuit-il. Il travaille presque toujours à partir de choses trouvées, et entend comprendre comment trouver des manières différentes de faire vivre ces images qu’on ne remarque pas. » Des protocoles aux archives, des reliques venues de la presse aux retoucheurs anonymes, l’artiste se fait l’archéologue subversif d’une banque de données ayant fait sa place dans notre imaginaire collectif. Puisant dans ces ressources (presque) inépuisables, il nous invite, à travers cette carte blanche, à poser un œil nouveau sur ces assemblages d’images « déjà vues ».
Des histoires drôles et universelles
Imaginez un performeur mangeant une photographie, un sédentaire qui s’ennuie et se rêve en expédition près de volcans en éruption, un futur père de famille angoissé par l’arrivée imminente de sa paternité qui part en escapade « entre mecs » pour se rassurer, un chanceux ne cessant de gagner des chèques lors de loteries et autres événements caritatifs, un mari qui tâche de réparer continuellement sa photo de mariage que sa femme s’acharne à déchirer aux mêmes endroits à chaque dispute. Ce sont des récits que Thomas Mailaender tisse à travers ses réappropriations d’archives. Des histoires drôles, touchantes, universelles qui, toutes, nous invitent à reconsidérer notre rapport à ce que nous voyons. Dans Extreme Retouch, l’artiste ne cesse de donner à retoucher à un expert un portrait de mariés, devenant de plus en plus méconnaissable à mesure que les logiciels « imaginent » les traits des visages. À travers Les Belles Images – la série donnant son nom à la rétrospective – il fige dans des cadres colorés des photos de presse tirées des « rubriques des chiens écrasés », cachant le fait divers à l’arrière du visuel. Pour Extreme Tourism, il fait appel à un site : volcanofantasy.com, « qui proposait, via PayPal, de vous mettre en scène dans des paysages volcaniques pour quelques dollars ». « J’aimais beaucoup l’idée de ne pas “avoir à faire le travail”, interroger qui est l’auteur de ces images », précise-t-il. À travers Fail Anthology, ce sont des centaines de tirages qu’il catégorise en dix thématiques – parmi elle, « Party animal », « Parental Advisory », « Name dropping » ou « Toilet fail ». Autant d’invitation à une sortie de piste, loin des carcans de la monstration habituelle du 8e art.
La magie opère
Car Thomas Mailander ne se contente pas de fouiller les banques de données. Des résines à l’émail – « seule manière pérenne de reproduire la photographie », commente-t-il – en passant par des plaques de placoplâtre, des vers à farine mangeurs de livres, ou même de la peau humaine, il hisse le médium au rang d’art plastique, plaçant l’image dans des créations en trois dimensions, la rendant palpable, remarquable, au cœur de la sursaturation visuelle contemporaine. Alors, la magie opère. Rivalisant d’inventivité – grâce à un parcours ambitieux imaginé avec Simon Baker – l’artiste parvient à transformer les images « vulgaires » en artefacts précieux, en installation immersive d’où émane même, parfois, la beauté. En témoigne l’incroyable Chemical Room. Une chambre noire imaginée « en premier essai » dans l’une des salles de la MEP. « On a appliqué une solution gélatino-argentique sur les murs, installé des calques faisant office de négatif, allumé la lumière une seconde pour révéler. On a ensuite pris des pulvérisateurs de jardin et passé les trois bains pour fixer les images », explique-t-il. Dans des lueurs rouges, le rendu est vaporeux, les visuels semblent presque s’échapper de la pièce, comme un demi-rêve, fait d’images que nos imaginaires partagent et parfumé des odeurs d’un laboratoire photo. Une expérience d’où on sort songeur·ses, surpris·es d’être ému·es par un banal magnifié.