Tobias Nicolai The Ritual – Peints d’épices

08 juin 2023   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Tobias Nicolai The Ritual – Peints d’épices

Dans The Ritual, Tobias Nicolai révèle une drôle de coutume danoise consistant à asperger de cannelle les célibataires à leurs 25 ans. Une série épicée, à l’épaisseur artistique quasi picturale. Cet article est à redécouvrir dans notre dernier Fisheye.

Les poings liés derrière un poteau, le visage protégé par un masque… Les mystérieux personnages de Tobias Nicolai semblent se battre pour survivre dans un territoire en guerre, où les détails des paysages se confondent dans la poudre cuivrée qui les recouvre. Les corps disparaissent derrière une étrange mixture aux tons sombres, les vêtements se tachent d’ombres marron, les masques chirurgicaux se froissent et se camouflent, effacés par ces nuages sableux. Le monde tel que nous le connaissons a disparu, remplacé par un décor postapocalyptique digne de Mad Max… Pourtant il n’en est rien. À travers The Ritual, le photojournaliste danois Tobias Nicolai illustre une curieuse tradition venue du nord de son pays natal. « Il s’agit d’une coutume culturelle. Lorsqu’elles atteignent 25 ans, les personnes non mariées sont saupoudrées de cannelle par leurs proches. Si on parle peu de ce rite dans les livres d’histoire, mes recherches m’ont appris qu’il datait des années 1960, à une époque où les gens se mariaient plus tôt qu’aujourd’hui », explique l’auteur de la série.

Diplômé de l’École danoise de média et journalisme (DMJX), le photographe se passionne pour les narrations inspirées par le réel, par les détails et les esthétiques que nous pensons connaître. « J’aime capturer mon environnement tout en déconstruisant nos perceptions et nos attentes pour souligner la dimension extraordinaire de l’ordinaire », ajoute-t-il. Un soir, alors qu’il rentre tard, Tobias Nicolai surprend un groupe de jeunes versant la cannelle sur un de leurs amis. Un événement qui le pousse à réaliser The Ritual. Déjà familier avec la tradition, il réalise, en publiant son projet dans le magazine danois Information, que beaucoup d’habitant·es du pays ne connaissaient pas cet étrange bizutage. « Je pense qu’il est très important de documenter ces aspects de notre culture qui sont ancrés dans certaines régions et paraissent exotiques pour d’autres. Ça nous aide à comprendre ce que signifie être danois, à mieux nous comprendre », déclare l’auteur. Et si la pratique peut sembler barbare à celles et ceux qui n’y sont pas habitué·es, elle est en vérité synonyme de célébration : une simple farce que l’on fait à nos proches. « Ces dernières années, des entrepreneur·ses ont même créé des entreprises fournisseuses de cannelle lors de ces événements », précise Tobias Nicolai.

Et pour honorer la dimension festive du rituel, le photographe joue, lui aussi, avec les émotions du public, brouillant volontairement sa perception d’un nuage poudreux aux reflets dorés. « On a l’impression que je capture des scènes de torture ou de punition. Cette ambiguïté m’intéresse particulièrement. Je n’aime pas que les regardeur·ses aient toutes les clés en main. Le doute captive, c’est pourquoi ces images sont intéressantes à observer », confie-t-il. Cadrages serrés, flashs violents, clairs-obscurs dramatiques… brouillant les pistes, The Ritual nous transporte en pleine action, parmi les odeurs d’épices et les rires des jeunes, dans une lutte aux péripéties fantasmées. Une manière originale d’illustrer le rite tout en invoquant l’attention des non-initié·es.

© Tobias Nicolai© Tobias Nicolai
© Tobias Nicolai© Tobias Nicolai
© Tobias Nicolai© Tobias Nicolai
© Tobias Nicolai© Tobias Nicolai
© Tobias Nicolai© Tobias Nicolai

© Tobias Nicolai

Explorez
Une danse entre la vie et la mort capturée par Oan Kim
Le coup de grâce lors d'une corrida à Madrid © Oan Kim/MYOP
Une danse entre la vie et la mort capturée par Oan Kim
À travers un noir et blanc contrasté, qui rappelle la chaleur sèche de l'Andalousie, Oan Kim, cofondateur de l'agence MYOP, montre...
27 octobre 2025   •  
Écrit par Milena III
Kiko et Mar : voyage dans les subcultures de Chine
If you want to come and see me, just let me know © Kiko et Mar
Kiko et Mar : voyage dans les subcultures de Chine
Fruit d’une résidence d’artiste en Chine, la série If you want to come and see me, just let me know, réalisée par le couple de...
24 octobre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
MP#06 : un mentorat pour accompagner la singularité
© Jennifer Carlos
MP#06 : un mentorat pour accompagner la singularité
Chaque année, le Fonds Régnier pour la Création et l’Agence VU’ unissent leurs forces pour donner naissance à un espace rare dans le...
22 octobre 2025   •  
Écrit par Costanza Spina
Maryam Firuzi : broder la mémoire, photographier la révolte
© Maryam Firuzi
Maryam Firuzi : broder la mémoire, photographier la révolte
Photographe et artiste iranienne, Maryam Firuzi explore la mémoire collective et les silences imposés aux femmes à travers une œuvre où...
18 octobre 2025   •  
Écrit par Costanza Spina
Nos derniers articles
Voir tous les articles
5 questions à Charlotte Abramow : le souvenir de Maurice
© Charlotte Abramow
5 questions à Charlotte Abramow : le souvenir de Maurice
Sept ans après la publication de son ouvrage Maurice, tristesse et rigolade, Charlotte Abramow rouvre les pages de l’histoire de son...
03 novembre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Les coups de cœur #564 : Lycien-David Cséry et Ana da Silva
© Ana da Silva
Les coups de cœur #564 : Lycien-David Cséry et Ana da Silva
Lycien-David Cséry et Ana da Silva, nos coups de cœur de la semaine, prêtent attention aux détails. Le premier observe les objets et les...
03 novembre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Les images de la semaine du 27 octobre 2025 : communautés et rétrospectives
Jennifer et Saba, de la série We're Just Trying to Learn How to Love © Hamza Ashraf
Les images de la semaine du 27 octobre 2025 : communautés et rétrospectives
C’est l’heure du récap ! Cette semaine, nous vous parlons de différentes communautés, de sentiments amoureux et de rétrospectives...
02 novembre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Elise Jaunet : quand l’intime devient manifeste
© Elise Jaunet
Elise Jaunet : quand l’intime devient manifeste
À travers sa série Faire corps – Journal d’une métamorphose, l’artiste nantaise Elise Jaunet explore la traversée du cancer du...
01 novembre 2025   •  
Écrit par Cassandre Thomas