Du 14 juin au 8 septembre, Vichy accueille le Festival Portrait(s). Dix expositions prennent place au cœur de la ville, illustrant la diversité de la figure humaine.
C’est sous une pluie battante, dans la grande salle du Centre Culturel de Vichy que le vernissage de la septième édition du festival Portrait(s) débute. Le public venu nombreux découvre les séries de Bastiaan Woudt, Tish Murtha, Benni Valsson, Michal Chelbin, Turkina Faso, Peter Hugo et l’incroyable exposition autour du selfie, organisée par Olivier Culmann. D’accrochage en accrochage, les portraits se suivent et immergent le spectateur dans un univers bien particulier. C’est là toute l’ambition de Portrait(s). « L’événement présente une photographie affirmée, émergente, plasticienne ou documentaire. Son objectif ? Représenter la diversité de la figure humaine », explique Fany Dupêchez, directrice artistique du festival.
Les plus courageux ont ensuite bravé l’averse afin d’explorer les installations érigées dans la ville. Le photographe Ambroise Tézenas a signé la sixième résidence photographique de Portrait(s), capturant la ville avec une théâtralité saisissante. Ses grands formats habillent le parvis de l’église Saint-Louis. Enfin, sur l’esplanade du Lac d’Allier, les clichés mythiques de Philippe Halsman – de Dalí à Marylin Monroe, en passant par Brigitte Bardot – offrent une promenade photographique qui saura plaire au grand public. Une programmation bien pensée, faisant dialoguer des artistes émergents avec les grands noms du 8e art.
Tableaux d’émotions
Regroupant les œuvres de cinq photographes, la salle principale se partage en tableaux d’émotions, représentant chacun d’une manière différente la complexité de l’être humain. Parmi cette mosaïque d’images, les portraits de Turkina Faso se distinguent par leur délicatesse. La jeune photographe russe, installée à Londres, capture depuis dix ans sa sœur, restée dans leur pays natal. Entre mode et symbolisme, la grâce d’Alice, la modèle, transcende les notions d’enfance et de nostalgie.
Dans un monochrome contrasté, les portraits du néerlandais Bastiaan Woudt semblent quant à eux briller d’un éclat profond. Fruits d’une commande de la fondation Marie-Stella-Maris, les clichés subliment la beauté grave des modèles africains. « Je suis resté seulement trois jours sur place. La fondation espérait obtenir quatre ou cinq images, finalement, j’en ai réalisé plus de 100 », explique le photographe. Un projet d’une grande intensité.
Au centre de la salle trônent les photographies de l’Israélienne Michal Chelbin. L’artiste s’est rendue en Ukraine, pour documenter la vie dans les pensionnats militaires du pays. Si ces instituts se sont progressivement dégradés durant la deuxième moitié du XXe siècle, la politique de Vladimir Poutine, ces dernières années, leur a redonné leur prestance d’antan. Une éducation encourageant le développement d’une élite genrée et archaïque. Les petites filles posent en tenue de mariées ou de soubrettes, tandis que les garçons sont habillés comme des militaires. Une dichotomie frappante, contrastant avec les regards encore innocents des jeunes modèles. Un travail poignant.
© Turkina Faso
Un contrepied au portrait
Mais rapidement, le public se dirige vers la salle voisine, intrigué par l’exposition Selfie égo / égaux. Un contrepied amusant au portrait, puisque l’accrochage ne contient que des photographies venues des réseaux sociaux. « Le selfie est un simple moyen de communication, un échange. Il ne possède pas de visée esthétique », rappelle Olivier Culmann, commissaire de l’exposition. Ces autoportraits étonnants – dont le tout premier a été envoyé par un jeune homme australien en 2002, à la suite d’une blessure à la bouche – font désormais partie de notre quotidien.
Fasciné par ce phénomène, le commissaire s’est plongé dans les méandres d’Instagram, et a sélectionné 22 « modes » de selfie. « Nous sommes allés du plus évident au plus spécifique, en gardant à l’esprit la notion de performance : ces images témoignent d’une volonté d’être vus, likés, remarqués », précise-t-il. Parmi ces chapitres se trouvent les selfies « classiques », pris dans des lieux touristiques, mais également des trouvailles plus loufoques, notamment les #olympics, consistant à se prendre en photo face au miroir de sa salle de bain dans une position absurde et exigeante physiquement. Si certains détournent le selfie pour se moquer de notre addiction aux smartphones – comme ces hommes qui pratiquent le nutscape, un procédé consistant à photographier leurs testicules devant un paysage sublime – d’autres le transforment en outil engagé. C’est le cas de Noa Jamsa, étudiante néerlandaise créatrice du hashtag #DearCatCallers, qui s’est prise en photo aux côtés de harceleurs de rue durant un mois. Des selfies, accompagnés des interpellations des coupables, aussi originaux que glaçants.
Cruels, étranges ou même sexuels, les selfies peuplent la toile et évoluent sans cesse. « Ils suscitent des interrogations : peut-on signer un selfie ? Revendiquer une certaine mode ? » se questionne Olivier Culmann. En découvrant ces 22 chapitres, le public passe de la surprise à l’effroi, de la gêne au rire. Un aperçu cocasse de la société contemporaine.
Jusqu’au 8 septembre 2019
Ville de Vichy
Selfie égo / égaux © DR
© Michal Chelbin
© Ella Murtha
© à g. Ella Murtha, à d. Philippe Halsman / Magnum Photos
© Ambroise Tézenas
© Bastiaan Woudt, Courtesy Kahmann Gallery, Amsterdam & Jackson Fine Art, Atlanta
© Turkina Faso
Image d’ouverture : © Michal Chelbin