Lilou. Tel est le surnom d’Antoine, le frère autiste de Lucie Hodiesne. Lilou c’est aussi le titre d’une série poignante amorcée en 2018. Rencontre avec une photographe convaincue des bienfaits du 8e art.
Fisheye : Peux-tu te décrire en quelques mots ?
Lucie Hodiesne : Je suis une photographe française âgée de 24 ans. J’ai grandi dans l’univers photographique : mon père collectionnait des boîtiers argentiques et mon grand-père, admirait Robert Doisneau et Brassaï. Je suis actuellement en troisième année à l’école des Gobelins, en cursus photo et vidéo.
Je partage cette passion pour le 8e art avec mon père. Il a toujours voulu être photographe professionnel, et m’a donc encouragé lorsqu’il s’agissait de prendre la relève. J’ai également regardé beaucoup de films dans mon enfance (Hitchcock, Spielberg, Kubrick…) ce qui a certainement participé à ma culture visuelle. Le fait d’avoir grandi avec mon frère, Antoine, m’a permis de développer une fibre artistique, tout en me construisant.
Comment définirais-tu ton approche photographique ?
Mon approche photographique est avant tout humaniste. Je veux mettre en lumière ce qu’il y a de plus beau chez une personne, et capturer ce qu’elle dégage. La photographie est avant tout un moment d’échanges entre le sujet et l’artiste.
« Photographier, c’est mettre sur la même ligne de mire la tête, l’œil et le cœur. » Ces mots d’Henri Cartier-Bresson illustrent parfaitement ma conception du 8e art. Au-delà d’un langage, la photographie est une vocation. Et je crois que je ne pourrais plus vivre sans elle.
Qui est Lilou ?
Lilou est le surnom que l’on a donné à mon grand frère autiste Antoine, 31 ans. Il réside dans un foyer médicalisé en Normandie, où il est pris en charge. Comme l’héroïne de Luc Besson dans Le Cinquième élément, il est quelqu’un d’exceptionnel, vivant dans un univers différent du notre. J’ai grandi avec sa différence et son monde fait de silence. Antoine se fait comprendre grâce aux objets.
Quelle est la genèse de ce projet Lilou ?
En première année à l’école des Gobelins, des intervenants nous ont demandé de réaliser un récit narratif en 36 poses. Je n’ai eu aucun doute. Instinctivement, je voulais parler de mon frère, de son histoire, et de ses rituels dans le temps et dans l’espace. Je souhaitais le mettre en lumière, le montrer tel qu’il est vraiment. Je voulais aussi donner quelques clefs pour comprendre l’autisme, notamment en me focalisant sur son moyen d’expression. Antoine ayant développé un langage non verbal, les images constituent une base fondamentale.
Dans le cadre de ce travail, le noir et blanc apporte de l’intemporalité, et de l’intensité.
Comment procèdes-tu avec ton frère ?
Tout se déroule instinctivement avec Antoine. On connait mutuellement notre mode de fonctionnement et notre langage. Nous fonctionnons comme un duo, et non avons construit le projet ensemble.
Par exemple, lorsqu’ Antoine a la tête cachée entre ses mains, je n’insiste pas et je reviens plus tard. Et parfois, je vois très bien qu’il veut prendre la pose, et jouer avec l’appareil photo. Je rentre alors dans son jeu. C’est lui qui donne la cadence, le tempo.
Qu’est-ce que tes photos ne montrent pas de ton frère ?
Mes photos ne dévoilent pas les aspects violents de l’autisme. Lorsque j’étais petite, il arrivait à mon frère de communiquer uniquement par la violence, en se tapant et en s’agrippant… Il ne savait pas comment gérer les émotions, les surcharges sensorielles, c’était très dur pour lui… maintenant c’est moins conflictuel.
Je voulais éviter de tomber dans le pathos. Je ne souhaitais pas montrer l’autisme sous un angle dur. Je préférais quelque chose de plus doux et onirique – tout en restant fidèle au quotidien et aux ressentis d’Antoine.
Comment ton frère a reçu le projet ? Et ta famille ?
Mon frère s’est servi de ce langage photographique pour transmettre ce qu’il avait envie de dire. Lorsque la série s’est concrétisée, il donnait l’impression d’être plus serein. Enfin, il avait été entendu et mis en lumière, tel qu’il était.
Pour notre famille, Lilou est une source de fierté, autant qu’une victoire. On a réussi cela ensemble.
Qu’as-tu appris en réalisant ce projet ?
En réalisant Lilou, j’ai appris qu’il était réellement possible de transformer ses faiblesses en forces. Vivre avec la maladie d’Antoine représente un vrai combat. Pour ma famille comme pour moi, et surtout pour mon frère. Il était compliqué de gérer le regard des autres. Pendant très longtemps, j’ai manqué cruellement de confiance en moi. Aujourd’hui, je constate le chemin parcouru !
Au-delà de ce projet, Antoine nous a appris énormément de choses : apprécier les petites choses simples de la vie, relativiser plus facilement, et être plus tolérant et altruiste.
Le projet Lilou est –il terminé ?
Non, le projet est toujours en cours. Suite à la première exposition réalisée avec la Fondation Marcel Bleustein-Blanchet, j’ai pris conscience qu’il fallait que j’aille plus loin. Aujourd’hui, j’aimerais concevoir un livre, tout en continuant à réaliser des expositions en parallèle, mélangeant différents supports scénographiques afin le spectateur puisse être en complète immersion.
Aussi, je souhaite intégrer la vision du monde d’Antoine dans mes images de son quotidien.
Est-ce que ce projet a fait évoluer ta pratique photographique ?
Je dirais que ce projet a changé ma façon de mettre en scène mes images. Désormais, j’ai recours à différents supports pour exprimer une idée, tant sur le plan scénographique, que narratif.
Si la prise de vue demeure instinctive, je vais être beaucoup plus réfléchie sur le sens d’une série et sa construction.
As-tu une image préférée que tu souhaiterais commenter ?
Cette image d’Antoine à Deauville est l’une de mes préférées. Il y a deux ans, nous étions en train de nous promener sur la plage, parmi les images de Peter Lindbergh – à l’occasion de la 8e édition du festival photo Planches Contact. C’était la première fois que j’utilisais un appareil photo argentique. Instinctivement, Antoine s’est positionné devant une photo. Comme s’il était partie prenante de la prise de vue de Peter Lindbergh, comme s’il était un de ses modèles… cela m’a impressionné.
Trois mots pour finir ?
Amour, fraternité et humanisme.
© Lucie Hodiesne