L’exposition Ubusukunemini (Day and Night), présentée dans le cadre du festival PhotoSaintGermain, fait dialoguer les travaux des photographes sud-africain·es, Tshepiso Mazibuko et Sibusiso Bheka, au regard de l’actualité. Les artistes bénéficient du programme artistique et social mené par Rubis Mécénat à Johannesburg à l’occasion des 30 ans (1994-2024) de la démocratie.
Les photographes Tshepiso Mazibuko et Sibusiso Bheka font partie de la génération dite « born free » (née libre), désignant la génération noire née après les premières élections démocratiques non-raciales en 1994, qui n’a jamais connu l’apartheid. Bénéficiaires du programme Of Soul and Joy depuis 2012, iels mènent une réflexion sur l’actualité de l’Afrique du Sud et sur la tentative de bâtir une société plus égalitaire. Ubusukunemini (Day and Night) est une invitation de Tshepiso Mazibuko adressée à Sibusiso Bheka pour tisser ensemble une vision du township ghetto noir à la périphérie des grandes villes d’Afrique du Sud pendant l’apartheid de Thokoza (Johannesbourg) aujourd’hui. Les deux ont fait l’expérience d’être des « born free » et s’interrogent sur la signification même de cette désignation. Par leurs œuvres, iels tirent un portrait intimiste de la communauté du township en sillonnant son présent, son histoire et sa mémoire.
Entre espoir et désillusion
« Tshepiso Mazibuko et Sibusiso Bheka sont les sismographes sensibles du pouls de la jeune démocratie sud-africaine. À trente ans – entre espoir et désillusion – toustes deux questionnent en profondeur la signification même de born free » écrit Jabulani Dhlamini, photographe sud-africain et chef de projet d’Of Soul and Joy. Ensemble, iel racontent la mémoire de Thokoza, situé dans la région du Gauteng en Afrique du Sud, un lieu qui possède une histoire riche et complexe qui s’étend sur plus de six décennies.
Fondé en 1955, Thokoza a été le premier township noir du sud de Johannesburg, créé pour accueillir la population noire d’Alberton déplacée de force pour faire place à l’exploitation des mines d’or par les colons. En zoulou, « thokoza » veut dire « lieu de paix », une appellation qui apparaît contradictoire lorsqu’on connaît le vécu de cet ancien ghetto noir. « L’histoire de Thokoza est complexe et protéiforme, marquée à la fois par la lutte et la résilience, explique Jabulani Dhlamini. Malgré les défis auxquels il a été confronté, le township demeure une communauté dynamique et prospère, qui témoigne du pouvoir de l’espoir et de la volonté. » Dans leur travail, les deux photographes racontent le sentiment contradictoire qu’iels ressentent et le regard critique qu’iels posent sur les récits d’émancipation. Deux sensibilités racontent le même lieu, à travers des couleurs contrastées, nous convoquant la nuit comme le jour. C’est un espace de poésie comme d’hallucination. Avec une poignante ironie, les « born free » semblent vivre dans un immobilisme urbain d’avant, qui suggère un temps jamais vraiment révolu. Né·es libres, mais toujours coincé·es dans la contrainte d’un urbanisme du passé. La promiscuité, la violence, l’inégalité persistante, les remplit d’une désillusion venue remplacer l’espoir de leur génération.