L’artiste et universitaire Christine Delory-Momberger propose avec son ouvrage hybride En s’enfonçant dans la forêt, un double dialogue entre les mots et les images, et entre le visible et l’invisible. Immersion dans son espace de création où les fantômes s’invitent en guide dans la recomposition de sa mémoire.
« Exils / Réminiscences a ouvert une faille. Quelque chose m’appelait… » C’est en ces mots que Christine Delory-Momberger me présente son dernier projet En s’enfonçant dans la forêt. En évoquant une de ses précédentes créations. Un ouvrage triptyque qui avait fait croiser nos chemins trois ans plus tôt. Si je commence à connaître son travail et ses obsessions, je sais aussi que chacun de nos échanges est substantiel et plein de surprises. Dévoilement et émotion ce soir-là. « La forêt m’attire, et quand je m’y trouve, j’ai peur. Elle me fascine et me terrifie à la fois », poursuit celle qui n’a pourtant jamais photographié ce lieu métaphorique. Quand on s’enfonce dans les créations de la photographe, essayiste et universitaire dans le domaine de la recherche biographique, on ne sait jamais trop ce que l’on va croiser. Ici, un regard poignant, là, une figure fuyante. Un enfant, une vieille femme. Apparitions, disparitions. Archives familiales, et tirages d’inconnus chinés se font face et dialoguent dans le monde étrange de l’artiste. Comme toujours, elle cherche, elle fouille dans son passé qui l’obsède. « Il s’agit encore d’une enquête intérieure, avec des images qui ne sont pas faciles, me confirme-t-elle. Lorsque je travaillais sur Exils / Réminiscences, je n’avais aucun souvenir. Ce n’est qu’une fois le projet terminé que j’ai entamé mes recherches. » Les découvertes s’enchaînent alors : un accouchement en pleine forêt, et des histoires d’exils. Dans cette enquête apparaît sa fille et leurs biographies se mêlent alors, franco-germano-polonaise pour la jeune femme, et franco-italienne-allemande pour l’auteure. « Pendant l’occupation, sa grand-mère paternelle, installée en Haute Silésie – une partie de la Pologne annexée par les Allemands lors de la Seconde Guerre mondiale – a dû changer de nom de famille et fuir en Allemagne de l’Ouest », confie-t-elle. Dans ce récit qui mêle la petite à la grande histoire, impossible de dissocier le mouvement de l’identité. Tout s’agrège dans une mystérieuse cohérence. Et soudainement, on se réconcilie avec nos ancêtres silencieux.
« Des souvenirs
Je n’ai que ceux que je crois avoir qui viennent »
On ne transmet que ce qu’on invente
Chrisitine Delory-Momberger peine à « se situer dans le déjà fait », cela, je le sais, et j’en ai encore une sublime preuve entre les mains. Avec En s’enfonçant dans la forêt, elle innove. Elle a imaginé deux livres en un, ou autrement dit, cet objet pouvant se lire, se regarder dans les deux sens se compose de deux livres. L’un rassemble des images et l’autre des textes. Qu’il s’agisse de prose ou de poésie, c’est la photographie qui déclenche l’acte de création chez l’auteure. Et l’ensemble force la pause, la contemplation. En parcourant cet ouvrage atypique, les mots du photographe Patrick Zachmann nous viennent : « J’ai essayé de remplacer les silences et les non-dits par les images », expliquait l’artiste à l’occasion de son exposition présentée au musée d’Art et d’Histoire du judaïsme. Ici, la « photographie agissante » trouve sa puissance dans l’écriture. « Toute tentative de mémoire est vaine : on ne transmet que ce qu’on invente », affirme Chrisitine Delory-Momberger. En atteignant ce point d’équilibre dans sa création, l’artiste réussit alors à recomposer des souvenirs, et in fine alimenter sa mémoire. Plus qu’un hommage, ce travail est une trace, une véritable transmission. Et dans cette opération, les fantômes sont de fidèles alliés. Ce sont eux qui font le lien entre le visible et l’invisible, et ce sont eux qui la guident dans la forêt obscure…
Les tirages de Christine Delory-Momberger sont exposés jusqu’au 22 mai, à PhotoDoc. À cette occasion, Christine Delory-Momberger participera à deux tables rondes.
En s’enfonçant dans la forêt, éditions arnaud bizalion éditeur, 22 €, 80 p.
© Christine Delory-Momberger