Unretouched women, femmes à l’œuvre, femmes à l’épreuve fait dialoguer les œuvres de trois femmes photographes. Conçus par Clara Bouveresse, l’ouvrage et l’exposition aux Rencontres d’Arles présentent une figure féminine forte et complexe, loin des clichés d’une société genrée.
Milieu des années 1970 aux États-Unis. Le féminisme est en pleine effervescence et les mœurs se libèrent. Trois photographes américaines, membres de Magnum Photos publient chacune un ouvrage – Growing up Female, pour Abigail Heyman, The Unretouched Woman pour Eve Arnold, et Susan Meiselas signe quant à elle Carnival Strippers. Trois livres singuliers, mettant l’accent sur une narration complexe et une approche résolument féministe. « Chacune des photographes imagine une mise en scène élaborée pour construire un récit visuel où mots et images sont étroitement mêlés. Leurs textes retentissent comme autant de voix singulières, des témoignages retranscrits par Susan Meiselas aux récits à la première personne d’Eve Arnold et Abigail Heyman », précise Clara Bouveresse, commissaire de l’exposition Unretouched Women, aux Rencontres d’Arles et auteure de l’ouvrage.
Chaque chapitre de Unretouched Women, Femmes à l’œuvre, femmes à l’épreuve mêle les œuvres des trois photographes. Une écriture à six mains donnant à voir la complexité des thèmes abordés. « Maquillage et mise en scène », « les conventions sociales démasquées » ou encore « femmes à l’œuvre », chaque partie présente la femme sous un nouvel angle, mettant en évidence l’importance de l’apparence, ou encore les talents des femmes, mis à mal par des rôles sociaux trop figés. Un dialogue dynamique entre ces photographes engagées.
Abigail Heyman, Supermarché, 1971 © Abigail Heyman
Une femme forte et complexe
« Comment se transmettent, se transforment et s’incarnent les normes et les stéréotypes changeants qui définissent le féminin ? Comment dénoncer les carcans entravant les femmes tout en proposant des voies alternatives ? Comment exposer les rouages de la discrimination sans verser dans le fatalisme ? Comment trouver sa place lorsque l’on est une femme sans se voir enfermée dans un rôle genré ? »
s’interroge Clara Bouveresse. En réalisant des clichés personnels, accompagnés d’extraits de journaux intimes, Abigail Heyman s’interroge sur la nature de la femme, sur sa force et sa beauté. En 1972, elle photographie son propre avortement, en capturant ses jambes violemment écartées sous l’œil du médecin. Une image poignante, montrant sans artifice les souffrances subies par le corps féminin.
Eve Arnold représente, quant à elle, les femmes en refusant toute retouche et mises en scène. En photographiant anonymes et célébrités au naturel, elle mène un combat contre les carcans de beauté exigés par la société. Parmi ses images, des clichés saisissants de l’actrice Joan Crawford, le visage couvert de bandage, donne à voir les rituels fastidieux auxquelles se soumettent les femmes.
C’est dans l’atmosphère pesante des cabarets forains que Susan Meiselas s’immisce. Le boîtier à la main, elle découvre le quotidien des strip-teaseuses. Entre ennui, violence, tristesse et sexualité, les témoignages de ces femmes complètent les images crues de l’artiste. Un ensemble aussi tragique que fascinant. Qu’elles capturent les tâches quotidiennes menées par les femmes – synonymes d’une société genrée – leurs visages au naturel, ou l’hypersexualisation des corps, les trois artistes présentent une figure féminine forte et complexe, loin des clichés de l’époque. Leurs œuvres lèvent le voile sur les travers d’un monde patriarcale et placent, pour une fois, la femme en protagoniste de sa propre histoire.
Unretouched Women, Femmes à l’œuvre, femmes à l’épreuve, éditions Actes Sud, 35 €, 168 p.
À g. couverture du livre d’Eve Arnold, The Unretouched Woman, New York, Knopf, 1976, à d. Couverture du livre de Susan Meiselas, Carnival Strippers, New York, Farrar, Strauss & Giroux 1976
à g. couverture du livre d’Abigail Heyman, Growing Up Female, New York, Holt, Rinehart & Winston, 1974