Le 7 à 9 de Chanel : Valérie Belin et la beauté, cette quête insoluble

À l'instant   •  
Écrit par Ana Corderot
Le 7 à 9 de Chanel : Valérie Belin et la beauté, cette quête insoluble
© Valérie Belin
Valérie Belin lors du 7 à 9 de Chanel au Jeu de Paume
© Benjamin Diaz

L’heure des rencontres « 7 à 9 de Chanel » au Jeu de Paume a sonné. En cette rentrée, c’est au tour de Valérie Belin, quatrième invitée de ce rendez-vous bimestriel, de se prêter à l’exercice. L’artiste est revenue sur ses aspirations, les lignes directrices de son parcours, ses fluctuations et sa perception singulière de la photographie. Un dialogue marqué par une vision philosophique de l’image.

Ce lundi 8 septembre, le soleil entamait sa descente sur le jardin des Tuileries et la place de la Concorde. Les promeneur·ses flânaient, les amoureux·ses se tenaient par la main, quelques joueur·ses de pétanque s’attardaient. À l’intérieur, la rentrée du « 7 à 9 de Chanel » se jouait devant une salle comble. Quentin Bajac, directeur du Jeu de Paume, a ouvert la soirée en rappelant l’esprit de partage et d’amitié de ce cycle parrainé par Chanel. Un moment suspendu où Valérie Belin dialoguait avec l’artiste et étudiante de l’ENSP Arina Starykh, sous la modération, comme à l’accoutumée, de la critique d’art et journaliste Anaël Pigeat.

Une manière « d’être au monde »

Née à Moscou en 1996 et installée en France, Arina Starykh explore la corporalité et la sexualité avec un regard queer, nourri par la photographie de mode et l’art conceptuel. « La photographie lui permet de donner forme à ce qui reste derrière les portes closes », introduit Anaël Pigeat à son sujet. Face à elle, Valérie Belin revient sur ses débuts. De Boulogne-Billancourt aux Beaux-Arts de Versailles, puis Bourges, avant un master de philosophie de l’art à la Sorbonne. Elle raconte ses tâtonnements artistiques, marqués par le minimalisme et l’art conceptuel. « La peinture laisse enfermé·e dans l’atelier. J’avais besoin d’un rapport au réel, et l’appareil photo me l’offrait. La photographie s’est imposée comme une évidence, un outil de médiation, une manière d’être au monde. »

À l’écran, les séries se succèdent : argentiques des années 1990, passage à la couleur, hybridations picturales des années 2000. « Chaque choix est dicté par le sujet. Je réduis le maquillage au geste, je simplifie les couleurs pour atteindre une intensité expressive. La texture, la lumière, tout est somatisé dans l’image », explique-t-elle en évoquant la fabrication de ces dernières. Le public traverse avec elle les grandes étapes de sa carrière, de la révolution du numérique à l’usage modéré de Photoshop « uniquement comme un outil correctif », à l’affirmation d’une esthétique de plus en plus picturale.

Portrait en noir et blanc
© Valérie Belin

Réalisme, beauté et anachronisme

L’échange se resserre autour des questions d’Arina Starykh. « À travers vos portraits, vous interrogez différentes notions : l’identité et son effacement, la frontière entre le vivant et le non-vivant, la mémoire, la transformation et la disparition », remarque-t-elle. Valérie Belin acquiesce : « J’ai toujours cherché à faire vaciller la frontière entre l’animé et l’inanimé. Je photographie mes modèles tels des objets vivants, presque comme des sculptures. » Mannequins, bodybuilders, transsexuelles, mariées, stars de pacotille… Ses modèles, souvent figés par une lumière crue et un maquillage réduit à l’essentiel, paraissent à la fois trop vivants et fantomatiques.

Puis vient le concept de la beauté, sujet de grandes controverses, qui hante toute son œuvre. « Les bodybuilders poursuivent une beauté antique, les personnes transgenres une beauté féminine. Mes modèles sont en quête de perfection, mais cette quête est toujours aliénante », affirme Valérie Belin. Pour elle, la beauté est « anachronique », elle cloche, dérape, et c’est dans ce léger défaut que se niche la puissance de ses images.

Sous le questionnement d’Anaël Pigeat, Valérie Belin revendique une part d’empathie envers ses figures, pourtant construites sur des stéréotypes. Dans sa série Bodybuilders I, pour ne citer qu’elle, la photographe met en lumière cette double tension : d’un côté, l’obsession de la perfection, presque vaniteuse ; de l’autre, une vulnérabilité profonde qui affleure dans la représentation de soi. Ses images révèlent en creux une psychologie complexe, où la quête d’identité passe inévitablement par l’artifice.

Deux bodybuilders prennent la pose
© Valérie Belin
Conférence de Valérie Belin au Jeu de Paume, lors du 7 à 9 de Chanel
© Benjamin Diaz
Portrait d'une femme
© Valérie Belin

Entre vie et mort, surfaces et fantômes

Au fil de la soirée, les thèmes s’approfondissent. Valérie Belin décrit sa méthode de travail, marquée par un protocole rigoureux et un goût du formalisme. Ses séries déplacent sans cesse le sujet, souvent décliné autour d’un même thème, jusqu’à ce que l’identité s’efface au profit d’un certain vide. Les vêtements et le maquillage y apparaissent comme des « ornements, presque des masques », tandis que ses images, glanées puis réassemblées par couches à la manière d’un·e peintre, construisent des surfaces denses. La dimension très picturale de son œuvre suggère plus que ne dit, jouant de la métaphore plus que du récit.

Arina Starykh relève un fil rouge. « Votre travail n’est-il pas, finalement, une réflexion sur la mort ? » Ce à quoi Valérie Belin répond : « Oui, j’appuie le trait en retirant de mes modèles la vie par la schématisation de la pose. L’aspect vivant est mis en retrait, mais il reste toujours quelque chose pour contrebalancer ce phénomène. Tout mon travail est traversé par des paradoxes. Mes sujets sont des êtres qui veulent se transformer en images. »

Le spectre du numérique et de l’IA s’invite aussi dans la conversation. « Je n’utilise Photoshop que pour des corrections techniques. Mais l’IA me semble dangereuse lorsqu’elle efface la limite : on ne sait plus ce qui est réel. » Une remarque teintée d’humour vis-à-vis de son œuvre, mais aussi pourvue d’une grande lucidité sur la situation.

Conférence de Valérie Belin au Jeu de Paume, lors du 7 à 9 de Chanel
© Benjamin Diaz
Portrait d'une femme
© Valérie Belin
Portrait d'un mannequin
© Valérie Belin

Transmission et horizons

Au-delà de son propre parcours, Valérie Belin insiste sur l’importance de la transmission. Membre de l’Académie des beaux-arts et forte de ses années d’enseignement, elle encourage les jeunes artistes à « ne pas rester isolé·es, [à aller] vers la rencontre, vers l’extérieur. C’est aussi ça qui nourrit une pratique ». Ses prochains rendez-vous s’annoncent déjà. En 2026, une exposition aux Franciscaines, autour d’une nouvelle série en noir et blanc, viendra dialoguer avec ses travaux plus récents sur la figure féminine. 

La salle se vide, la nuit tombe sur les Tuileries. Et en conclusion de la soirée, un détour par le questionnaire de Proust a révélé une Valérie Belin plus intime, évoquant La Montagne magique de Thomas Mann ou encore un jouet d’enfance disparu, sa « madeleine de Proust » dérobée. Comme un écho à ses images fantomatiques, dépourvues de souvenirs, toujours en quête de ce qui manque. 

La prochaine édition du « 7 à 9 de Chanel » aura lieu en novembre au Jeu de Paume, toujours en accès libre sur inscription.

À lire aussi
Le  7 à 9 de CHANEL, les visages pluriels d’Omar Victor Diop
© Omar Victor Diop
Le 7 à 9 de CHANEL, les visages pluriels d’Omar Victor Diop
Troisième invité du cycle « Le 7 à 9 de CHANEL », le photographe sénégalais Omar Victor Diop a offert au public du Jeu de Paume un moment…
30 mai 2025   •  
Écrit par Cassandre Thomas
Le 7 à 9 de Chanel : Nick Knight sous toutes les coutures
© Nick Knight
Le 7 à 9 de Chanel : Nick Knight sous toutes les coutures
Le 17 mars dernier, le photographe britannique Nick Knight était l’invité de la deuxième édition du 7 à 9 de Chanel au Jeu de Paume. En…
02 avril 2025   •  
Écrit par Cassandre Thomas
Entre ombre et lumière, Sarah Moon illumine le 7 à 9 de Chanel
© Sarah Moon
Entre ombre et lumière, Sarah Moon illumine le 7 à 9 de Chanel
La première édition du 7 à 9 de Chanel a réuni, au Jeu de Paume, l’emblématique photographe et cinéaste Sarah Moon, l’étudiante en art…
13 janvier 2025   •  
Écrit par Cassandre Thomas
Explorez
Couldn’t Care Less de Thomas Lélu et Lee Shulman : un livre à votre image
Couldn't Care Less © Thomas Lélu et Lee Shulman
Couldn’t Care Less de Thomas Lélu et Lee Shulman : un livre à votre image
Sous le soleil arlésien, nous avons rencontré Lee Shulman et Thomas Lélu à l’occasion de la sortie de Couldn’t Care Less. Pour réaliser...
11 septembre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
La sélection Instagram #523 : loup y es-tu ?
© Ecaterina Rusu / Instagram
La sélection Instagram #523 : loup y es-tu ?
Photographier signifie souvent montrer, dévoiler, révéler. Pourtant, il arrive que ce qui se trouve de l’autre côté de l’objectif ne...
09 septembre 2025   •  
Écrit par Lucie Donzelot
Simon Baker quitte la direction de la Maison européenne de la photographie
© Marguerite Bornhauser
Simon Baker quitte la direction de la Maison européenne de la photographie
Ce lundi 8 septembre 2025, la Maison européenne de la photographie a annoncé le départ de Simon Baker, son directeur, après sept années...
08 septembre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Les photographes montent sur le ring
© Mathias Zwick / Inland Stories. En jeu !, 2023
Les photographes montent sur le ring
Quelle meilleure façon de démarrer les Rencontres d’Arles 2025 qu’avec un battle d’images ? C’est la proposition d’Inland Stories pour la...
02 septembre 2025   •  
Écrit par Lucie Donzelot
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Le 7 à 9 de Chanel : Valérie Belin et la beauté, cette quête insoluble
© Valérie Belin
Le 7 à 9 de Chanel : Valérie Belin et la beauté, cette quête insoluble
L’heure des rencontres « 7 à 9 de Chanel » au Jeu de Paume a sonné. En cette rentrée, c’est au tour de Valérie Belin, quatrième invitée...
À l'instant   •  
Écrit par Ana Corderot
La sélection Instagram #524 : espaces intimes
© Sara Lepore / Instagram
La sélection Instagram #524 : espaces intimes
La maison se fait à la fois abri du monde et porte vers le dehors, espace de l’intime et miroir de nos modes de vie. Les artistes de...
Il y a 4 heures   •  
Écrit par Lucie Donzelot
5 coups de cœur qui témoignent d'un quotidien
I **** New York © Ludwig Favre
5 coups de cœur qui témoignent d’un quotidien
Tous les lundis, nous partageons les projets de deux photographes qui ont retenu notre attention dans nos coups de cœur. Cette semaine...
15 septembre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Les images de la semaine du 8 septembre 2025 : amour et déplacements
Couldn't Care Less © Thomas Lélu et Lee Shulman
Les images de la semaine du 8 septembre 2025 : amour et déplacements
C’est l’heure du récap ! Cette semaine, l’amour et les déplacements, quels qu’ils soient, ont traversé les pages de Fisheye. Ceux-ci se...
14 septembre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet