Obsédé·es par l’idée de composer un humain hybridé, les artistes profitent de la démocratisation des outils numériques pour questionner notre devenir cyborg. Pur fantasme ou critique du tout technologique ? Rendez-vous à Némo, Biennale internationale des arts numériques de la région Île-de-France, pour en savoir davantage. Cet article, rédigé par Maxime Delcourt, est à retrouver dans notre dernier numéro.
« Je ne suis pas devenu un cyborg pour repousser la mort, voire même pour la vaincre, mais dans l’idée de maîtriser des éléments naturels, de pouvoir contrôler le son ou les couleurs. » Au moment de prononcer ces mots, Neil Harbisson pointe du doigt l’antenne qu’il s’est fait implanter au sommet du crâne en 2004. Une opération qui permet, selon lui, de bénéficier des mêmes facultés que les insectes et de trouver du sens dans les couleurs et les sons. Et de disposer ainsi d’une version augmentée de lui-même : « Là où les organes humains vieillissent et perdent de leur vitalité, la technologie ne cesse d’être plus performante, ajoute-t-il. Grâce à certaines mises à jour, je peux augmenter mes capacités à intervalles plus ou moins réguliers. »
Si l’artiste irlandais installé à Barcelone est probablement le premier être humain à avoir opté pour le devenir cyborg, il n’est plus le seul. Fasciné·es par la science-fiction, les romans d’anticipation ou les évolutions technologiques, de nombreux·ses artistes s’intéressent à la fusion entre l’homme et la machine, questionnant les possibilités et les limites d’une telle union. À la suite de Neil Harbisson, d’autres esprits avant-coureurs ont ainsi choisi de se définir comme des artistes cyborgs : il y a le Tchèque Dodo (à même de sentir les effets radioactifs), l’Espagnol Manel Muñoz (capable de détecter les changements de pression atmosphérique et de prédire le temps), ou encore le Barcelonnais Pol Lombarte, dont les œuvres sont produites grâce aux battements de son cœur. De là à parler du « cyborg art » comme d’un nouveau courant artistique ? Neil Harbisson veut y croire : « Le cyborg art peut devenir un mouvement de grande ampleur. À l’avenir, je suis persuadé qu’il sera possible de l’étudier, qu’il existera des musées ou des expositions dédiés à ce sujet, et qu’il sera permis de se spécialiser dans ce domaine à l’université. »
Des liens à tisser
Si Neil Harbisson affirme un tel propos, c’est peut-être aussi parce que le corps – son augmentation, sa distorsion, sa réinvention – est l’un des sujets les plus récurrents au sein de l’histoire de l’art. Il y aurait probablement des liens à tisser entre les statuettes préhistoriques aux formes humaines et animales, reflétant une volonté d’élévation divine, et les avatars robotisés aux allures invincibles. Il serait tout autant possible de remonter le fil de l’Histoire et d’établir des correspondances entre la Renaissance, où les artistes ont placé l’humain au centre de toutes les préoccupations – réintégrant au passage les canons de la sculpture grecque –, et notre ère, où Louis- Paul Caron et Romain Gauthier (pour ne citer qu’eux) pro- longent ces visions dans des œuvres numérisées. C’est là toute la beauté de l’époque actuelle : les technologies sont si accessibles qu’elles permettent aux artistes d’aller encore plus loin dans la conception d’images humaines numériques.
Pionnier en la matière, contribuant depuis près de deux décennies au développement et à l’essor d’effets visuels pour le cinéma et les jeux vidéo, Ian Spriggs s’est par exemple spécialisé dans la figure humaine. Dans l’idée de brouiller cette éternelle frontière entre le vrai et le faux, mais surtout d’insuffler de la vie dans le monde virtuel et de redéfinir notre conception de l’être humain. Sa dernière série, Cœus, Prometheus, Ichor, Tetrad, présentée au Centquatre-Paris dans le cadre de la biennale Némo, ne dit pas autre chose : il s’agit ici de mettre en scène des portraits écorchés, de questionner la manière dont on se définit et se perçoit. La particularité de l’œuvre de Ian Spriggs est aussi de se montrer clairvoyante quant au potentiel des technologies. Ni hostile ni totalement enthousiaste quant à l’hybridation humain- machine, le Canadien entend poser des limites, avancer quelques réflexions nourries de concepts puisés dans la cybernétique, la robotique ou la culture des réseaux sociaux. Avec en creux, cette question : « Comment en est-on arrivés là ? »
Cet article est à retrouver dans son intégralité dans Fisheye #62, disponible ici.