« Visual Aphasia » : les lendemains qui déchantent

19 novembre 2021   •  
Écrit par Julien Hory
« Visual Aphasia » : les lendemains qui déchantent

Dans sa série Visual Aphasia, John Brinton Hogan explore les possibilités des médium. En combinant les techniques, l’artiste californien décrit un monde où l’espèce humaine se cherche un avenir.

À quoi ressemblera notre vie quotidienne dans trente ans si le réchauffement climatique s’accélère? Aridité, région engloutie, mutation d’espèces animales ou apparition de nouvelles plantes… les questions environnementales sont au cœur des préoccupations de l’artiste californien. Dans sa dernière série, Visual Aphasia, John Brinton Hogan a décidé d’imaginer ce monde. Venu très tôt à la photographie, en suivant son père pilote de course dans ses différentes compétitions, il traverse l’ouest des États-Unis. Ce sont ces paysages désertiques qui lui inspireront cet ensemble d’œuvres. Aujourd’hui reconnu, John Brinton Hogan propose des tableaux pluriels qui doivent certainement à son parcours atypique.

Dans les années 1980, il fait ses premiers pas professionnels dans l’industrie du skateboard. Employé pour capturer les sportifs, il perfectionne sa pratique. « J’ai travaillé comme photographe et cinéaste, se souvient-il. Au fil des années, je me suis habitué à voir le monde à travers un viseur ou sur un verre dépoli. Mais, au fil du temps, la plupart de mes influences sont devenues picturales. » Un penchant qui se retrouve dans Visual Aphasia. Cette création sort des sentiers battus et nous plonge dans une atmosphère incertaine, presque suffocante.

© John Briton Hogan

DATAR du futur

De l’imaginaire de son auteur émerge une sorte de mission DATAR du futur. Cette commande publique passée auprès de 12 photographes avait pour ambition de documenter le territoire français. Rien d’étonnant lorsqu’on connaît son intérêt pour le couple Becher et la New Topographics. « J’ai toujours observé la façon dont les humains modifiaient le paysage, confie-t-il. Mais plutôt que leur construction, j’ai commencé à analyser les gens eux-mêmes et comment leur corps occupe l’espace. » Dans un tour de main presque surréaliste, Visual Aphasia sort ses personnages d’un environnement obscur et hostile.

Dans ces représentations, les individus se font en contours. Bien que les traits différenciants disparaissent, ce n’est que pour faire s’élever leur présence. « J’ai décidé que, pour habiter ce champ de distorsion, les figures humaines devaient être mises en valeur. Je les ai donc transformées en silhouettes pour les extraire du fond, explique John Brinton Hogan. » Partant toujours d’une image prise in situ, il les travaille au point que tout référent devienne méconnaissable. Ainsi, les randonneurs, scientifiques, campeurs originellement visibles s’efface dans des aplats de couleurs dont l’artiste a le secret.

© John Briton Hogan

Des paysages de science-fiction

Sommes-nous encore dans le domaine du 8e art ? La question se pose lorsqu’on regarde Visual Aphasia. Dans un processus long, une méthodologie singulière, John Brinton Hogan mélange plusieurs médium. Chaque réalisation nécessite quatre étapes de production. Partant d’un cliché brut, une intervention façon do it yourself  lui permet de dérouler son intériorité. « Je passe beaucoup de temps à utiliser les logiciels d’édition d’images afin de manipuler le fichier original. Une fois satisfait du résultat, j’imprime. Vient alors le stade final. Je peins les formes humaines directement sur le papier avec une large palette de matières. Je suis même allé jusque’à fabriquer moi-même mes pinceaux avec des moustaches de chat pour la précision, détaille-t-il. »

Il l’admet, les échecs ne sont pas rares. Tant d’implication révèle certainement le profond désir de s’exprimer, de laisser des sentiments s’échapper. John Brinton Hogan le reconnaît, ses créations sont une introspection, une méditation sur ses propres angoisses et ses peurs d’enfant. Son inquiétude, l’impact désastreux de l’Homme sur notre planète. Pour lui, une catastrophe est de plus en plus probable et le monde est déjà sombre et incertain. La réalité nous rattrape. Les paysages de science-fiction de Visual Aphasia pourraient devenir concrets et nous condamner à une errance sans fin pour essayer de trouver ce que la Terre a encore à nous offrir.

© John Briton Hogan© John Briton Hogan© John Briton Hogan© John Briton Hogan© John Briton Hogan© John Briton Hogan

© John Brinton Hogan

Explorez
Les coups de cœur #557 : Jeanne-Lise Nédélec et  Stéphanie Labé
Respirer © Jeanne-Lise Nédélec
Les coups de cœur #557 : Jeanne-Lise Nédélec et Stéphanie Labé
Jeanne-Lise Nédélec et Stéphanie Labé, nos coups de cœur de la semaine, voient dans les paysages naturels un voyage introspectif, une...
01 septembre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Inuuteq Storch : une photographie inuit décoloniale
Keepers of the Ocean © Inuuteq Storch
Inuuteq Storch : une photographie inuit décoloniale
Photographe inuit originaire de Sisimiut, Inuuteq Storch déconstruit les récits figés sur le Groenland à travers une œuvre sensible et...
30 août 2025   •  
Écrit par Costanza Spina
FLOW, le nouveau rendez-vous photographique en Occitanie
© Chiara Indelicato, L'archipel, Bourses Ronan Guillou, 2024
FLOW, le nouveau rendez-vous photographique en Occitanie
Du 20 septembre au 30 octobre 2025, The Eyes inaugure, en Occitanie, la première édition de FLOW, un parcours inédit consacré à la...
27 août 2025   •  
Écrit par Cassandre Thomas
Chiara Indelicato, voix de Stromboli
© Chiara Indelicato, Pelle di Lava
Chiara Indelicato, voix de Stromboli
Exposée à la galerie Anne Clergue, à Arles, jusqu’au 6 septembre 2025, Pelle di Lava, le livre de Chiara Indelicato paru cette année chez...
09 août 2025   •  
Écrit par Milena III
Nos derniers articles
Voir tous les articles
La sélection Instagram #523 : loup y es-tu ?
© Ecaterina Rusu / Instagram
La sélection Instagram #523 : loup y es-tu ?
Photographier signifie souvent montrer, dévoiler, révéler. Pourtant, il arrive que ce qui se trouve de l’autre côté de l’objectif ne...
Il y a 4 heures   •  
Écrit par Lucie Donzelot
Simon Baker quitte la direction de la Maison européenne de la photographie
© Marguerite Bornhauser
Simon Baker quitte la direction de la Maison européenne de la photographie
Ce lundi 8 septembre 2025, la Maison européenne de la photographie a annoncé le départ de Simon Baker, son directeur, après sept années...
08 septembre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Le ministère de l’Aménagement du territoire fête les 80 ans de la Libération
Megapolis, Puteaux, 2025 © Aleksander Filippov
Le ministère de l’Aménagement du territoire fête les 80 ans de la Libération
À l’occasion des 80 ans de la Libération, les ministères de l’Aménagement du territoire et de la Transition écologique ont lancé...
08 septembre 2025   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Les coups de cœur #558 : Marina Viguier et Emma Tholot
Carmela, série Carmela © Emma Tholot
Les coups de cœur #558 : Marina Viguier et Emma Tholot
Marina Viguier et Emma Tholot, nos coups de cœur de la semaine, explorent la théâtralité comme outil de résistance, de liberté et de...
08 septembre 2025   •  
Écrit par Lucie Donzelot