Dans sa série Visual Aphasia, John Brinton Hogan explore les possibilités des médium. En combinant les techniques, l’artiste californien décrit un monde où l’espèce humaine se cherche un avenir.
À quoi ressemblera notre vie quotidienne dans trente ans si le réchauffement climatique s’accélère? Aridité, région engloutie, mutation d’espèces animales ou apparition de nouvelles plantes… les questions environnementales sont au cœur des préoccupations de l’artiste californien. Dans sa dernière série, Visual Aphasia, John Brinton Hogan a décidé d’imaginer ce monde. Venu très tôt à la photographie, en suivant son père pilote de course dans ses différentes compétitions, il traverse l’ouest des États-Unis. Ce sont ces paysages désertiques qui lui inspireront cet ensemble d’œuvres. Aujourd’hui reconnu, John Brinton Hogan propose des tableaux pluriels qui doivent certainement à son parcours atypique.
Dans les années 1980, il fait ses premiers pas professionnels dans l’industrie du skateboard. Employé pour capturer les sportifs, il perfectionne sa pratique. « J’ai travaillé comme photographe et cinéaste, se souvient-il. Au fil des années, je me suis habitué à voir le monde à travers un viseur ou sur un verre dépoli. Mais, au fil du temps, la plupart de mes influences sont devenues picturales. » Un penchant qui se retrouve dans Visual Aphasia. Cette création sort des sentiers battus et nous plonge dans une atmosphère incertaine, presque suffocante.
DATAR du futur
De l’imaginaire de son auteur émerge une sorte de mission DATAR du futur. Cette commande publique passée auprès de 12 photographes avait pour ambition de documenter le territoire français. Rien d’étonnant lorsqu’on connaît son intérêt pour le couple Becher et la New Topographics. « J’ai toujours observé la façon dont les humains modifiaient le paysage, confie-t-il. Mais plutôt que leur construction, j’ai commencé à analyser les gens eux-mêmes et comment leur corps occupe l’espace. » Dans un tour de main presque surréaliste, Visual Aphasia sort ses personnages d’un environnement obscur et hostile.
Dans ces représentations, les individus se font en contours. Bien que les traits différenciants disparaissent, ce n’est que pour faire s’élever leur présence. « J’ai décidé que, pour habiter ce champ de distorsion, les figures humaines devaient être mises en valeur. Je les ai donc transformées en silhouettes pour les extraire du fond, explique John Brinton Hogan. » Partant toujours d’une image prise in situ, il les travaille au point que tout référent devienne méconnaissable. Ainsi, les randonneurs, scientifiques, campeurs originellement visibles s’efface dans des aplats de couleurs dont l’artiste a le secret.
Des paysages de science-fiction
Sommes-nous encore dans le domaine du 8e art ? La question se pose lorsqu’on regarde Visual Aphasia. Dans un processus long, une méthodologie singulière, John Brinton Hogan mélange plusieurs médium. Chaque réalisation nécessite quatre étapes de production. Partant d’un cliché brut, une intervention façon do it yourself lui permet de dérouler son intériorité. « Je passe beaucoup de temps à utiliser les logiciels d’édition d’images afin de manipuler le fichier original. Une fois satisfait du résultat, j’imprime. Vient alors le stade final. Je peins les formes humaines directement sur le papier avec une large palette de matières. Je suis même allé jusque’à fabriquer moi-même mes pinceaux avec des moustaches de chat pour la précision, détaille-t-il. »
Il l’admet, les échecs ne sont pas rares. Tant d’implication révèle certainement le profond désir de s’exprimer, de laisser des sentiments s’échapper. John Brinton Hogan le reconnaît, ses créations sont une introspection, une méditation sur ses propres angoisses et ses peurs d’enfant. Son inquiétude, l’impact désastreux de l’Homme sur notre planète. Pour lui, une catastrophe est de plus en plus probable et le monde est déjà sombre et incertain. La réalité nous rattrape. Les paysages de science-fiction de Visual Aphasia pourraient devenir concrets et nous condamner à une errance sans fin pour essayer de trouver ce que la Terre a encore à nous offrir.
© John Brinton Hogan