La nouvelle édition de la Biennale Vevey Images vient de s’ouvrir dans la jolie cité lovée au bord du lac Leman. Ce rendez-vous propose une programmation généreuse à travers la photographie, la vidéo et l’art contemporain avec des installations originales. Petite sélection des choses vues à Vevey.
Le parcours de cette 8e édition du festival suisse de l’image réserve, comme à son habitude, son lot de photographies, de vidéos et d’installations étonnantes. Si vous avez la possibilité de passer dans la cité helvète jusqu’au 25 septembre, ne laissez pas filer l’occasion. Le programme, toujours généreux, propose cette année 50 projets − souvent en extérieur − réalisés par les artistes de 25 pays. Les différentes créations, placées sous une thématique assez large pour y inclure une grande diversité d’approches − Together, la vie ensemble, en référence à la fin de la période des confinements −, explorent de nombreux registres, du grave au ludique en passant par des dispositifs expérimentaux.
Rêve américain et balade aux couleurs pop
Une des plus surprenantes expositions se déploie dans la superbe salle del Castillo autour de la série Santa Barabara de Diana Markosian. L’artiste y raconte un épisode très personnel en reconstruisant l’histoire de sa mère au moment où elle quittait son mari et la Russie avec ses deux enfants (elle et son frère, ndlr) afin d’accéder au rêve américain découvert dans la série Santa Barbara diffusée sur le petit écran. Son récit basé sur une expérience vécue convoque tous les artifices de la fiction − avec la contribution d’un scénariste de la série américaine et des moyens de production cinématographique − et bénéficie d’une scénographie impressionnante, incluant un bouleversant film de 15 minutes à ne pas manquer. En sortant du bâtiment, à quelques mètres sur la droite, on trouve la dépendance du château de l’Aile qui accueille les travaux de Mimi Mollica, au rez-de-chaussée, et d’Esther Hovers, à l’étage. Avec East London Up Close, le premier nous entraine dans rues du quartier londonien qu’il parcourt depuis une vingtaine d’années pour nous en livrer une balade énergique aux couleurs pop traduisant à merveille la diversité culturelle de la capitale britannique. Esther Hovers, elle, réussit à évoquer l’aspect fantomatique de La Haye durant la pandémie avec une série de personnages découpés et collés à l’origine sur ses fenêtres. La scénographie originale traduit là encore avec finesse le flottement de ces silhouettes évanescentes.
Après quelques pas le long du lac pour contourner le château, on arrive devant une belle pelouse plantée de panneaux qui présentent deux séries de Siân Davey que les lecteurs·trices de Fisheye connaissent bien : Looking for Alice et Martha, respectivement liées à sa fille (diagnostiquée trisomique au cours de sa grossesse) et à sa belle-fille dans son adolescence. Les photos réalisées à l’extérieur semblent se fondre dans le décor d’une manière troublante, redoublant ainsi la proximité que l’on éprouve devant les images. On poursuit notre balade au bord du lac dans la douceur de l’été finissant, et on tombe sur une immense photo intrigante, à dominante verte, signée par Michele Sibiloni. En passant par une petite porte qui s’enfonce sous terre, on pénètre dans une coursive bétonnée où l’on découvre la série Nsenene dans laquelle le photographe italien documente le travail des chasseurs de grillons de brousse en Ouganda. L’intensité de la lumière utilisée pour capturer ces insectes (qui seront revendus sur les marchés le lendemain, ndlr) est telle qu’elle sature les capteurs numériques de l’appareil photo en produisant un halo verdâtre qui redouble l’irréalité de la scène. Les caissons lumineux qui balisent ce boyau de béton sont d’un effet saisissant.
à g. © Diana Markosian, à d. © Siân Davey
Prendre l’air
Encore étourdi par ce balai étrange, on remonte la ville pour prendre l’air. C’est aussi un des avantages de ce festival où tout peut se faire à pied très facilement. De l’air, on en trouve justement sur une immense façade que recouvre une image de Shirana Shahbazi. L’artiste d’origine iranienne assemble des clichés d’oiseaux avec des compositions graphiques spécialement pensées pour cette installation monumentale. A Bigger Reality Show compose ainsi un espace poétique, une véritable épiphanie visuelle dont on a du mal à se détacher. On poursuit notre périple en entrant au musée Jenish qui accueille cette année plusieurs lauréats des prix décernés par Images Vevey en 2021 et 2022. Parmi eux, on note en particulier le très beau travail de Lebohang Kganye, artiste sud-africaine de 32 ans qui, avec Staging Memories, a imaginé un dispositif mécanique inspiré des livres popup, en croisant littérature, théâtre d’ombres et photographie. S’appuyant sur une nouvelle de l’écrivain malawite Muthi Nhlema qui imagine le retour de Nelson Mandela dans une Afrique du Sud postapocalyptique, la photographe construit des situations dans lesquelles la grande histoire s’incarne dans des saynètes du quotidien. Une manière de revisiter la mémoire avec beaucoup de subtilité, un travail qui a reçu le grand prix doté de 40 000 euros. Dans une des autres salles du musée, on découvre les images de Juan Brenner, photographe guatémaltèque, qui interroge ses origines à travers une série de photographies documentaires prises sur les traces des conquistadors espagnols. La série Marvelous Phenomena, second volet d’une trilogie toujours en cours, arpente elle aussi les vestiges de la mémoire.
Retour au bord du lac, le long de la promenade ensoleillée, on passe devant plusieurs installations : celles de Teju Cole qui revisite la Suisse à travers la notion de Fernweh, mot allemand qui traduit « la nostalgie pour un lieu où l’on ne vit pas ». Des images qui installent un léger décalage dans notre perception. Un glissement de point de vue qui nous incite à regarder autrement. Un peu plus loin, c’est Dominique Teufen qui réinvente les chaines montagneuses − évoquant celles qui nous entourent − grâce à ses manipulations à la photocopieuse. Elle donne naissance à des reliefs plus vrais que nature, jouant avec les échelles pour mieux nous perdre. Enfin, arrivé dans l’ancien verger de La Tour-de-Peilz, après avoir longé un ravissant port de plaisance, on découvre un improbable terrain de football planté de 22 panneaux figurant, à l’échelle, des footballeurs en action à qui on a ôté le ballon. Muddy Dance, cette nouvelle installation pensée par Erik Kessels, déjà présent à la biennale en 2014 et 2018, nous a simplement ravis.
à g. © Lebohang Kganye, à d. © Eric Kessels
Chambres avec vues
Il est déjà temps de quitter la Riviera, mais avant de reprendre notre train, on fait escale à L’appartement, un espace de 220 mètres carrés situé au 2e étage de la gare de Vevey, dans les anciens logements des cheminots. Quatre nouvelles expositions nous y attendent dans quatre espaces dont la configuration définit l’usage. On arrive par un couloir destiné aux enfants, où, en toute logique, les images sont accrochées assez bas, à leur hauteur. C’est Dog Days, Bogota, le travail d’Alec Soth sur l’adoption de sa fille Carmen, qui nous accueille. Dans le salon, espace dédié au livre, on peut voir Arrangements, le nouveau travail de Carmen Winant composé à partir de collage de pages de magazine afin d’étudier les dynamiques de « survie et de révolte féministe ». Dans une salle adjacente, celle dédiée au cinéma, C’est Gillian Wearing qui propose Your Views, un projet collaboratif − toujours en cours − pour lequel des personnes du monde entier lui livrent un bref film qui nous donne à voir la vue de leur fenêtre. Une très belle initiative. Enfin, on passe de l’autre côté de L’Appartement pour accéder aux trois chambres qui sont dédiées à un·e artiste. C’est Bertien van Manen qui présente ici Give me Your Image, un travail où la photographe a saisi chez ses hôtes, un peu partout autour du monde, leurs photos personnelles disposées dans autant de petits autels domestiques. On aura l’occasion de revenir à L’Appartement, d’autant que c’est, depuis septembre 2021, un lieu permanent ou Images Vevey va pouvoir continuer à nous étonner.
© Michele Sibiloni
© Teju Cole
à g. © Shirana Shahbazi , à d. © Carmen Winant
© Dominique Teufen
© Bertian Van Manen
à g. © Mimi Mollica, à d. © Alec Soth
© Lebohang Kganye
Image d’ouverture © Lebohang Kganye