Le photographe français Wayan Barre sillonne les routes de la nation navajo en quête de réponses. Cette réserve semi-autonome amérindienne est en proie à une violente crise de disparitions et d’assassinats.
Des routes à perte de vue. Quelques hameaux disséminés dans un paysage aride. Des visages durcis par les larmes, la persévérance et la fatigue. Et des affiches placardées en lettres capitales : « MISSING » (« porté·e disparu·e »). « En mars 2025, la police navajo recensait 73 personnes portées disparues, certaines depuis les années 1970 », rapporte Wayan Barre, photographe français installé à la Nouvelle-Orléans. Depuis 2024, il arpente les routes de la nation navajo, une réserve semi-autonome amérindienne de 71 000 km2 à la croisée du Nouveau-Mexique, de l’Utah, du Colorado et de l’Arizona (la plus grande réserve aux États-Unis). Cette région est particulièrement touchée par la crise des Missing and Murdered Indigenous Relatives (MMIR) (proches autochtones disparu·es ou assassiné·es). En 2024, le Centre national d’information sur la criminalité a enregistré 10 248 disparitions d’autochtones et de natif·ves d’Alaska, un nombre en constante augmentation. « Les populations autochtones aux États-Unis sont celles qui subissent le plus de violence, de disparitions et de meurtres », précise le photographe. Avec son projet Somebody Out There (Ils sont quelque part), il sonde les dessous de cette crise humaine sans fin.
7,50 €
Millefeuille judiciaire
Après avoir rencontré la vice-présidente du territoire semi-autonome, des détectives ainsi que des familles, Wayan Barre décèle deux problèmes spécifiques au territoire : une stratification du système judiciaire et un manque de moyens. « Les Navajos ont leur propre gouvernement et leur propre police. Mais iels sont aussi rattachés au Bureau des affaires indiennes (BIA), établi à Washington. Parfois, le Federal Bureau of Investigation (FBI) ou les commissariats locaux des États avoisinants s’emparent de certaines affaires. » Ce peuple est soumis à un « millefeuille » juridictionnel, ce qui entrave le bon déroulement des enquêtes. « Les entités se renvoient la patate chaude en fonction du lieu de disparition ou d’assassinat. Ce manque de coordination pousse les familles à reprendre elles-mêmes les enquêtes. »
Sur le porche d’une maison baignée par la lumière du soleil couchant, Wayan Barre saisit Becky A., Eilandrieth D., Krista Allen et Treyshon, les yeux fixés sur l’horizon. Membres d’une même famille, les Martinez ont perdu Calvin Willie, un fils, un frère, un père et un oncle. « Après avoir perdu sa femme et l’un de ses enfants dans un incendie accidentel, Calvin a commencé à faire des allers-retours entre la résidence familiale dans la nation navajo et Albuquerque, au Nouveau-Mexique. Un jour, il a appelé sa grand-mère depuis un relais routier pour lui dire qu’il était en route pour la maison. C’est la dernière fois que les Martinez ont de ses nouvelles. Cela fait six ans. » L’enquête est classée sans suite, passée entre les mains de la police Navajo, de celles d’Albuquerque et de Farmington, sans jamais faire l’objet d’une recherche commune entre ces entités. « La grand-mère a fait au moins huit fois le chemin entre Albuquerque et leur maison, elle a interrogé les voisin·e·s, fouillé les stations-service et les relais. Ils n’ont pas le choix face à l’indifférence institutionnelle. » Cette indifférence est doublée d’un manque de moyens alarmant. À travers cette immense réserve des Premières Nations, on ne compte que 210 membres de police navajo pour une population de 150 000 individus. « Parmi ces 210 agent·e·s, seul·e·s quatre font partie de l’unité qui s’occupe des personnes disparues et assassinées sur tout le territoire, où les maisons sont très isolées les unes des autres. Certain·es travaillent plus de vingt heures d’affilée, alors forcément les enquêtes n’avancent pas. »
Cet article est à retrouver dans son intégralité dans Fisheye #72.
sur le chemin de l’école à Shiprock. La mauvaise gestion de l’enquête par la police tribale et la suppression de son dossier ont laissé sa famille sans réponse. Sa sœur Deiandra milite aujourd’hui pour les familles victimes comme elle. Somebody Out There © Wayan Barre