Wayan Barre : Ouvrir la voix

31 juillet 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Wayan Barre : Ouvrir la voix
Région sauvage de Bisti/De-Na-Zin, au Nouveau-Mexique. Somebody Out There © Wayan Barre
Affiche placadrée sur un mur
Somebody Out There © Wayan Barre

Le photographe français Wayan Barre sillonne les routes de la nation navajo en quête de réponses. Cette réserve semi-autonome amérindienne est en proie à une violente crise de disparitions et d’assassinats.

Des routes à perte de vue. Quelques hameaux disséminés dans un paysage aride. Des visages durcis par les larmes, la persévérance et la fatigue. Et des affiches placardées en lettres capitales : « MISSING » (« porté·e disparu·e »). « En mars 2025, la police navajo recensait 73 personnes portées disparues, certaines depuis les années 1970 », rapporte Wayan Barre, photographe français installé à la Nouvelle-Orléans. Depuis 2024, il arpente les routes de la nation navajo, une réserve semi-autonome amérindienne de 71 000 km2 à la croisée du Nouveau-Mexique, de l’Utah, du Colorado et de l’Arizona (la plus grande réserve aux États-Unis). Cette région est particulièrement touchée par la crise des Missing and Murdered Indigenous Relatives (MMIR) (proches autochtones disparu·es ou assassiné·es). En 2024, le Centre national d’information sur la criminalité a enregistré 10 248 disparitions d’autochtones et de natif·ves d’Alaska, un nombre en constante augmentation. « Les populations autochtones aux États-Unis sont celles qui subissent le plus de violence, de disparitions et de meurtres », précise le photographe. Avec son projet Somebody Out There (Ils sont quelque part), il sonde les dessous de cette crise humaine sans fin.

Une famille sur le porche d'une maison au soleil couchant
Famille de Calvin Willie Martinez, disparu il y a six ans. De gauche à droite : la sœur de Calvin, Becky A. Martinez, son fils Eilandrieth D. Martinez, sa nièce Krista Allen, et son neveu Treyshon Martinez. Somebody Out There © Wayan Barre
Route dans un paysage aride
Les vastes paysages témoignent des défis logistiques pour faire reculer le phénomène des crimes et disparitions. Somebody Out There © Wayan Barre
Couverture Fisheye #72
168 pages
7,50 €

Millefeuille judiciaire

Après avoir rencontré la vice-présidente du territoire semi-autonome, des détectives ainsi que des familles, Wayan Barre décèle deux problèmes spécifiques au territoire : une stratification du système judiciaire et un manque de moyens. « Les Navajos ont leur propre gouvernement et leur propre police. Mais iels sont aussi rattachés au Bureau des affaires indiennes (BIA), établi à Washington. Parfois, le Federal Bureau of Investigation (FBI) ou les commissariats locaux des États avoisinants s’emparent de certaines affaires. » Ce peuple est soumis à un « millefeuille » juridictionnel, ce qui entrave le bon déroulement des enquêtes. « Les entités se renvoient la patate chaude en fonction du lieu de disparition ou d’assassinat. Ce manque de coordination pousse les familles à reprendre elles-mêmes les enquêtes. »

Sur le porche d’une maison baignée par la lumière du soleil couchant, Wayan Barre saisit Becky A., Eilandrieth D., Krista Allen et Treyshon, les yeux fixés sur l’horizon. Membres d’une même famille, les Martinez ont perdu Calvin Willie, un fils, un frère, un père et un oncle. « Après avoir perdu sa femme et l’un de ses enfants dans un incendie accidentel, Calvin a commencé à faire des allers-retours entre la résidence familiale dans la nation navajo et Albuquerque, au Nouveau-Mexique. Un jour, il a appelé sa grand-mère depuis un relais routier pour lui dire qu’il était en route pour la maison. C’est la dernière fois que les Martinez ont de ses nouvelles. Cela fait six ans. » L’enquête est classée sans suite, passée entre les mains de la police Navajo, de celles d’Albuquerque et de Farmington, sans jamais faire l’objet d’une recherche commune entre ces entités. « La grand-mère a fait au moins huit fois le chemin entre Albuquerque et leur maison, elle a interrogé les voisin·e·s, fouillé les stations-service et les relais. Ils n’ont pas le choix face à l’indifférence institutionnelle. » Cette indifférence est doublée d’un manque de moyens alarmant. À travers cette immense réserve des Premières Nations, on ne compte que 210 membres de police navajo pour une population de 150 000 individus. « Parmi ces 210 agent·e·s, seul·e·s quatre font partie de l’unité qui s’occupe des personnes disparues et assassinées sur tout le territoire, où les maisons sont très isolées les unes des autres. Certain·es travaillent plus de vingt heures d’affilée, alors forcément les enquêtes n’avancent pas. »

Cet article est à retrouver dans son intégralité dans Fisheye #72.

Vu qu'une voiture d'une perquisition avec la police
Perquisition menée par l’unité de la police navajo pour personnes disparues, après le signalement d’une mineure à Kayenta, nation navajo. Somebody Out There © Wayan Barre
Pancarte pour militer contre les disparitions et les assassinats
Tiffany Reid, 16 ans, disparue le 17 mai 2004
sur le chemin de l’école à Shiprock. La mauvaise gestion de l’enquête par la police tribale et la suppression de son dossier ont laissé sa famille sans réponse. Sa sœur Deiandra milite aujourd’hui pour les familles victimes comme elle. Somebody Out There © Wayan Barre
Une femme pleure à genoux devant une tombe
Vangie Shorty s’incline devant la tombe de ses garçons. Cameron est mort en 2015 dans un accident. Zachariah, 23 ans, a été retrouvé tué par balle cinq ans après, quelques jours après sa disparition, à Farmington, Nouveau-Mexique. « Quelqu’un sait ce qui s’est passé. Je veux qu’ils sachent que nous n’avons pas arrêté de chercher Zach », raconte Vangie. Somebody Out There © Wayan Barre
À lire aussi
Fisheye #72 : la photographie comme acte de résistance
© Luke Evans
Fisheye #72 : la photographie comme acte de résistance
À travers son numéro #72, Fisheye donne à voir des photographes qui considèrent leur médium de prédilection comme un outil de…
03 juillet 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Behind the Plants : l’usine à cancer des États-Unis
© Wayan Barre
Behind the Plants : l’usine à cancer des États-Unis
La Louisiane, une région occupée par des dizaines d’usines pétrochimiques, possède l’un des taux les plus élevés de cancer et de maladies…
22 mai 2024   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Explorez
What’s the word? Johannesburg! : L'Afrique du Sud se raconte à la Fondation A
© Afronova Gallery, Alice Mann, Siphithemba Mshengu, 2018.
What’s the word? Johannesburg! : L’Afrique du Sud se raconte à la Fondation A
Accueillie jusqu'au 21 décembre 2025 à la Fondation A, située à Bruxelles, l’exposition What’s the word? Johannesburg! nous présente le...
18 septembre 2025   •  
Écrit par Lucie Donzelot
Ekaterina Perfilieva et l'intime au cœur de la fracture
© Ekaterina Perfilieva, Nocturnal Animals
Ekaterina Perfilieva et l’intime au cœur de la fracture
À la fois distante et profondément engagée, Ekaterina Perfilieva, artiste multidisciplinaire, interroge une contemporanéité...
17 septembre 2025   •  
Écrit par Milena III
Le ministère de l’Aménagement du territoire fête les 80 ans de la Libération
Megapolis, Puteaux, 2025 © Aleksander Filippov
Le ministère de l’Aménagement du territoire fête les 80 ans de la Libération
À l’occasion des 80 ans de la Libération, les ministères de l’Aménagement du territoire et de la Transition écologique ont lancé...
08 septembre 2025   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Les coups de cœur #558 : Marina Viguier et Emma Tholot
Carmela, série Carmela © Emma Tholot
Les coups de cœur #558 : Marina Viguier et Emma Tholot
Marina Viguier et Emma Tholot, nos coups de cœur de la semaine, explorent la théâtralité comme outil de résistance, de liberté et de...
08 septembre 2025   •  
Écrit par Lucie Donzelot
Nos derniers articles
Voir tous les articles
What’s the word? Johannesburg! : L'Afrique du Sud se raconte à la Fondation A
© Afronova Gallery, Alice Mann, Siphithemba Mshengu, 2018.
What’s the word? Johannesburg! : L’Afrique du Sud se raconte à la Fondation A
Accueillie jusqu'au 21 décembre 2025 à la Fondation A, située à Bruxelles, l’exposition What’s the word? Johannesburg! nous présente le...
18 septembre 2025   •  
Écrit par Lucie Donzelot
Jet Siemons : combien de temps faudra‑t‑il pour qu’on m’oublie ? 
© Jet Siemons
Jet Siemons : combien de temps faudra‑t‑il pour qu’on m’oublie ? 
Dans Hannie & Billo – The Trail Project, Jet Siemons retrace la trajectoire d’un couple, Hannie et Billo, à partir d’un album photo...
18 septembre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Ekaterina Perfilieva et l'intime au cœur de la fracture
© Ekaterina Perfilieva, Nocturnal Animals
Ekaterina Perfilieva et l’intime au cœur de la fracture
À la fois distante et profondément engagée, Ekaterina Perfilieva, artiste multidisciplinaire, interroge une contemporanéité...
17 septembre 2025   •  
Écrit par Milena III
Le 7 à 9 de Chanel : Valérie Belin et la beauté, cette quête insoluble
© Valérie Belin
Le 7 à 9 de Chanel : Valérie Belin et la beauté, cette quête insoluble
L’heure des rencontres « 7 à 9 de Chanel » au Jeu de Paume a sonné. En cette rentrée, c’est au tour de Valérie Belin, quatrième invitée...
16 septembre 2025   •  
Écrit par Ana Corderot