L’univers de Wes Anderson s’apparente à une galerie d’images où chaque plan pourrait figurer dans une exposition. Cela tombe à pic : du 19 mars au 27 juillet 2025, la Cinémathèque française, en coproduction avec The Design Museum, lui consacre une rétrospective inédite, explorant sa carrière et son esthétique si singulière. L’occasion parfaite pour (re)découvrir l’un des cinéastes les plus picturaux du 7e art.
Ce qui frappe immédiatement, dans l’œuvre de Wes Anderson, c’est sa grammaire visuelle : une symétrie obsessionnelle, une palette chromatique brillamment orchestrée, une lumière toujours bien pensée et une maîtrise minutieuse du cadre. Reconnaissables entre mille, ses mises en scène fascinent des créateurices de tous horizons. Parmi elleux, de nombreux·ses photographes s’inspirent de cette esthétique unique pour capturer des architectures colorées à la géométrie parfaite. En témoigne le compte Instagram @AccidentallyWesAnderson qui collectionne, à travers le monde, des clichés semblant tout droit sortis de l’un de ses films.
Dans cette toute première rétrospective qui lui est consacrée, la Cinémathèque française propose une exploration chronologique plutôt que thématique. « J’ai choisi cet axe parce que son parcours me semblait suffisamment marquant : ses débuts autodidactes au Texas – on oublie souvent qu’il y est né – puis peu à peu, par la faveur de certains voyages, il s’est installé en Europe et ses films ont pris une autre tournure », explique Matthieu Orléan, co-commissaire de la Cinémathèque. Mais, comme la symbolique des duos est omniprésente dans les œuvres de Wes Anderson, ses films ont tout de même été regroupés par paire : « Bottle Rocket et Rushmore, deux films texans sur des sortes de geeks post-adolescents ; La Vie aquatique et La Famille Tenenbaum pour la question de la famille ; l’aventure initiatique à travers Moonrise Kingdom et À bord du Darjeeling Limited ; le stop motion avec Fantastic Mr. Fox et L’Île aux chiens ; les fresques européennes polyphoniques et historiques que sont The Grand Budapest Hotel et The French Dispatch ; enfin, Asteroid City qui permettra de faire une boucle, on commencera au Texas et on finira sur une Amérique fantasmée », précise le co-commissaire qui a travaillé d’une main de maître avec Lucia Savi et Johanna Agerman Ross du Design Museum à Londres ainsi qu’avec Octavia Peissel d’American Empirical Pictures.
Une photographie en mouvement
Décors, accessoires, costumes originaux, archives personnelles de sa jeunesse, polaroïds inédits, carnets de notes… Autant d’éléments qui plongeront les visiteurs·euses dans l’esthétique unique du cinéaste. « Une des spécificités de Wes Anderson est qu’il garde absolument tout ce qu’il crée pour ses films. Dans The Grand Budapest Hotel, par exemple, nous avons le moindre menu du restaurant, les timbres, les billets fictifs de la République de Zubrowka, les journaux, les tasses à café, les cendriers, l’eau de Cologne… Tout a été conçu sur mesure. L’un des enjeux de l’exposition est de valoriser cet aspect d’œuvre totale propre à Wes Anderson », témoigne Matthieu Orléan. Facilement reconnaissables du grand public, ces objets acquièrent une dimension presque sacrée. Mais la rétrospective ne se contente pas d’exposer ces reliques : elle s’attache également à montrer leur processus de fabrication à travers des dessins, plans, storyboards et maquettes. Par ailleurs, la visite sera évidemment ponctuée d’extraits de films qui ont été, pour la plupart, soigneusement sélectionnés par Wes Anderson lui-même.
Bien que ses influences cinématographiques – d’Orson Welles à François Truffaut, en passant par Douglas Sirk, Louis Malle ou Satyajit Ray – et littéraires, en particulier JD Salinger et Stefan Zweig, soient souvent mises en avant, le 8e art occupe une place de choix au sein de cette rétrospective. « Il a un goût prononcé pour la photographie et choisit des personnes avec qui il a envie de travailler. On retrouvera beaucoup de clichés, notamment des anciens, quand il était tout jeune », confie le co-commissaire. Parmi ces images, celles de Brigitte Lacombe, prises sur le tournage de La Vie aquatique, de Sylvia Plachy, mère d’Adrien Brody – acteur récurrent dans les films de Wes Anderson – ou encore de Roger Do Minh, photographe de plateau l’ayant accompagné sur ses derniers tournages, témoignent de l’incroyable photogénie de son œuvre.
Enfin, un détail n’échappera pas aux plus fervent·es admirateurices du cinéaste : son admiration pour le travail de Jacques Henri Lartigue, qu’il a d’ailleurs remercié à plusieurs reprises dans les génériques de ses films. « Il apprécie son univers poétique et amusant. Son influence est incontestable. Des photos de Lartigue apparaissent dans Rushmore, derrière le personnage de Jason Schwartzman. On retrouve aussi des clins d’œil dans La Vie aquatique, principalement avec le personnage de Steve Zissou, dont le nom fait écho au frère de Lartigue, Maurice “Zissou” Lartigue. À un moment, Zissou évoque même son mentor en montrant une photo… qui n’est autre qu’un cliché de Jacques-Henri Lartigue », révèle Matthieu Orléan. En parallèle de l’exposition, la Cinémathèque propose une rétrospective de ses films, une masterclass exclusive donnée par Wes Anderson lui-même, ainsi que plusieurs dialogues, notamment avec Robert D. Yeoman, son fidèle directeur de la photographie. L’occasion parfaite de se plonger dans l’univers Anderson, si savamment construit, où chaque plan semble être une photographie en mouvement.