« When the water is stirred » : Hanna Rédling et sa gélatineuse nostalgie

08 avril 2023   •  
Écrit par Milena III
« When the water is stirred » : Hanna Rédling et sa gélatineuse nostalgie

Sujets insolites ou tendances, faites un break avec notre curiosité. La photographe et artiste visuelle hongroise Hanna Rédling déploie avec sa sérieWhen the water is stirred une réflexion sur les particularités de la nostalgie propre à notre époque. Un travail inventif, exubérant et coloré.

Hanna Rédling rêve de pouvoir transformer les choses en visions surréalistes. Baigner les objets dans un peu de poésie. Cuisiner le réel. « Reine du kitsch », la jeune artiste née à Pécs, en Hongrie, cultive depuis toujours un goût pour l’exclusivité qui lui viendrait en grande partie, raconte-t-elle, de ses racines culturelles. Ces dernières années, elle les a passées à travailler entre Budapest et Rotterdam, aux Pays-Bas. S’entourer quotidiennement d’une telle esthétique et la développer à travers son travail artistique, revient pour elle à ressusciter son enfance, à se créer un foyer où qu’elle se trouve. « Les couleurs, les matériaux et les motifs que l’on utilise en Europe de l’Est, leurs solutions bricolées et bon marché, leur désir d’obtenir un style moderne et luxueux… Toutes ces choses me ramènent à mes racines, mon enfance, toutes mes faiblesses et mes forces. », déclare-t-elle.

Sa série la plus récente, intitulée When the water is stirred (Quand l’eau est agitée), en est peut-être l’exemple le plus frappant. Hanna Rédling capture des natures mortes, qu’une texture gélatineuse et élastique vient recouvrir ou accompagner. « La gelée est une substance magique, car elle peut transformer un liquide en un matériau flexible, tout en conservant sa fragilité », explique-t-elle. Cette texture, l’artiste l’obtient en la préparant elle-même, ou bien la crée par le biais de techniques de photogrammétrie 3D. De cette imagerie gluante naît une déclaration d’amour au kitsch à la fois extravagante et loufoque. Et si l’œuvre de Hanna Rédling devait être accompagnée d’une bande-son, il s’agirait probablement de dream pop et de quelques notes psychédéliques…

© Hanna Redling© Hanna Redling

Que la gélatine soit !

« À l’âge de dix ans, nous avions organisé une séance de photos “éditoriales” avec ma meilleure amie. Nous avions mis du brillant à lèvres sur nos visages, et mes cheveux venaient s’y coller, se souvient-elle. Le processus chaotique de la préparation et de la réalisation m’avaient alors remplie d’une nouvelle forme d’excitation que j’ai associée, à l’époque et dès lors, à la photographie. » Dans le monde de Hanna Rédling, le regard est essentiellement porté vers la nostalgie postmoderne. When the water is stirred raconte ainsi cette perception de l’espace et du temps, à la fois familière et échappant au langage. Mais qu’est-ce que celle-ci dit de nous ? L’époque dans laquelle nous vivons est caractérisée en premier lieu par une grande imprévisibilité et par l’accélération du développement technologique. La nostalgie intervient dès lors dans notre cerveau comme un mécanisme de défense de la psyché. « Elle peut devenir un refuge, voire un bastion, dans un monde où nous vivons quotidiennement une perte de contrôle dans de nombreux domaines de la vie », soutient l’autrice, tout en s’interrogeant : « Quel rapport entretenons-nous avec cette évocation particulière du passé, à la frontière du virtuel et du réel ? »

Lorsque l’on fouille dans son propre passé, il en émerge souvent une forme de regret mélancolique. Et de la même manière que la gelée enveloppe les objets et tapisse les lieux qu’elle photographie, la nostalgie masque et embellit les expériences négatives. C’est également elle qui relie les rêves à la réalité, les souvenirs flous aux expériences quotidiennes, le virtuel au réel, le temps à l’espace… Les images de Hanna Rédling se font ainsi créatrices d’alternatives étranges et captivantes. Un masque brouillant le visage de l’un·e des modèles, une boule de cristal recouverte d’un liquide mystérieux, viennent nous rappeler que la mémoire aime nous jouer des tours, amplifier ou effacer nos souvenirs. Elle insinue que le passé demeure une « meilleure époque » que celle que nous vivons actuellement. La nostalgie est finalement peut-être ce que nous partageons le mieux : un imaginaire collectif qui vient façonner notre culture commune. En expérimentant en permanence avec les couleurs, les formes et les textures l’actrice affirme son propos : nos vies sont aussi imparfaites et imprévisibles qu’elles sont faites de plénitude. Alors, comme si un voile venait se poser sur ses images, son regard, empli d’un optimisme enfantin, vient envelopper les angoisses liées à l’imprévisibilité de l’avenir de notre monde.

© Hanna Redling© Hanna Redling
© Hanna Redling© Hanna Redling

© Hanna Redling

© Hanna Redling© Hanna Redling
© Hanna Redling© Hanna Redling

© Hanna Redling

© Hanna Rédling

Explorez
Wes Anderson à la Cinémathèque : quand le cinéma devient photographie
Kara Hayward dans Moonrise Kingdom (2012), image tirée du film © DR
Wes Anderson à la Cinémathèque : quand le cinéma devient photographie
L'univers de Wes Anderson s'apparente à une galerie d'images où chaque plan pourrait figurer dans une exposition. Cela tombe à pic : du...
22 février 2025   •  
Écrit par Cassandre Thomas
Javier Ruiz au rythme de Chungking
© Javier Ruiz
Javier Ruiz au rythme de Chungking
Avec sa série Hong Kong, Javier Ruiz dresse le portrait d’une ville faite d’oxymores. Naviguant à travers le Chungking Mansions et les...
21 février 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Juno Calypso : palais paranoïaque
© Juno Calypso. What to Do With a Million Years ? « Subterranean Kitchen »
Juno Calypso : palais paranoïaque
Dans sa série What to Do With a Million Years ? , la photographe britannique Juno Calypso investit un abri antiatomique extravagant non...
20 février 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
La sélection Instagram #494 : explosion de nuances
© Maria Louceiro / Instagram
La sélection Instagram #494 : explosion de nuances
Les artistes de notre sélection Instagram de la semaine s’approprient la couleur. En hommage aux beaux jours qui reviennent doucement...
18 février 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Wes Anderson à la Cinémathèque : quand le cinéma devient photographie
Kara Hayward dans Moonrise Kingdom (2012), image tirée du film © DR
Wes Anderson à la Cinémathèque : quand le cinéma devient photographie
L'univers de Wes Anderson s'apparente à une galerie d'images où chaque plan pourrait figurer dans une exposition. Cela tombe à pic : du...
22 février 2025   •  
Écrit par Cassandre Thomas
A Lost Place : Aletheia Casey évoque le traumatisme des feux australiens
© Aletheia Casey
A Lost Place : Aletheia Casey évoque le traumatisme des feux australiens
À travers A Lost Place, Aletheia Casey matérialise des souvenirs traumatiques avec émotion. Résultant de cinq années de travail...
21 février 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Javier Ruiz au rythme de Chungking
© Javier Ruiz
Javier Ruiz au rythme de Chungking
Avec sa série Hong Kong, Javier Ruiz dresse le portrait d’une ville faite d’oxymores. Naviguant à travers le Chungking Mansions et les...
21 février 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Karim Kal : paysages nocturnes de la Haute Kabylie
© Karim Kal
Karim Kal : paysages nocturnes de la Haute Kabylie
Le photographe franco-algérien Karim Kal a remporté le prix HCB 2023 pour son projet Haute Kabylie. Son exposition Mons Ferratus sera...
20 février 2025   •  
Écrit par Costanza Spina