Yann Datessen à la recherche du spectre de Rimbaud

16 août 2021   •  
Écrit par Joachim Delestrade
Yann Datessen à la recherche du spectre de Rimbaud

La série Rimbaud incarne cette liberté, ce destin que Yann Datessen a réussi à accomplir. Pendant quatre ans, le photographe a suivi les pas de l’écrivain, à la recherche de son héritage. Un projet qui se lit comme une volonté de transmettre l’œuvre rimbaldienne aux nouvelles générations. À découvrir aux promenades photographiques de Vendôme jusqu’au 30 août.

Dès son plus jeune âge, le photographe Yann Datessen a été exposé à toutes formes d’art : peinture, dessin, musique, littérature… Vers l’âge de onze ans, il découvre la photographie qui prend, petit à petit, plus de place dans sa vie jusqu’à devenir son métier. Peut-être a-t-il réussi à accomplir le même destin qu’une de ses influences, Nadar – d’abord dessinateur puis photographe. Le 8e art lui permet de raconter ce qu’il n’a pu exprimer avec les autres médiums. Cette réussite s’illustre à travers sa série Rimbaud. Admirateur de Baudelaire, Céline, Bukowski, ou encore Primo Lévi, le photographe puise son inspiration dans la littérature. Mais c’est à Rimbaud que Yann Datessen a réellement dédié sa vie.

Lorsqu’il était en sixième, l’artiste habitait dans des barres HLM à Massy-Palaiseau. Un jour, alors qu’il se rendait chez son meilleur ami sénégalais, il découvre des murs décorés de tapisseries de faune et flore issues de jungles équatoriales. Au milieu de tout cet écosystème trônait un portrait. Yann demande alors au père de son ami qui était ce jeune homme, qui lui répond : « C‘est Rimbaud, le plus grand poète de tous les temps ». Intrigué, il se plonge rapidement dans le célèbre recueil de poèmes Une saison en enfer. Si, sur le moment, la poésie baudelairienne le marque davantage, l’œuvre de Rimbaud l’éblouit finalement quelques années plus tard. 

© Yann Datessen© Yann Datessen

Une quête spirituelle

À la fin de sa trentaine, le photographe se questionne. Des interrogations principalement métaphysiques et rimbaldiennes : pourquoi continuer à faire de l’art ? À quoi sert-il ? Une remise en cause qui éveille en lui le besoin de fuir son quotidien, ses obligations, la ville, et le bruit. Lui vient alors l’idée de réaliser un rêve d’enfant : suivre le parcours emprunté autrefois par le grand poète. Il passe six mois dans la communauté anarchiste Christiana à Copenhague. Peu de temps après, il lit Dans les forêts de Sibérie de Sylvain Tesson. À ces deux évènements s’ajoute l’influence du déterminisme, quelque peu paradoxal, de Rimbaud – sa faculté à choisir ce que l’on est, ce que l’on devient et ce à quoi on aspire – la liberté. L’aventure commençait.

Pour vivre ce périple à la manière d’un romantique, Yann Datessen a imité les premières fugues de Rimbaud, dormant dans la forêt, en plein octobre, pendant sa marche de Charleville-Mézières jusqu’à Charleroi, traversant ruines, blockhaus, fonderies fermées et terres appauvries. La misère de ce territoire, qu’il qualifie de « territoire maudit », marque le photographe. Mais le romantisme ne dure pas toujours, et il en fait l’expérience. Comme le poète, Yann Datessen gravit le col Saint-Gothard en Suisse, à pieds sous la pluie, mais surtout en « mode touriste », quand Rimbaud, lui, le traversait sous une tempête de neige. Un lieu qui marque Yann Datessen car il symbolise l’un des derniers endroits où les correspondances de Rimbaud flamboient, dévoilant une certaine poésie et un lyrisme avant de chuter vers des lettres froides – envoyées à sa mère et à sa sœur. Cette marche que le photographe prolonge durant quatre ans l’aide à trouver son but : demeurer libre, se chambouler, mais surtout, ne pas rester assis.

© Yann Datessen© Yann Datessen

Accomplir son destin

Le photographe souhaitait illustrer, à travers ses images « l’insoutenable légèreté d’une vie ». Faire le portrait des descendants du poète. Pourquoi Rimbaud s’est-il arrêté d’écrire à vingt ans ? Pourquoi n’a-t-il pas embrassé la même destinée que son amant Verlaine ? En images, Yann Datessen essaie de répondre à ces questions. De comprendre pourquoi on « refuse cette vie de bourgeois ». Ses rencontres au fil du voyage lui ont permis de dialoguer avec des jeunes qui souhaitent reprendre les affaires familiales, qui se sentent bien dans leur monde et ne veulent en sortir. Leur parler de Rimbaud a été une façon pour lui de leur transmettre ses valeurs : le partage, la liberté et le voyage. Les encourager à embrasser et à accomplir leur destin car « après tout, la vie demeure tragique, celle-ci peut se terminer très rapidement, sans raison ou même dans un désert (suite à ses longues marches, le poète développe un cancer de la jambe et rentre à Marseille le 20 mai 1891 pour se faire soigner. Il meurt le 10 novembre de la même année, NDLR) ». Ce qui compte pour Yann Datessen est non la destination, mais le voyage. 

Un parcours qui n’est pas facile à assumer dans une région marquée par les fantômes de la guerre franco-prussienne, et des deux guerres mondiales. Le territoire affecte même les générations qui n’ont connu aucun conflit. « Les Ardennes transpirent le drame » selon Yann Datessen. Là-bas, tout s’appelle Rimbaud. Les enfants sont submergés par ce nom, l’identité de ce spectre, sans même savoir qui il est réellement. Peut-être que le photographe incarne-t-il pour ces jeunes le précepteur qui leur fit découvrir qui était ce poète – leur ancêtre après tout… « Le contraste est frappant entre une région où des enfants souhaitent reprendre la fonderie familiale, et les étudiants parisiens », ajoute-t-il. Ce voyage a été pour lui l’occasion de vérifier de ses yeux pourquoi la « France ne donne pas leur chance aux jeunes ». Dans Rimbaud, Yann Datessen conte cette aventure, et comme la sienne – sa solitude durant quatre ans. Ce voyage lui a permis de défendre l’ennui face aux jeunes, à être seul, seul et heureux. Car être heureux, c’est ne jamais s’asseoir. 

 

Rimbaud est à découvrir aux promenades photographiques de Vendôme jusqu’au 30 août.

© Yann Datessen© Yann Datessen

© Yann Datessen

© Yann Datessen© Yann Datessen
© Yann Datessen© Yann Datessen

© Yann Datessen

© Yann Datessen© Yann Datessen

© Yann Datessen© Yann Datessen

© Yann Datessen

Explorez
Samuel Bollendorff : comment alerter sur la crise écologique ?
#paradise - curateur : Samuel Bollendorff.
Samuel Bollendorff : comment alerter sur la crise écologique ?
Le festival de photojournalisme Visa pour l’image revient pour sa 37e édition jusqu'au 14 septembre 2025. Parmi les 26 expositions...
12 septembre 2025   •  
Écrit par Lucie Donzelot
Les coups de cœur #557 : Jeanne-Lise Nédélec et  Stéphanie Labé
Respirer © Jeanne-Lise Nédélec
Les coups de cœur #557 : Jeanne-Lise Nédélec et Stéphanie Labé
Jeanne-Lise Nédélec et Stéphanie Labé, nos coups de cœur de la semaine, voient dans les paysages naturels un voyage introspectif, une...
01 septembre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Inuuteq Storch : une photographie inuit décoloniale
Keepers of the Ocean © Inuuteq Storch
Inuuteq Storch : une photographie inuit décoloniale
Photographe inuit originaire de Sisimiut, Inuuteq Storch déconstruit les récits figés sur le Groenland à travers une œuvre sensible et...
30 août 2025   •  
Écrit par Costanza Spina
FLOW, le nouveau rendez-vous photographique en Occitanie
© Chiara Indelicato, L'archipel, Bourses Ronan Guillou, 2024
FLOW, le nouveau rendez-vous photographique en Occitanie
Du 20 septembre au 30 octobre 2025, The Eyes inaugure, en Occitanie, la première édition de FLOW, un parcours inédit consacré à la...
27 août 2025   •  
Écrit par Cassandre Thomas
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Ekaterina Perfilieva et l'intime au cœur de la fracture
© Ekaterina Perfilieva, Nocturnal Animals
Ekaterina Perfilieva et l’intime au cœur de la fracture
À la fois distante et profondément engagée, Ekaterina Perfilieva, artiste multidisciplinaire, interroge une contemporanéité...
17 septembre 2025   •  
Écrit par Milena III
Le 7 à 9 de Chanel : Valérie Belin et la beauté, cette quête insoluble
© Valérie Belin
Le 7 à 9 de Chanel : Valérie Belin et la beauté, cette quête insoluble
L’heure des rencontres « 7 à 9 de Chanel » au Jeu de Paume a sonné. En cette rentrée, c’est au tour de Valérie Belin, quatrième invitée...
16 septembre 2025   •  
Écrit par Ana Corderot
La sélection Instagram #524 : espaces intimes
© Sara Lepore / Instagram
La sélection Instagram #524 : espaces intimes
La maison se fait à la fois abri du monde et porte vers le dehors, espace de l’intime et miroir de nos modes de vie. Les artistes de...
16 septembre 2025   •  
Écrit par Lucie Donzelot
5 coups de cœur qui témoignent d'un quotidien
I **** New York © Ludwig Favre
5 coups de cœur qui témoignent d’un quotidien
Tous les lundis, nous partageons les projets de deux photographes qui ont retenu notre attention dans nos coups de cœur. Cette semaine...
15 septembre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet