Zoé Chauvet, archiviste et philosophe de son époque

06 février 2023   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Zoé Chauvet, archiviste et philosophe de son époque

Croisant abstractions colorées et portraits délicats, Zoé Chauvet développe une archive intimiste de son propre univers. Une manière pour la photographe de prouver qu’elle – et que sa communauté – existent et ne cesseront d’exister.

Diplômée des Arts Décoratifs de Paris, Zoé Chauvet se définit comme une artiste photographe et vidéaste « qui partage son temps entre production et installation d’images et organisation d’expositions ». Des activités lui permettant d’occuper l’espace tout en l’apprivoisant et l’appréhendant. Expérimentations visuelles, œuvres érigées, territoires déconstruits… De cette richesse, elle puise une vision singulière, et interroge, module, révèle un environnement partagé dont elle parvient à extraire l’essence extraordinaire. C’est en 2017, alors qu’elle rejoignait l’équipe de la Carte Son – un média centré autour de l’actualité musicale parisienne – que l’autrice s’est lancée dans la photographie. Alors chargée de produire des images pour divers articles et événements, elle s’immerge dans le monde de la nuit et capte, à coups de flash, son énergie. « Je crois qu’à ce moment-là, je considérais mon travail comme une simple archive du moment présent. J’étais très inspirée par les clichés de Nan Goldin et Wolfgang Tillmans, qui témoignent, par l’outil photographique, d’une génération en marge et engagée », se souvient-elle.

Une archive qu’elle ne cesse depuis de développer, de raffiner. Entre jeux de couleurs, nuanciers sensibles et doux portraits, Zoé Chauvet propose aujourd’hui une collection conséquente d’instants aussi mémorables que fugaces. Un instantané de « la mutation subtile des identités et des corps de celles et ceux qui [l]’entourent : ami·es, amant·es et rencontres », précise-t-elle.

© Zoé Chauvet© Zoé Chauvet

La mémoire, c’est le pouvoir

Des taches de couleurs vives aux regards contemplatifs de modèles anonymes, des arabesques nervurées d’un bois aux doubles expositions nostalgiques, Zoé Chauvet croise abstraction et documentaire pour sublimer son récit. « En parallèle de la dimension sociologique de la photo, les recherches autour de la technique de prise de vue, de tirage et de développement sont centrales dans ma pratique, et apportent à mon sens un poids à la notion d’un médium photographique comme forme totale de représentation du monde », explique-t-elle. Une œuvre artistique complète qui se frotte même à la performance, puisque les expérimentations poussent l’autrice à créer à même l’image, effaçant ainsi sa version originelle. « C’est une action qui permet d’embrasser la double identité de notre nature humaine, à la fois créatrice et destructrice », affirme-t-elle.

Guidée par cette certitude, Zoé Chauvet fait évoluer son propre rôle. De simple archiviste, elle devient philosophe, et s’arme de son objectif pour mieux comprendre le vivant et ses fascinants contrastes. « La photographie est à mes yeux à la fois une science et une subjectivisation du monde. Je crois que cette ambiguïté m’a toujours animée : la perfectibilité et l’étude de la technique, puis la production d’images qui poussent à la poésie », confie-t-elle. Une poésie tantôt discrète, tantôt criante, dédiée à ses proches, comme aux communautés qui lui sont chères. Car en repoussant les frontières du médium, en jouant avec sa dimension conceptuelle, l’artiste rend en contrepoint hommage à la notion de genre, changeante et fluctuante, tout comme sa photographie. Et, de cette liberté jaillissent des preuves d’existence qui perdurent et qui comptent. « À mon sens, la mémoire, c’est le pouvoir. Disposer d’archives, c’est pouvoir dire : on existe, on a une histoire commune. Cela permet de se rappeler des luttes passées pour pouvoir construire celles qui viennent », déclare l’autrice. Entre mysticisme et engagement, fragments chimériques et visions réalistes, Zoé Chauvet propose finalement une mosaïque actuelle, ancrée dans un présent déterminant. Au cœur de ses nuances nébuleuses et de ses portraits intimistes, elle ancre un message atemporel qui résonne et s’étend, à l’image des aquarelles vives qui forment ses images :

« Dans un monde où nous n’existons que passées sous silence, au propre dans la réalité sociale au figuré dans les livres, il nous faut donc, que cela nous plaise ou non, nous constituer nous-mêmes, sortir comme de nulle part, être nos propres légendes dans notre vie, nous faire nous-mêmes être de chair » – Monique Wittig, dans « Le Point de vue, universel ou particulier », La pensée Straight (le Rayon-Balland, 2001).

© Zoé Chauvet© Zoé Chauvet

© Zoé Chauvet

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