Zombies picturaux et autres expériences plastiques

20 septembre 2021   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Zombies picturaux et autres expériences plastiques

L’artiste français Jean-François Lepage développe, depuis plusieurs années Genèse, un travail monolithique croisant photographie et peinture. Un corpus amenant le regardeur à interroger sa vision du beau.

« Ce n’est pas tant le style ou la forme des œuvres des artistes qui m’attirent, mais plutôt la forme de vérité qu’elles dégagent. Comme si, au-delà de l’esthétique, il y avait un autre phénomène encore plus important qui en émanait et nous touchait. Que ce soit pour quelques secondes ou toute une vie, peu importe : ça nous construit »

, confie Jean-François Lepage. Peintures sur images, clichés griffés, gravés, déchirés, envolées abstraites… L’artiste français croise les arts et construit une œuvre personnelle – Genèse – aux formes multiples et à la beauté atypique.

C’est par le prisme de la photographie de mode que l’auteur s’initie au médium. D’abord assistant, il obtient, dès ses premières années dans le milieu, des parutions au sein de grands magazines, qui lui permettent de se faire un nom. « Puis, vers 26-27 ans, je me suis senti frustré. Je poussais de plus en plus loin mes projets, et je commençais à voir mes images refusées. J’ai donc arrêté radicalement la photographie pour me mettre à la peinture – et ce jusqu’à l’âge de 40 ans. Après la naissance de mon deuxième enfant, j’ai retrouvé le 8e art, durant environ 14 ans. Aujourd’hui, je me concentre sur ma propre production : un travail plastique, à la fois photographique et pictural », résume-t-il. Autodidacte, mais issu d’une famille d’artistes, Jean-François Lepage a grandi au contact des grands maîtres. Des influences diverses qui ont développé son amour de l’esthétique, sa sensibilité artistique. Bosh, Matisse, Picasso, Luca Signorelli, mais aussi Penn, Bourdin, Newton, William Eggleston, « et ma photographe préférée : Diane Arbus »… Autant d’auteurs emblématiques qui façonnent ses œuvres, et forment son œil. Car, pour l’artiste, la création se vit comme une passion. Une activité dévorante, qui demande un dévouement total, un amour sans faille.

© Jean-François Lepage

La pente du « non beau »

« Je n’ai jamais été capable de concilier travaux personnels et commandes. Il m’a toujours fallu arrêter l’un pour me consacrer à l’autre. Je ne peux pas être schizophrène comme cela, j’en suis incapable intellectuellement »

, confie l’auteur. Initiée en 2014, Genèse est un corpus de plusieurs projets, en cours de développement. Un recueil de tableaux photographiques, où les images d’archives se colorent sous les touches de gouache, où les visages se déforment, et les détails grotesques apparaissent à l’aide de couleurs et de rainures. Une collection permettant à Jean-François Lepage de donner une seconde vie à ses anciens shootings de mode. « Ces images proviennent toutes de mes archives. Ce sont des tirages originaux que je détruis, en quelque sorte. Si j’ai adoré faire de la mode, j’ai toujours considéré que ces photos étaient faites pour exister dans un magazine. Les retravailler ainsi, les utiliser comme matière brute devient alors intéressant, et artistiquement passionnant », explique-t-il.

Des aplats sombres et abstraits de « Cent Vingt-Neuf Jours sur Terre » aux portraits cubistes de « Prélude », en passant par les créations effrayantes de « Zombie » – qui évoquent les corps décharnés d’Egon Schiele – les chapitres qui composent Genèse forment un tout captivant. Un recueil illustrant la vision du beau promulguée par l’artiste. « J’ai besoin que l’équilibre se situe justement plutôt sur la pente du « non beau ». Si l’on cherche toujours une certaine pureté dans l’art, je préfère essayer de trouver quelque chose qui va parler à nos sens plutôt qu’à notre cerveau. Lorsqu’on essaie de décaler l’équilibre de l’esthétique, on parvient à exprimer des choses plus personnelles, qui n’ont pas été exprimées avant », poursuit-il. Prenant le contrepied des « tendances » aperçues sur les réseaux sociaux, ou dans la pop culture – le thème du mort-vivant, par exemple – Jean-François Lepage s’approprie des thématiques et leur insuffle une grâce hypnotique. Face à ses créations, l’esprit s’évade, flirte avec la vie, la mort, l’attirance et la répulsion, et réinvente les codes du « plaisant ». Une œuvre plastique, où la matière remplit l’image pour mieux la transcender, où l’attendu se fait incertain, tandis que la splendeur froide de la mode s’efface, lentement, sous les coups de pinceau.

© Jean-François Lepage

© Jean-François Lepage

© Jean-François Lepage© Jean-François Lepage

© Jean-François Lepage© Jean-François Lepage© Jean-François Lepage© Jean-François Lepage

© Jean-François Lepage© Jean-François Lepage

© Jean-François Lepage

Explorez
Les photographes montent sur le ring
© Mathias Zwick / Inland Stories. En jeu !, 2023
Les photographes montent sur le ring
Quelle meilleure façon de démarrer les Rencontres d’Arles 2025 qu’avec un battle d’images ? C’est la proposition d’Inland Stories pour la...
02 septembre 2025   •  
Écrit par Lucie Donzelot
Volcan, clip musical et collages : nos coups de cœur photo d’août 2025
© Vanessa Stevens
Volcan, clip musical et collages : nos coups de cœur photo d’août 2025
Expositions, immersion dans une série, anecdotes, vidéos… Chaque mois, la rédaction de Fisheye revient sur les actualités photo qui l’ont...
29 août 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Contenu sensible
Focus #80 : Sofiya Loriashvili, la femme idéale est une love doll
06:31
© Fisheye Magazine
Focus #80 : Sofiya Loriashvili, la femme idéale est une love doll
C’est l’heure du rendez-vous Focus ! Alors que sa série Only You and Me se dévoilera prochainement sur les pages de Sub #4, Sofiya...
27 août 2025   •  
Écrit par Lou Tsatsas
La sélection Instagram #521 : monstres et merveilles
© Jean Caunet / Instagram
La sélection Instagram #521 : monstres et merveilles
Les monstres, les créatures étranges et hors normes sont souvent associés au laid, au repoussant. Les artistes de notre sélection...
26 août 2025   •  
Écrit par Lucie Donzelot
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Les images de la semaine du 1er septembre 2025 : le pouvoir des images
© Julie Wintrebert, Crazy Beaches, 2024 / courtesy of the artist and festival Les Femmes et la mer
Les images de la semaine du 1er septembre 2025 : le pouvoir des images
C’est l’heure du récap ! Cette semaine, pour la rentrée, les pages de Fisheye se mettent au rythme du photojournalisme, des expériences...
Il y a 5 heures   •  
Écrit par Marie Baranger
Prix Viviane Esders : éclairer des trajectoires photographiques
© Bohdan Holomíček
Prix Viviane Esders : éclairer des trajectoires photographiques
Créé en 2022, le Prix Viviane Esders rend hommage à des carrières photographiques européennes souvent restées dans l’ombre. Pour sa...
06 septembre 2025   •  
Écrit par Costanza Spina
Sandra Calligaro : à Visa pour l'image, les Afghanes sortent de l'ombre
Fahima (17 ans) révise dans le salon familial. Elle suit un cursus accessible en ligne sur son smartphone. Kaboul, Afghanistan, 24 janvier 2025. © Sandra Calligaro / item Lauréate 2024 du Prix Françoise Demulder
Sandra Calligaro : à Visa pour l’image, les Afghanes sortent de l’ombre
Pour la 37e édition du festival Visa pour l’Image à Perpignan qui se tient jusqu’au 14 septembre 2025, la photojournaliste Sandra...
05 septembre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Fisheye #73 : vivre d'Amour et d'images
© Jenny Bewer
Fisheye #73 : vivre d'Amour et d’images
Dans son numéro #73, Fisheye sonde les représentations photographiques de l’amour à l’heure de la marchandisation de l’intime. À...
05 septembre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger