Parfois, l’objectif tient lieu de kaléidoscope fantasque et le photographe se confronte à la couleur ; exercice délicat s’il en est puisqu’il dépend d’une fragile mais capricieuse chorégraphie d’ombres et de lumières. Le fugace le dispute à l’éphémère ; le furtif se joue de l’instant décisif. « Il ne faut pas approcher de la couleur comme on entre dans un moulin, (…) il faut une sévère préparation pour être digne d’elle », avertit sentencieux le fauve Matisse tandis que le peintre James Ensor, plus trivial, rapportait une étrange querelle de voisinage : « Mesdames les couleurs mal placées se disputent à outrance, en voisines terribles, difficiles. La guerre interminable des deux roses dure encore. Mademoiselle Vermillon pousse au noir devant Madame Blanc d’argent, Madame Laque de Chine se fâche tout rouge devant Monsieur Bleu Destrée, Monsieur de Cadmium pousse au canari quand Mademoiselle Bitume coule de source. Pour un rien, MM. les Verts se grisent ou passent au bleu. Madame Rouge anglais et Monsieur du Carmin neutralisent leurs essences. Comment diriger ce beau monde rebelle ? »
Question essentielle pour le photographe, qui, à la différence du peintre, ne peut jouer avec les pigments sortants de ses tubes de couleurs. Sa palette, c’est le monde, et l’appareil photo devient l’œil au bout des doigts. On imagine aisément les couleurs en bikers rebels faisant vrombir leurs contrastes en tentant d’échapper – en nobles fugitifs – au shérif photographe sur des routes poussiéreuses ; ou bien en accords dissonants mais néanmoins mélodieux défiant malicieusement le chef d’orchestre ; en d’exotiques papillons fuyant narquois l’entomologiste et son filet. Alors, dans cette profusion, comment éviter la cacophonie chromatique ? Il s’agit de trouver un talentueux architecte en la personne de Stéphane Mahé.