« La photographie a besoin de médiateurices et de contexte, elle ne s’interprète pas facilement. Souvent, trop de sophistes nous imposent des cloisonnements artificiels. Les images mises dans des cases deviennent des castes. Fisheye a été créé voici près de douze ans avec cette idée de faciliter l’accès à la photographie, d’élargir les horizons et de s’opposer aux conventions. Ce parti pris ne plaît pas à tout le monde. On le sait, les conservateur·ices n’aiment pas le changement », affirme Benoît Baume, fondateur du magazine dans l’édito de notre dernier numéro. Sorti à l’occasion du mois parisien de la photo, Fisheye #68 fait la part belle aux évènements fleurissants aux quatre coins de la capitale : Paris Photo, PhotoSaintGermain, la création du réseau Lux, mais aussi l’exposition collective de notre galerie au 78, rue du Temple, du 6 au 10 novembre, et la sortie prochaine du livre d’Audrey Tautou, Superfacial, à paraître aux éditions Fisheye.
Cette volonté d’élargir les horizons tout en encourageant la création émergente, de soutenir les jeunes auteurices qui continuent de nous surprendre est également soulignée au cœur de notre cahier central. Justin Bieber, Amy Winehouse, Stromae… Dans Strass, projet au long cours initié il y a plus de cinq ans, Ljubiša Danilović suit le quotidien de ces sosies de stars, entre productions extravagantes et quotidien ordinaire. Fascinée par la collection d’images de la New York Public Library, Tamara Janes imagine une manière singulière de lui rendre hommage : retoucher ses trésors jusqu’à l’annulation de leur copyright. Un processus créatif faisant émerger une œuvre de la déconstruction d’une autre. Juxtaposant des vues aériennes à des clichés d’architectures en ruines, Tiphaine Populu de La Forge illustre, quant à elle, avec subtilité le concept de solastalgie – un sentiment de détresse face au dérèglement climatique. Tout en échos et résonances, elle allie intimité et universalité pour témoigner de l’urgence de la situation.
Dans la lignée d’Éthanol, publié dans Fisheye #54, Nicolas Serve poursuit, avec Les Abîmés, une série de portraits touchants d’addicts, tentant comme ils peuvent de combattre leur inclinaison pour l’alcool, la drogue, ou même les médicaments. Un récit poignant mettant en lumière ces « vies cabossées » qui nous semblent, à toustes, tristement familières. Lauréate du Prix Fisheye x InCadaqués de la photographie féminine, Sasha Mongin livre, avec Le mourant qui ne mourrait pas, un tendre hommage à son père, contaminé par le VIH lors d’une transfusion sanguine. Toujours vivant malgré les pronostics, il habite chaque image, chaque souvenir d’archive que la photographe réinterprète avec poésie. Enfin, c’est à Lourdes qu’Élie Monferier réalise Sanctuaire, l’ultime chapitre de sa trilogie s’imprégnant des espaces que la mort touche particulièrement. Dans des monochromes sombres et granuleux, il dit la force de la dévotion et l’impact des strates de souffrances qui imbibe les pavés de la ville au célèbre pèlerinage.