À l’occasion de la journée mondiale de sensibilisation à l’autisme, découvrez l’ouvrage Lilou de Lucie Hodiesne Darras, publié aux Éditions Fisheye. Un livre touchant consacré à son frère autiste, qui reflète tout l’amour et la fierté qu’elle lui porte.
« À la maison, on documentait beaucoup nos souvenirs, les instants drôles passés ensemble… J’ai toujours pris des photos de mon frère, mais sans jamais vraiment avoir l’idée d’en faire un projet. En première année à Gobelins, on nous a proposé de créer une histoire en 36 poses. Instinctivement, j’ai eu envie de raconter l’histoire d’Antoine, de documenter sa journée… Et je n’ai pas su me montrer patiente : au bout d’une quinzaine d’images, j’ai développé. Incapable d’attendre, comme une enfant qui déballe ses cadeaux de Noël, j’ai découvert mes propres photos. C’était dans le RER, et je me suis mise à pleurer. J’étais très émue, je voyais l’amour que j’éprouvais pour mon frère, la manière dont il s’était inscrit sur le papier. Je me suis dit : on tient un truc, on va construire quelque chose de fort », se remémore Lucie Hodiesne Darras. Nous sommes fin 2017, lorsque la jeune photographe, encore étudiante, se lance dans la composition de Lilou. Cinq ans, et « entre 3 000 et 4 000 photos » plus tard, le tendre récit d’une collaboration fraternelle, d’une relation fusionnelle, prend forme sur les pages d’un ouvrage siglé Fisheye Éditions. Un projet au long cours, d’abord animé par l’amour que porte l’artiste à sa famille, mais aussi par une volonté : celle de parler de l’autisme, de lever les tabous qui entourent ce trouble et d’aider les lecteur·ices à mieux connaître ses symptômes. Car si aujourd’hui des voix d’expert·es s’élèvent pour éclairer la lanterne du grand public, quand Antoine naît, ce handicap demeure bien mystérieux. « Lorsqu’il a été diagnostiqué, les représentations étaient dichotomiques : on songeait au mythe de l’enfant sauvage, ou bien à celui du savant Asperger. On ignorait le spectre de l’autisme, rappelle Lucie Hodiesne Darras. Petit à petit, les informations nous sont arrivées, bien que toujours lacunaires. Des personnages de séries – comme Sheldon Cooper de Big Bang Theory, ou Sherlock Holmes, d’une certaine manière – ont apporté différentes clés de compréhension, et permis aux spectateur·ices de reconnaître la personne derrière le trouble. »
© Fisheye Éditions
La lettre d’amour d’une petite sœur à son frère
Dès les balbutiements du projet, Lilou se construit comme une collaboration, un dialogue entre l’artiste et sa muse. « S’il ne communique pas avec le langage, mon frère comprend tout ce qu’on lui dit. Je lui ai expliqué que je voulais que le grand public découvre son quotidien, sache qui il était vraiment. Je voulais le révéler comme une rockstar ! », s’amuse l’autrice. Conquis, Antoine se prête au jeu, se place, attend que sa sœur déclenche, se tourne vers elle en quête d’un signe, sourit pour l’encourager… Et l’aide parfois même à départager deux clichés. « C’est lui qui donne le tempo. Moi, je m’adapte à son timing », résume-t-elle simplement. Une entente intuitive, nourrie par la profonde confiance que ces deux-là partagent. Comme un flot incessant, les instants se succèdent, les portraits s’accumulent et forment une mosaïque complexe de l’homme derrière le trouble, fascinant dans son charisme et sa complexité. « Je n’entendais pas donner montrer les notions d’exclusion ou de santé qui vont de pair avec l’autisme, mais bien l’humain avant tout », précise la photographe. Une honnêteté troublante, qui émane des pages du livre et qui touche en plein cœur. L’objet lui-même renvoyant à la notion d’histoire et d’album de famille : écrin intime et sincère d’un père, d’une mère et de leurs enfants, qui interagissent en se laissant guider par leur seule affection. « Il y a beaucoup d’intuition et d’alchimie dans ce projet. Une connexion qui va bien au-delà des mots », affirme Lucie.
Lilou se lit donc comme la lettre d’amour d’une petite sœur, « louve protectrice » devenue « coéquipière », à son frère, comme une fable universelle inspirée de l’humain et de ses bizarreries, mais aussi comme le récit initiatique d’une créatrice parvenant à voler de ses propres ailes. Des esquisses timides, factuelles, documentent un ordinaire atypique au dialogue muet et intense de deux êtres. L’ouvrage déborde d’une poésie touchante, dont les envolées lyriques ne se lisent pas, mais se ressentent. Une œuvre thérapeutique dont on ne peut ressortir indemne.
Cet article est à retrouver en intégralité dans le Fisheye #58
Lilou, Lucie Hodiesne Darras, Préface de Minh Tran Huy, Éd. Fisheye, 35 euros, 160 p.
© Fisheye Éditions