Cette semaine, plongée dans l’œil de Laura Chen. Durant la Révolution de Mao, son grand-père fuit sa Chine natale et le massacre de sa famille pour s’installer aux Pays-Bas. Là-bas, il rencontre sa femme et ouvre son restaurant, débutant une nouvelle vie, loin de son pays d’origine. Fascinée par son héritage, la photographe croise les techniques et les médiums pour tenter de comprendre, pour lisser les plis de la mémoire. Pour Fisheye, elle revient sur l’un des souvenirs qu’elle s’est réappropriés dans Words from Dad.
« L’illustration de ce temple était le logo du restaurant de mon grand-père. Il en décorait le menu, tout comme ses petits sachets de sucre. Cette image est inspirée par sa maison d’enfance, en Chine. Mon père m’en parlait ainsi : « Lorsque j’étais petit, j’ai souvent demandé à mon père à quoi ressemblaient ses premières années, et s’il avait envie de retourner dans son pays natal. Il ne l’a jamais souhaité. Je pense qu’il était traumatisé par le souvenir de sa famille, assassinée. Son neveu, Bun Chen, lui, y est retourné. En rentrant, il a montré à mon père des photos de son foyer. La maison et le temple sont toujours dans leur état d’origine, avec le même intérieur. En 1959, mon père a obtenu la nationalité néerlandaise. Il a également appris qu’il pouvait devenir propriétaire de cette maison, mais n’a jamais passé le cap. »
Il est étrange de me dire que la maison de mon grand-père existe toujours, quelque part, dans les montagnes. Comme une illustration de contes de fées – à la manière de cette image – dont on aurait pu hériter et y habiter. Nos vies auraient été complètement différentes. Ce collage se lit comme une métaphore des choix que nous faisons. Mon grand-père regarde l’horizon, ses enfants à ses côtés. Il vit sa nouvelle vie, sur une plage néerlandaise, ses pieds dans la mer du Nord, tournant le dos au temple et laissant son passé derrière lui. »
© Laura Chen