La Résidence 1+2, l’ADAGP et le CNRS viennent de révéler le lauréat du Prix Photographie & Sciences : Richard Pak. Lumière sur le projet de celui qui se définit lui-même comme étant un « islomane ».
Il y a quelques mois, la Résidence 1+2 lançait sa toute première édition du Prix Photographie & Sciences, initié par Philippe Guionie, délégué général du prix. L’objectif ? Aider un ou une artiste à achever un projet qui entremêle les deux disciplines. Après avoir écumé un certain nombre de candidatures, la Résidence – accompagnée de l’ADAGP, du CNRS, mais également des partenaires médias Sciences et Avenir La Recherche et Fisheye, et notamment d’Héloïse Conésa, conservatrice du patrimoine en charge de la collection de photographie contemporaine au département des estampes et de la photographie de la Bibliothèque nationale de France, et Fannie Escoulen, cheffe du département de la Photographie au sein de la Direction générale de la création artistique du ministère de la Culture – a présélectionné un total de dix-sept auteurs. Le jury s’est ensuite réuni, le 13 octobre dernier, et s’est accordé sur un nom : Richard Pak. L’heureux élu remporte ainsi un chèque de 7000 €. Une coquette somme dont l’emploi est déjà tout trouvé.
Il faut dire que le nouveau projet de Richard Pak s’inscrit dans une série ambitieuse, pensée comme « l’anthologie d’un cycle insulaire ». Intitulé Les Îles du désir – Chapitre II, ce deuxième volet montrera les paysages ravagés de Nauru, état insulaire d’Océanie, situé en Micronésie, le moins visité au monde, dévasté par une extraction abusive de phosphate. Et se rendre dans une contrée reculée, difficilement accessible, a un coût. La somme lui permettra donc de couvrir une partie des dépenses liées au voyage et à l’hébergement sur place. Mais en attendant que ce chapitre ne voie le jour, retour sur les prémices d’une entreprise dépaysante.
Une fascination incontrôlable pour les îles
« J’aime bien m’essayer à d’autres médiums. J’ai coutume de dire que la photographie est ma langue maternelle et qu’au fil de ma pratique, j’en ai appris d’autres, étrangères, telles que la vidéo ou le storytelling, que j’utilise de temps à autre », déclare Richard Pak. Parmi ces langages appris sur le tas figure également la science. Pour le photographe français, adopter une approche transdisciplinaire ne relève donc pas de suite de l’évidence. Il s’agit plutôt d’un concours de circonstances, comme on en retrouve beaucoup dans ses projets.
L’idée de travailler sur les îles lui est venue il y a quelques années, lorsqu’il découvre un texte de Raymond Rallier du Baty. Dans ce récit de voyage, l’explorateur du début du XXe siècle fait escale à Tristan da Cunha. Il raconte alors la vie insulaire de ce territoire habité, situé au beau milieu de l’Atlantique Sud. Là-bas, tous les hommes sont libres et égaux, les profits sont partagés équitablement, il n’y a pas de chef. Ces principes utopiques intriguent Richard Pak : le premier acte de son cycle, La Firme, est né. L’insularité se transforme, dès lors, en « une sorte d’obsession ». Il devient, selon ses mots, « islomane », un terme qu’il emprunte à Lawrence Durell et qui désigne celles et ceux qui souffrent d’une fascination incontrôlable pour les îles. C’est au gré de ses recherches qu’il découvre ensuite Nauru, futur théâtre de ses expérimentations photographiques.
Sacrifier les négatifs dans le phosphate
Richard Pak commence à concevoir Les Îles du désir avant même que la création du Prix Photographies & Sciences soit annoncée. Nauru, tout comme Tristan da Cunha, est un exemple de surinsularité. Pourtant, hasard bienheureux pour l’auteur, les deux îles s’opposent en tout point. Son premier sujet d’étude n’a jamais subi les affres de la main destructrice de l’être humain. Nauru, quant à elle, n’a pas eu cette chance. À l’inverse, l’atoll a abrité l’un des plus grands désastres du XXe siècle. La terre idyllique, vêtue d’un épais manteau de verdure, substitue désormais un désert stérile. Il est alors impossible de nier les effets ravageurs de l’anthropisation. « J’aime partager les choses qui me fascinent ou que je ne comprends pas. Je pense que l’artiste pose des questions, tandis que le scientifique y répond. » C’est là que le savoir vient éclairer les obscurités de l’image. S’il ne se considère pas comme un photojournaliste, Richard Pak se demande quelles justifications pourront apporter les sciences humaines. Mais pour l’heure, il désire saluer un eldorado, condamné à ne plus être qu’un Éden dissolu.
« Utiliser de l’acide m’a semblé logique. Plus qu’une envie esthétique, il est nécessaire. Quand on sacrifie les négatifs dans le phosphate, on ne peut plus revenir en arrière. Il en va de même pour Nauru », explique le photographe. Car la mine de phosphate est à la fois le trésor et la boîte de Pandore de cette région isolée. Ce sel, surexploité, lui a permis de s’enrichir, mais l’a également conduite à sa propre perte. Grâce à sa sœur, agrégée de chimie, Richard Pak a ainsi pu se procurer de l’acide phosphorique. Les images primitives y seront plongées. Grâce à la Résidence 1+2, les chercheurs du CNRS l’aideront à développer davantage de techniques. De cette façon, les effets créés, plus variés, abîmeront sinon sublimeront Les Îles du désir de multiples manières. Richard Pak projette déjà son deuxième chapitre comme un travail photographique et plastique, associant paysages et portraits, couleurs et clichés en noir et blanc. Malgré les oscillations stylistiques, le fond et la forme se rejoindront toujours. L’hommage sera absolu.
© Richard Pak