Perçue comme une terre maudite plongée dans la misère, où se multiplient les catastrophes naturelles, Haïti cache pourtant un potentiel important. Corentin Fohlen, photoreporter français, a souhaité en montrer un autre visage dans sa série intitulée Les possibilités d’une île. Ce travail de plusieurs années se concrétisera sous la forme d’un livre. Pour le financer, le photographe a lancé un KissKissBankBank avec un objectif de 5000 euros, à atteindre avant la fin du mois de septembre. Nous lui avons posé des questions sur ce beau projet.
FISHEYE : À quelle occasion es-tu allé à Haïti pour la première fois ?
Corentin : 12 janvier 2010 : un terrible séisme ébranle le pays. Des milliers de morts, des dégâts immenses. Apprenant cela, je pars pour Port-au-Prince, la capitale. J’y arrive à mes frais cinq jours plus tard. Je n’y reste pas longtemps, mais j’aurai l’occasion d’y retourner plusieurs fois dans l’année, en commande pour des magazines.
Qu’est-ce qui t’as poussé à photographier une autre facette du pays ?
En 2012, couvrir l’actualité commence à m’ennuyer. Je me sens inutile, c’est répétitif. J’ai également perdu deux bons amis sur le terrain, et j’ai découvert mes limites. Je repense à Haïti que je n’ai fait qu’aborder en 2010 entre le tremblement de terre, l’arrivée du choléra, les élections. J’ai besoin d’approfondir un sujet, m’investir dans un pays, travailler loin des grappes de journalistes, et me sentir utile. Un besoin de raconter plus personnellement une situation qui me tient à coeur.
Et tu décides de parler d’Haïti …
Oui. Mais je refuse de continuer à couvrir les poncifs de la misère, la violence et le tout humanitaire. Je me perds dans le pays, plonge dans ses entrailles, et en ressort la vision que j’avais depuis le début de ce pays: une énergie à toute épreuve, une volonté incroyable, des ressources humaines et une profusion de richesses mal exploitées. Je décide alors de raconter la complexité de ce pays.
As-tu une anecdote à raconter aux lecteurs de Fisheye sur tes séjours à Haïti ?
19 séjours, c’est autant de rencontres, de passions, d’incertitudes, de temps passé à en perdre pour mieux raconter ce pays. Difficile de retenir une seule anecdote tant il m’en est arrivé. (…) À force de faire des allers et retours, la douane française a fini par m’intercepter en Guadeloupe, à l’occasion d’une escale. Ils me soupçonnaient de trafic de drogue au vue de mes trajets incessants.
Peux-tu nous en dire plus sur ton projet de livre ?
La collecte n’est pas un appel à l’aide, elle est une manière efficace de faire connaitre le projet du livre au plus grand nombre, de le pré-financer, de vous demander un soutien mais pas la charité. A l’image de ma vision d’Haïti. Le pré-financement paiera en grande partie l’impression du livre – 7000 euros pour 1000 exemplaires – et l’argent recueilli permettra de prendre le temps nécessaire à la confection du plus bel ouvrage possible.
Et si le montant de la collecte dépasse l’objectif initial, que feras-tu ?
Le surplus permettra d’augmenter le tirage du livre, et de faire appel à un professionnel de la gravure pour l’impression du livre et aussi d’organiser une exposition à l’occasion du lancement de mon livre.
Sur quel autre projet travailles-tu actuellement ?
Je continue de travailler sur Haïti – je compte d’ailleurs y retourner en février – présenter mon livre, mais également travailler sur deux autres séries en cours: celle d’un village qui regroupe à lui seul les problématiques de la reconstruction du pays, et une série de portraits de carnavaliers de la petite ville de Jacmel. Un travail plutôt de studio et d’éclairage. Je suis également depuis 2013 le parcours passionné et militant d’un couple de Tunisiens réfugiés en France. Athées revendicatifs, ils se battent seuls, sans papiers, pour continuer leur combat.
Comment décrirais-tu ton travail en trois mots ?
Humaniste, graphique, intuitif.
Propos recueillis par Hélène Rocco
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