L’Opéra national de Paris, l’agence Bronx et Fisheye ont réussi un pari fou : réaliser une campagne de communication hors normes. Techniciens du spectacle, agents administratifs, artistes… Ce sont eux les têtes d’affiche de la programmation de la saison 2021-2022 de l’Opéra national de Paris. Entretien avec Alexander Neef, son directeur, qui a laissé carte blanche à Emma Birski.
Fisheye : Comment décririez-vous votre sensibilité à la photo ? Quelle a été votre première rencontre avec l’image ?
Alexander Neef : Je ne m’en souviens pas vraiment. Mon père était imprimeur. Et il ramenait à la maison quelques-unes de ses créations : des photos, des livres, des affiches… Il collaborait assez souvent avec des artistes – peintres ou encore photographes – lorsqu’il réalisait des catalogues d’exposition.
La photo en tant qu’art, est arrivée plus tard dans ma vie. Il y a une vingtaine d’années, j’ai découvert Avedon ou encore Newton… Et j’ai réalisé que le 8e art est une expression artistique à part entière, et qu’il ne servait pas uniquement à illustrer un journal ou un magazine.
Lors de mon précédent mandat, en tant que directeur de la compagnie Canadian Opera, à Toronto, il y avait une exposition annuelle de photographie, j’avais déjà eu l’occasion de me familiariser avec le médium. C’est aussi à ce moment-là que j’ai commencé à acheter des photos.
Quelles sont les analogies entre l’opéra et la photo ?
L’Opéra est un genre d’art très collaboratif, qui rejoint certainement les arts visuels. On aime rassembler les arts du moment autour de nos musiques, de nos œuvres. Je pars d’un principe très simple : bien que notre répertoire, le patrimoine dont on a la charge soit parfois très vieux – nous mettons en scène des opéras créés il y a 400 ans – ce que nous faisons reste du spectacle vivant. Et, pour le rendre vivant, il nous faut des artistes contemporains, pour transmettre ces œuvres à un public d’aujourd’hui.
Quelle est la genèse de cette commande ?
L’Agence Bronx nous a proposé de faire un shooting pour la saison 2021-2022. Je ne voulais pas illustrer notre programmation avec des mannequins, des professionnels de l’image, car je ne souhaitais pas développer un concept trop générique. Je préférais des gens de la maison.
Quand l’idée de passer une commande à un ou une photographe pour illustrer cette saison nous est arrivée, l’idée m’a plu. Je ne connaissais pas bien le travail d’Emma Birski, mais j’ai trouvé son univers très convaincant.
À g. Malick, webmaster à l’Opéra national de Paris / Opéra Faust, et à d. Yves, assistant à la mise en scène à l’Opéra national de Paris / Opéra Iphigénie en Tauride
Qu’est-ce qui vous a séduit dans son écriture ?
Nous avons été fascinés par l’aspect ludique de ses images, dans un contexte qui ne l’est pas. Il nous fallait réfléchir au message que l’on souhaite envoyer au public, ainsi qu’à notre communication en général. Et le signal se devait être positif.
Quand j’ai rencontré Emma Birski, j’ai réalisé qu’elle pouvait décliner plusieurs niveaux de lecture. D’abord, un véritable intérêt pour les êtres humains, pour les modèles photographiés. Son regard sur l’humanité m’a frappé. Tout comme ses mises en scène. Nous lui avons donné beaucoup de liberté dans cette campagne : elle a pu choisir qui elle souhaitait photographier parmi les volontaires. Et idem concernant la mise en scène. Au total, elle a réalisé 34 portraits.
Je voulais qu’elle pose ce regard artistique sur nous. L’idée de cette campagne ? Mettre en avant les gens de l’Opéra plutôt que l’institution, car celle-ci peut paraître monolithique, inaccessible aux non initiés. Parfois, elle peut faire peur.
Est-ce la pandémie qui a généré cette idée de réinstaller du lien social au sein des équipes, et entre l’Opéra et le public ?
Oui, nous avions la volonté de faire quelque chose qui rassemble. Cela aurait sans doute pu se réaliser dans un autre cadre, mais nous avons trouvé le moment opportun pour le faire. Cette campagne nous semblait appropriée dans cette période particulière. Il s’agit de dessiner un avenir après crise, dans le rapport avec notre public et avec les gens de la maison.
Cette commande est novatrice dans la façon de communiquer de l’Opéra, on peut même dire qu’il s’agit d’une prise de risque que de montrer des non professionnels de l’image, de montrer l’envers du décor…
Le risque ? C’est le caractère de l’art. Sans prise de risque, il n’y a pas d’art, puisqu’il n’y a pas de garantie de réussite. En même temps, je pense que la prise de risque représente la seule garantie de réussite dans ce milieu. Cette tentative de faire des choses différemment, c’est magnifique. Il était important de quitter nos zones de confort, de faire quelque chose de novateur.
Pourquoi ne pas vous être mis, vous-même, en scène ?
Il y a tellement de gens dans cette maison qui le méritent autant que moi. Je suis mis en scène à plusieurs reprises au cours de chaque saison. Le public ne manque pas d’occasions de me rencontrer, de me voir. L’idée était de mettre en lumière et en scène des personnes qui le sont moins habituellement.
Leïla, assistante du directeur général de l’Opéra national de Paris / Ballet La Bayadère
Une image, une mise en scène vous a-t-elle particulièrement marqué ?
Mon assistance Leïla qui pose avec l’éléphant de La Bayadère, le ballet en trois actes de Rudolf Noureev est une image que j’aime particulièrement. La photo de Thibault, responsable du protocole qui pose avec les balles vertes du ballet du chorégraphe Alexander Ekman, Play, est frappante aussi. ll y a également Félix, le régisseur général de coordination de la direction technique qui pose pour le visuel du Gala d’ouverture de la saison de danse en jouant avec des étoiles
Quand j’ai vu les premières images, j’ai été marqué par l’intensité du regard d’Emma Birski sur les gens, et la mise en scène qu’elle a inventés pour eux – avec quelques accessoires des spectacles que nous allons présenter, c’est magnifique. Les portraits sont tous très réussis. Car à chaque fois, le concept se réinvente, et l’union entre les personnalités et l’oeuvre qui les représente fonctionne, en tant qu’affiche, mais aussi comme photographie.
Comment ont été accueillies les images en interne ?
J’ai ressenti beaucoup d’enthousiasme en interne. Les salariés étaient heureux de voir les collègues poser. Et maintenant que la campagne est diffusée dans le métro, les images circulent sur Instagram, ou encore Twitter. L’esprit ludique qui émane des photos d’Emma Birski s’est propagé jusqu’aux utilisateurs des réseaux sociaux…
Pensez-vous réitérer ce type de commande dans le futur ?
Avec ce type de campagne, l’idée est également de s’adresser à de nouveaux publics… Je parlerais même d’une philosophie. On cherche à démystifier l’institution tout en gardant le mystère de ce que nous faisons. L’institution ne peut pas être le mystère. Celui-ci doit être ce que nous mettons sur la scène : notre art, qui parfois peut sembler disparaître derrière nos murs. Il y a des êtres humains dedans qui font de l’art pour d’autres.
À g. Guillaume, responsable des artistes et artisans en résidence à l’Académie de l’Opéra national de Paris / Ballet Le Songe d’une nuit d’été et à. d. Thibault, responsable du protocole à l’Opéra national de Paris / Ballet Play
À g. Isaac, quadrille du Ballet de l’Opéra national de Paris / Opéra Le Barbier de Séville et à d. Frédéric, artiste des Chœurs à l’Opéra national de Paris / Opéra Rigoletto
À g. Laurent, hôte d’accueil à l’Opéra national de Paris / Opéra Parsifal et à d. Jean-Jacques, responsable de spectacle – perruque maquillage à l’Opéra national de Paris / Opéra Oedipe
À g. Zi An, contrebassiste en résidence à l’Académie de l’Opéra national de Paris / Opéra Les Noces de Figaro et à d. Amélie, technicienne de vente à l’Opéra national de Paris / Opéra Le Vaisseau fantôme
© Emma Birski