Jusqu’au 1er janvier 2023, Deauville accueille la treizième édition de Planches Contact. Croisant les regards d’une trentaine de photographes, le festival surprend, cette année encore, par sa grande créativité.
« Nous souhaitons présenter la photographie de façon différente, jouer avec les codes, avec la scénographie, donner à voir différemment au public. Planches Contact est un grand défi, pour ses organisateurs comme pour les artistes, car on ne sait jamais où ces derniers vont nous mener. C’est un évènement plein de surprises, de tensions et surtout de bonheur »
, déclare Laura Serani, directrice artistique du rendez-vous deauvillais devant l’espace du Point de vue, lors d’une matinée ensoleillée d’octobre. C’est le lancement de la 13e édition de Planches Contact, festival construit autour de la résidence. Un rendez-vous atypique de l’univers du 8e art confiant à ses invité·es le soin de documenter la ville où ils posent, quelques mois durant, leurs valises. Et un rendez-vous ayant considérablement évolué : « En 2010, nous comptions deux photographes, aujourd’hui, il y en a trente ! », se réjouit la directrice. Parmi elleux ? Jessica Lange, Raymond Depardon, Bettina Rheims, Omar Victor Diop, Carolle Benitah, Anne-Charlotte Moulard, The Anonymous Project, Stefano De Luigi ou encore Jean-Christophe Béchet. Une succession d’artistes affirmé·es comme émergent·es promenant leur regard sur la cité balnéaire, offrant çà et là des écrins de poésie, d’insolite ou même de mystères.
© à g. The Anonymous Project, à d. Jessica Lange
Piétinez Madonna, elle ne demande que ça !
La visite démarre au cœur de l’étrange chapelle érigée par Bettina Rheims. Connue pour son travail autour de la féminité et ses créations « très emblématiques de son époque », comme l’assure Laura Serani, l’autrice a imaginé un lieu de recueillement grandeur nature, niché dans un container en bois. À l’intérieur, des clichés réalisés pour Details, un magazine américain des années 1990. « Il s’agissait d’une publication très avant-garde, nous n’avions pas nécessairement à respecter les codes, si bien que les numéros sont devenus mythiques », précise la photographe. Lacérées, déchirées, collées les unes sur les autres dans un amoncellement de corps et de visages maquillés, les femmes capturées par Bettina Rheims se déconstruisent, deviennent les totems d’une époque glorieuse et reprennent vie – sous une autre forme. « Piétinez Madonna, elle ne demande que ça ! », conclut avec humour l’artiste.
Plus loin, sur la plage, la fondation Photo4food – qui s’est donné pour mission de financer des repas pour les plus démunis grâce à la vente d’images – présente l’un de ses artistes invités : Stanislas Aubris. Contrastant avec les tons pâles du bord de mer, ses grands formats à l’abstraction poignante et aux notes rouges soutenues ne peuvent que capter notre regard. Dans La Morsure, un travail réalisé à la gélatine, il illustre sa créativité « assez schizophrénique ». Aux frontières du monde industriel et naturel, il imagine un conte pictural cyclique, où l’organique se fond dans le technologique.
© Stanislas Augris
Au cœur des bars et des soirées bingo
Présente dans deux lieux – à l’hôtel emblématique Le Normandy, et aux Franciscaines – Carolle Benitah parvient quant à elle à faire brillamment dialoguer son écriture plastique avec l’exercice de la résidence. Puisant dans les images d’archives de Deauville, elle les pare de feuilles d’or ou de formes géométriques colorées et distille une poésie envoûtante. « Je me plonge dans l’histoire de la ville pour comprendre ce qui fait sa réputation et sa notoriété. Je fais de ces traces du passé une œuvre aux préoccupations et à l’esthétique contemporaines », explique l’autrice née à Casablanca. Aux mêmes endroits, ainsi qu’au Petit Bain, dans une mise en scène réussie sublimant les nuances du lieu, nous (re)découvrons avec plaisir les portraits d’Omar Victor Diop. S’inspirant de l’héritage de la photographie de studio africaine, l’auteur s’amuse à la déconstruire, à poser un regard moderne et créatif sur le peuple noir. Costumes et décors bariolés, mises en scène s’imprégnant de l’esthétique mode, compositions atypiques… Au fil des autoportraits de l’artiste, on fait face à un Deauville aussi dépaysant que haut en couleur.
Aux Franciscaines également, le traditionnel Tremplin jeunes talents dévoile sa promotion 2022 : Ciro Battiloro, Dana Cojbuc, Émile Garçon et Lise Guillon, Henri Kisielewski et Bruno Labarbère. Uni·es par des imaginaires monochromes, où le noir et blanc se transforme en puissant outil narratif, tous et toutes construisent des récits subtils et délicats. Accrochées sur un mur jaune vif – « ou jaune calvados », s’amuse leur auteur – les images de Bruno Labarbère évoquent la viscéralité des photographes du mouvement japonais Provoke. Fuyant Deauville pour sa cousine Trouville, le photographe s’est immergé dans le monde de la nuit, au cœur des bars et des soirées bingo, là où l’alcool coule à flots et les rires éclatent. De cette fête sans fin, il rapporte des fragments d’abandon, des rencontres éphémères et des gueules de bois qui ne cesseront de l’inspirer.
Dans les nombres lieux de la ville normande, Planches Contact expose cette année encore un panel d’artistes talentueux·ses et inspiré·es. Un mélange d’écritures, de sensibilité, de points de vue qui parvient, à nouveau, à faire scintiller Deauville de bien des manières.
© Carolle Benitah
© à g. Jean-Christophe Béchet, à d. Raymond Depardon
La chapelle de Bettina Rheims © Annik Wetter
© Jean-Christian Bourcart
© à g. Emile Garçon / Lise Guillon, à d. Stefano De Luigi
© Omar Victor Diop
© Henri Kisielewski
© Bruno Labarbère
Image d’ouverture : Omar Victor Diop