Individus esseulés bercés par les effrois du passé, horizons chimériques aux couleurs antiques. Éloïse Labarbe-Lafon créée avec délicatesse, des œuvres aux textures granuleuses, qui nous abandonnent à la mélancolie.
« J’ai pour volonté de créer des mondes fictifs, sensibles, intimes et fantastiques. Je les pare de tonalités douces et donne aux images un aspect hors du temps et onirique. Les instants capturés sont tous différents, mais rassemblés, ils se répondent pour ne faire qu’un. Mon univers est empreint d’une atmosphère nostalgique. Je souhaite que mon œuvre ressemble à une carte postale des années 1900, aux couleurs d’un monde imaginaire »
. C’est en ces mots qu’Éloïse Labarbe-Lafon décrit son univers artistique. Diplômée de la Sorbonne en histoire de l’art — avec une spécificité pour la couleur dans le cinéma expérimental — la Toulousaine d’origine s’est essayée au 8ème art dès l’adolescence. Fascinée par la magie du développement photographique, elle décide ensuite d’explorer le procédé de peinture sur images. « Je me suis mise à tout colorer, avec mes doigts, des pinceaux, des cotons. Aujourd’hui, je n’ai plus qu’une envie, c’est donner au monde les couleurs qui sont miennes », affirme-t-elle.
La couleur pour raconter le monde
Pareilles à des fables d’antan, ses œuvres dévoilent des personnages aux moues esseulées, paraissant divaguer au gré de tourments lointains. Prise dans un flux artistique instinctif, la photographe appose sur ses images « ses » propres couleurs, aux contrastes et lumières personnalisées. Plus que tout, elle part puiser dans ses émotions pures pour créer de nouveaux mondes, aux coloris détournés, assombris ou saturés. « Le moment de l’application de la peinture est très apaisé, je peins souvent la nuit quand la ville dort enfin. J’adore peindre la peau, ajouter du pigment sur les joues, j’y vois quelque chose d’intime, une sensualité chromatique », déclare-t-elle.
Comme happés dans une histoire, dont on ne connaît ni le commencement ni la fin, ses protagonistes semblent s’apaiser dans des étreintes lascives, distantes : inaccessibles. Les corps et visages, aux teintes singulières, semblent venir d’une époque illusoire, réinventée.
De la « préciosité de l’image »
Disant s’inspirer de la photographie préraphaélite (mouvement artistique né en Angleterre en 1948, influencé par la peinture des maîtres italiens prédécesseurs de Raphaël), du pictorialisme (photographie entre 1890 et 1914), et de sa petite sœur Adèle – devenue muse – elle réalise des tableaux au vocabulaire intime, où la réalité ne peut-être que subjective. « J’ai besoin de m’évader du réel pour l’approcher. Je suis aussi à la recherche de la préciosité de l’image, de l’objet » avoue-t-elle. Une à une, ses mises en scène invitent à la narration et nous rappellent quelquefois l’atmosphère pénétrante de Sarah Moon. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si elle tient l’artiste « alchimiste », comme une influence majeure de son art. « Sarah Moon fait partie de mes premiers coups de cœur photographique. Son travail me touche, la froide douceur de son univers me parle. J’adore aussi ses films de contes. Je n’oserai jamais me comparer à elle, mais je me retrouve en effet dans ses images, dans les univers fictifs qu’elle invente, dans la nostalgie sous-jacente à son œuvre, l’indétermination temporelle », confie-t-elle. Tels des mirages picturaux, les créations d’Éloïse Labarbe-Lafon caressent notre curiosité et s’offrent à nous comme des récits symboliques de notre existence.
© Éloïse Labarbe-Lafon