Confiné à Paris avec sa femme et son fils, le photographe Ed Alcock, membre de l’agence Myop, a réalisé un carnet de bord de sa quarantaine. Stérile dévoile un monde aseptisé, où humour, craintes et questionnements rythment un quotidien absurde.
« J’ai démarré cette série à midi, le 17 mars 2020 – le premier jour du confinement. L’image initiale a été celle de mon smartphone, enveloppé dans de la cellophane. Une tentative désespérée de protection contre le Covid-19 »
, raconte Ed Alcock. Durant la période d’enfermement, le portraitiste d’origine britannique a construit Stérile, un carnet de bord photographique illustrant sa vision de la quarantaine. Installé dans son appartement parisien, avec sa femme et son fils adolescent, il attend – un remède, des nouvelles du reste du monde, ou simplement un retour à la normale.
« C’est incroyable de se retrouver dans une telle situation. Je me suis souvenu de Vladimir et Estragon, dans En attendant Godot de Samuel Beckett. J’avais vu une représentation de la pièce, il y a des années, à Sheffield, dans laquelle tout était blanc : les vêtements des acteurs, la scène, l’arbre dans le coin ». Un univers aseptisé et surréaliste faisant écho à la situation actuelle.
Un quotidien enlisant
Portraits, natures mortes, pensées et excursions exceptionnelles dans les rues parisiennes rythment la série d’Ed Alcock. Chaque mise en scène, étrangement statique, cloue les corps sur place, et témoigne d’un quotidien enlisant. La nourriture et les médicaments diminuent, au fil des jours, seuls témoins d’un temps qui passe trop lentement. Dominé par un blanc clinique, Stérile illustre avec humour et sensibilité cette expérience vécue simultanément par une grande partie du monde. « Il y a quelque chose d’absurde dans l’idée d’ordonner aux gens de s’enfermer chez eux. Comme si la maison était l’endroit le plus sûr, qu’elle était exempte d’infection », explique le photographe.
Organisé en diptyque, le projet prend la forme d’un journal intime. Chaque jour, une photo, inspirée par des questionnements, des inquiétudes de plus en plus pressantes. « Comment sortir ? Que signifie le port obligatoire du masque ? Les hommes et les femmes ont-ils des sentiments différents à ce propos ? Pourquoi ne trouve-t-on pas de pâtes ou de papier toilette au supermarché ? Comment mon fils est tombé malade ? Va-t-il s’en sortir ? Allons-nous survivre économiquement à cette période ? », s’interroge-t-il. Se fiant à son intuition, l’auteur réalise chaque saynète devant un fond blanc, et se soumet à une introspection visuelle. Au fil des images, qui s’emboîtent comme les pièces d’un puzzle, le présent efface tout contexte. Dans ce décor immaculé, l’attente s’impose et transforme les tracas du quotidien en questions existentielles. Nous voici, nous aussi, condamnés à attendre une résolution, un résultat inconnu, tout comme les personnages de Samuel Beckett.
Les photographes de l’agence Myop ont publié quotidiennement, sur leur compte Instagram, des images inspirées par le confinement. Un projet baptisé Sine Die – Sans en voir la fin.
© Ed Alcock / M.Y.O.P. 2020