Récit énigmatique, Une femme que l’on aurait trouvée dans les bois relate le parcours d’une inconnue choisissant de tourner le dos à la société pour renouer avec la nature. Un conte engagé mis en scène poétiquement par Mélanie Dornier.
C’est arrivé soudainement, sans signe avant-coureur. Une décision prise dans la vivacité d’un instant. Un départ définitif, des pas qui éloignent, sans jamais vaciller, ni se retourner. Une femme qui quitte le monde, l’urbain, l’univers de béton pour s’enfoncer dans la nature en recherche d’harmonie. « Cette femme, c’est toi comme moi », déclare Mélanie Dornier. Habituée des expérimentations plastiques et des questionnements philosophiques, l’artiste – travaillant anciennement dans le social – fait de Une femme que l’on aurait trouvée dans les bois un conte engagé « dans la continuité de ma démarche de photographe auteur, interrogeant les notions de trace et d’identité », commente-t-elle. Une œuvre mise au point dans le cadre de FotoMasterclass, épaulée de FLORE et Sylvie Hugues.
Environnement ocre, cabanes abandonnées, espaces sauvages, laissés pour compte… Dans les compositions monochromes de Mélanie Dornier, les éléments se brouillent et le chemin n’est plus lisible. Comme un périple à travers les ronces et les hautes herbes qu’il nous faut affronter pour parvenir à trouver, enfin, la destination finale. « Les images sont réalisées grâce à un tirage argentique Lith. En choisissant ce procédé, j’ai souhaité souligner son côté imprévisible. En anglais, la technique est également qualifiée d’art du snatch. Une décision d’arrachement qui survient après un long moment dans le révélateur. L’image se dessine petit à petit, puis est brusquement stoppée lorsque le développement s’accélère : un détail qui renforce la narration visuelle », explique la photographe.
Une évaporation fantasmée
Mais malgré l’esthétisme de cette disparition, des doutes demeurent. Pourquoi cette femme s’en va-t-elle ? Que cherche-t-elle ? Notre monde ne la satisfait-elle plus ? « Elle incarne une personne qui, à un moment donné, vit en marge de la société. Elle se tourne vers la nature avec le pari du devenir. La raison de ce changement n’est pas explicite, le mystère subsiste », commente Mélanie Dornier. À l’origine de ce récit, des témoignages de son entourage, d’inconnu·es dans la presse, qui choisissent de changer radicalement de vie, de fuir le poids écrasant d’une société dont l’oppression ne fait que croître. Des déclarations qui inspirent l’autrice et infusent ses créations.
Sans visage, sa protagoniste devient une allégorie, s’enfonçant nue dans la forêt, se fondant dans les éléments qui l’accueillent paisiblement. Petit à petit, sa silhouette disparaît, pour ne laisser dans son sillage qu’un espace brut, immaculé. Une évaporation que l’écriture fantasmée de la série rend plausible. « Le choix du traitement photographique permet de se détacher du réel pour entrer dans l’imaginaire. L’échange entre les éléments naturels et le portrait constitue toute l’articulation de ce travail. Photographier la nature, c’est avant tout lui donner de l’importance », déclare-t-elle. Une importance primordiale, puisque le développement constant des technologies et de l’urbanisation aliène notre rapport au vivant. Pour l’artiste, une seule solution s’impose alors : renier cette voie pour en emprunter une autre, plus sinueuse. Un ensauvagement volontaire, pour mieux s’enraciner. « À chacun et chacune de s’imaginer son histoire et visualiser ou non les images mentales qu’il ou elle souhaite », avertit cependant Mélanie Dornier. Soyons donc prévenu·es, en suivant sa mystérieuse héroïne, il nous faudra trouver nous-mêmes notre propre chemin.
© Mélanie Dornier