La femme du bois : résilience et renoncement

07 octobre 2022   •  
Écrit par Lou Tsatsas
La femme du bois : résilience et renoncement

Récit énigmatique, Une femme que l’on aurait trouvée dans les bois relate le parcours d’une inconnue choisissant de tourner le dos à la société pour renouer avec la nature. Un conte engagé mis en scène poétiquement par Mélanie Dornier.

C’est arrivé soudainement, sans signe avant-coureur. Une décision prise dans la vivacité d’un instant. Un départ définitif, des pas qui éloignent, sans jamais vaciller, ni se retourner. Une femme qui quitte le monde, l’urbain, l’univers de béton pour s’enfoncer dans la nature en recherche d’harmonie. « Cette femme, c’est toi comme moi », déclare Mélanie Dornier. Habituée des expérimentations plastiques et des questionnements philosophiques, l’artiste – travaillant anciennement dans le social – fait de Une femme que l’on aurait trouvée dans les bois un conte engagé « dans la continuité de ma démarche de photographe auteur, interrogeant les notions de trace et d’identité », commente-t-elle. Une œuvre mise au point dans le cadre de FotoMasterclass, épaulée de FLORE et Sylvie Hugues.

Environnement ocre, cabanes abandonnées, espaces sauvages, laissés pour compte… Dans les compositions monochromes de Mélanie Dornier, les éléments se brouillent et le chemin n’est plus lisible. Comme un périple à travers les ronces et les hautes herbes qu’il nous faut affronter pour parvenir à trouver, enfin, la destination finale. « Les images sont réalisées grâce à un tirage argentique Lith. En choisissant ce procédé, j’ai souhaité souligner son côté imprévisible. En anglais, la technique est également qualifiée d’art du snatch. Une décision d’arrachement qui survient après un long moment dans le révélateur. L’image se dessine petit à petit, puis est brusquement stoppée lorsque le développement s’accélère : un détail qui renforce la narration visuelle », explique la photographe.

© Mélanie Dornier

 Une évaporation fantasmée

Mais malgré l’esthétisme de cette disparition, des doutes demeurent. Pourquoi cette femme s’en va-t-elle ? Que cherche-t-elle ? Notre monde ne la satisfait-elle plus ? « Elle incarne une personne qui, à un moment donné, vit en marge de la société. Elle se tourne vers la nature avec le pari du devenir. La raison de ce changement n’est pas explicite, le mystère subsiste », commente Mélanie Dornier. À l’origine de ce récit, des témoignages de son entourage, d’inconnu·es dans la presse, qui choisissent de changer radicalement de vie, de fuir le poids écrasant d’une société dont l’oppression ne fait que croître. Des déclarations qui inspirent l’autrice et infusent ses créations.

Sans visage, sa protagoniste devient une allégorie, s’enfonçant nue dans la forêt, se fondant dans les éléments qui l’accueillent paisiblement. Petit à petit, sa silhouette disparaît, pour ne laisser dans son sillage qu’un espace brut, immaculé. Une évaporation que l’écriture fantasmée de la série rend plausible. « Le choix du traitement photographique permet de se détacher du réel pour entrer dans l’imaginaire. L’échange entre les éléments naturels et le portrait constitue toute l’articulation de ce travail. Photographier la nature, c’est avant tout lui donner de l’importance », déclare-t-elle. Une importance primordiale, puisque le développement constant des technologies et de l’urbanisation aliène notre rapport au vivant. Pour l’artiste, une seule solution s’impose alors : renier cette voie pour en emprunter une autre, plus sinueuse. Un ensauvagement volontaire, pour mieux s’enraciner. « À chacun et chacune de s’imaginer son histoire et visualiser ou non les images mentales qu’il ou elle souhaite », avertit cependant Mélanie Dornier. Soyons donc prévenu·es, en suivant sa mystérieuse héroïne, il nous faudra trouver nous-mêmes notre propre chemin.

© Mélanie Dornier© Mélanie Dornier

© Mélanie Dornier

© Mélanie Dornier© Mélanie Dornier

© Mélanie Dornier

© Mélanie Dornier© Mélanie Dornier

© Mélanie Dornier

© Mélanie Dornier

Explorez
Rebecca Najdowski : expérimentations et désastre écologique
© Rebecca Najdowski
Rebecca Najdowski : expérimentations et désastre écologique
Dans sa série Ambient Pressure, l’artiste Rebecca Najdowski nous invite à interroger le rôle du médium photographique dans notre...
18 décembre 2024   •  
Écrit par Agathe Kalfas
La sélection Instagram #485 : livre de la jungle
© Janis Brod / Instagram
La sélection Instagram #485 : livre de la jungle
Les photographes de notre sélection Instagram de la semaine explorent la jungle, autant celle faite d’arbres et de fougères luxuriantes...
17 décembre 2024   •  
Écrit par Marie Baranger
Le Festival du Regard fait sa zoothérapie
© Daniel Gebbhart de Koekkoek
Le Festival du Regard fait sa zoothérapie
À mesure que notre vie s’urbanise, nos liens avec les animaux s’étiolent. Il est temps d’y remédier. Grâce au travail d’une...
14 décembre 2024   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Arktis : la dystopie polaire d’Axelle de Russé
© Axelle de Russé
Arktis : la dystopie polaire d’Axelle de Russé
Pendant huit ans, la photographe Axelle de Russé a suivi l’évolution du réchauffement climatique en Arctique, une réalité qui chaque jour...
12 décembre 2024   •  
Écrit par Agathe Kalfas
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Les images de la semaine du 16.12.24 au 22.12.24 : une multitude de dialogues
© Rebecca Najdowski
Les images de la semaine du 16.12.24 au 22.12.24 : une multitude de dialogues
C’est l’heure du récap ! Cette semaine, les pages de Fisheye dévoilent une multitude de dialogues initiés par la photographie.
Il y a 11 heures   •  
Écrit par Apolline Coëffet
The Color of Money and Trees: portraits de l'Amérique désaxée
©Tony Dočekal. Chad on Skid Row
The Color of Money and Trees: portraits de l’Amérique désaxée
Livre magistral de Tony Dočekal, The Color of Money and Trees aborde les marginalités américaines. Entre le Minnesota et la Californie...
21 décembre 2024   •  
Écrit par Hugo Mangin
Paysages mouvants : la jeune création investit le Jeu de Paume
© Prune Phi
Paysages mouvants : la jeune création investit le Jeu de Paume
Du 7 février au 23 mars 2025, le Jeu de Paume accueille le festival Paysages mouvants, un temps de réflexion et de découverte dédié à la...
20 décembre 2024   •  
Écrit par Costanza Spina
Mirko Ostuni : une adolescence dans les Pouilles
© Mirko Ostuni, Onde Sommerse.
Mirko Ostuni : une adolescence dans les Pouilles
Dans Onde Sommerse, Mirko Ostuni dresse le portrait de sa propre génération se mouvant au cœur des Pouilles. Cette jeunesse tendre et...
20 décembre 2024   •  
Écrit par Marie Baranger