À la croisée de l’art plastique et visuel, Quentin Fromont imagine un récit engagé, nourri par la peinture, la mythologie et l’érotisme queer. Un corpus d’images libres de droits et de captures d’écran retravaillées rendant hommage à l’amour comme à la nature.
Dans les images de Quentin Fromont, les corps nus se fondent dans les paysages maritimes, et le réel s’oublie face au pictural, comme si la viscéralité du monde, sa sensualité et sa beauté coulaient des clichés. Comme si les effusions des rapprochements, les résonances entre humain·es et nature apparaissaient sous la forme de traînées colorées, sortant des cadres et repoussant les limites du médium photographique.
C’est aux Arts décoratifs de Paris que l’artiste plasticien et commissaire d’exposition a fait ses armes, s’initiant à la fois à l’image, la photographie, la vidéo, le texte et l’installation. Une polyvalence qu’il développe depuis déjà quelque temps. « Ayant toujours eu la sensation de ne pas profiter assez des moments de la vie, j’ai commencé par documenter mon quotidien. Très rapidement, j’ai ressenti le besoin de puiser dans d’autres clichés que ceux de mon iPhone ou de mes boîtiers. Constamment entouré d’images, le fantasme que pouvait provoquer en moi le fait de revoir des souvenirs de moments de vie s’est estompé. J’ai donc décidé de commencer à puiser dans des screens vidéo et des banques d’images libres de droit », raconte-t-il. Grand lecteur, Quentin Fromont accorde également à la narration une place de choix, et la laisse apparaître de manière intuitive, au fur et à mesure que les visuels se créent. Un ensemble d’échos aux mythologies qui l’interpellent, et qui jalonnent son inconscient créatif. « J’aime passer de l’abstrait au flou, et au réel. Cela me permet de créer cette couche de mystère et de poésie que je lie généralement à mes propres récits », précise-t-il.
Colorer les œuvres d’une nuance engagée
Au cœur de ces récits s’articulent deux thématiques principales : la beauté des corps, et celle des côtes. Jouant avec l’érotisme et la pornographie queer, l’artiste explore l’envie, le désir, la langueur, sans jamais « franchir la barrière du frontal ». « Je travaille mes séries de manière sensible. La sensualité me permet de rajouter au fantasme, aux imaginaires qu’elles induisent », explique-t-il. Autant de créations lascives nourries par diverses influences. La peinture, tout d’abord, un médium dont la richesse ne cesse de fasciner Quentin Fromont. « Le Pèlerinage à l’île de Cythère d’Antoine Watteau, réalisé en 1717, par exemple, reprend le mythe de cette île dédiée aux plaisirs de chairs – une interprétation de l’histoire de Hyacinthe et Apollon », raconte-t-il. Mais aussi les expérimentations plastiques, qu’il connecte aux paysages qu’il affectionne particulièrement : « Travaillant sur le littoral, il me semblait intéressant d’aller vers un processus de création qui nécessite de l’eau, du transfert, différentes strates du temps, de séchages et d’étapes », explique l’auteur. Enfin, et de manière plus moderne, la communauté LGBTQIA+ et les stéréotypes contre lesquels elle se bat composent la toile de fond de ses images. Sexualité jugée taboue, pratiques dangereuses, brutalité – comme dans Croupir dans la chaleur des autres, un projet relatant une agression sexuelle sur une plage de cruising (un espace de drague à ciel ouvert, NDLR) – les discriminations font surface, colorent les œuvres d’une nuance engagée.
Puiser dans les codes de l’amour
Pourtant, il y a une certaine pureté dans le geste de Quentin Fromont. Un idéal auquel il aspire qui adoucit ses créations. Car en multipliant les influences et les techniques d’impression, les histoires et les sujets, l’artiste visuel parvient à construire un monde complexe gouverné par le fantasme. Un érotisme tendre, qui se devine plus qu’il ne s’impose, que l’on retrouve dans les formes – parfois phalliques – des éléments naturels, et les corps vaporeux émergeant des encres bariolées. Comme un appel à l’adoration de la beauté, loin des aprioris qui ferment l’esprit. « Mon travail vient raconter, par le prisme de la fiction, des imaginaires dominants autour de la virilité, de la violence dans les relations homosexuelles, mais aussi de celles qui proviennent de l’extérieur. Pourtant, en l’associant à des mythes issus de la Grèce antique, je recrée des narrations qui puisent dans les codes de l’amour », confie le photographe. Des étreintes éphémères d’un couple d’un soir aux plongeons délicieux dans l’eau fraîche de la mer, en plein été, de bras qui enlacent aux gouttes d’eau qui perlent sur la peau tannée par le soleil estival, Quentin Fromont écrit finalement une lettre passionnée et atypique aux corps qui s’adorent. À celles et ceux qui représentent l’amour au sens large, et qui rêvent d’une errance érotique à l’épreuve du réel, et du temps.
© Quentin Fromont