Avec la série True Home, Yura Taralov tente de faire émerger les sentiments intérieurs véhiculés par le corps. Dans un ensemble de portraits aussi réussis qu’intrigants, le photographe russe sonde les tréfonds de l’âme. Un projet influencé par la recherche de soi et les confinements.
Alors que l’épidémie de COVID-19 connaît un nouveau rebond dans plusieurs régions du monde, les confinements que nous avons endurés semblent derrière nous. Durant ces périodes d’enfermement nécessaire, nombreux sont ceux à avoir poursuivi une pratique artistique. Si les musiciens, les peintres ou encore les dessinateurs ont pu continuer d’exercer, pour d’autres, les exigences de leur art se sont difficilement accordées avec la vie entre quatre murs. Il en va des comédiens comme des photographes. Pour beaucoup de ces derniers, être privés de mobilité a réduit leur champ d’action et les sujets potentiels. Pourtant, nous découvrons régulièrement des productions originales, fruits de la claustration et de l’imagination soumise aux impératifs.
C’est le cas de la série True Home, réalisée par Yura Taralov durant le confinement en Russie. Dans ce corpus d’images étranges, le photographe originaire de Mourmansk, près du cercle polaire, questionne notre rapport au corps quand celui-ci véhicule les sentiments intérieurs. À l’origine, ce projet avait pour but une recherche personnelle et intime. Yura Taralov a souhaité partir en quête de son moi véritable avant que son objectif s’élargisse à son entourage. « La pandémie a largement contribué à modifier notre perception du chez-soi, explique-t-il. Les personnes sont devenues plus permissives envers elles-mêmes, elles ont enlevé le masque que la société leur impose, se sont détruites ou ont créé. Elles se sont montrées sous différents angles, du plus brillant au plus sombre. »
Un éclairage de l’âme
Pour le photographe, le travail sur la nudité a été une véritable révélation. Le pouvoir du corps dans sa simple expression devient, pour lui, un éclairage saisissant de l’âme. Pourtant, le nu n’était pas du tout un sujet de prédilection pour Yura Taralov. Il y voyait une forme de vulgarité qui éclipse les aspects esthétiques de l’image. Puis, en s’ouvrant aux autres et en dépassant ses a priori, il a commencé à prendre goût à cette pratique. En approfondissant son travail sur les diverses émotions de ses modèles, il a obtenu des résultats surprenants. « Lorsque j’ai utilisé des éclats de verre, raconte Yura Taralov, il était intéressant de voir le corps tendu par la peur de faire un faux mouvement bien que la situation eut été totalement sous contrôle. »
Ses modèles sont au cœur du projet A True Home. Choisis parmi ses amis, ils se sont livrés en toute confiance et le photographe a su tirer parti des relations particulières qu’il entretient avec eux. « Mes modèles me connaissent, ils me sentent. Je les ressens également. À tel point que la connexion qui se crée entre nous est souvent non verbale. Il est essentiel pour moi que le modèle suive mes instructions, mais il est tout aussi important de les écouter, d’être attentif à eux. Chacun a sa propre histoire prompte à générer de la sincérité à l’image ». Une démarche qui pousse parfois ses amis dans leur retranchement. Comme ce jour où, essayant de dépeindre l’angoisse, des souvenirs douloureux ont fait irruption dans la mémoire d’un de ses modèles qui s’est alors rappelé la maltraitance subie dans sa jeunesse.
Un constat amer
Après la sidération provoquée par la pandémie mondiale et l’épisode plus ou moins bien vécu des confinements, une épreuve difficile attend les Russes : la guerre en Ukraine. Bien que nourrie par la désinformation, une frange de la population n’est pas dupe et refuse le conflit fraternel qui se déroule actuellement. C’est le cas de Yura Taralov. « Je n’approuve pas du tout cette guerre, déclare-t-il. Le concept même de guerre m’est insupportable. J’ai reflété ce thème dans True Home en créant une image sur une peur paralysante pareille à celle que j’ai ressentie le jour de l’invasion de l’Ukraine. Les familles sont divisées et certains de mes amis ont décidé de quitter le pays ».
Ce choix radical le photographe l’envisage. Mais, pour lui, il est hors de question de fuir, s’il part, ce sera de son plein gré. Devant la privation des droits individuels et la censure imposées par le gouvernement de Vladimir Poutine, les alternatives sont rares. Cela affecte le travail de Yura Taralov. Pour lutter contre la neurasthénie, il se retrouve régulièrement avec quelques amis pour parler, presque clandestinement, d’art. La déception qui habite Yura Taralov semble profonde. Pour lui, « si la Russie était une maison, nous n’aurions pas assez de peinture pour cacher toute la pourriture que cette guerre a engendrée ». Le constat est amer et nous serions mal inspirés de croire que tout le peuple russe soutient les initiatives du « boucher du Kremlin ». Le pays n’a pas fini de se diviser et de subir les mesures dangereuses de leurs dirigeants. Espérons que la liberté saura accompagner des jours meilleurs.
© Yura Taralov