Ian Dalipagic, photographe franco-américain, s’intéresse aux sujets humanitaires. Lors d’un de ses voyages aux États-Unis, il rencontre John Lennon Morgan, un ex-Marine, souffrant des séquelles de la guerre en Irak. Loin de la ville, il tente de se reconstruire auprès de sa famille. Un témoignage édifiant sur les souffrances que surmontent ces « héros » de la nation.
Fisheye : Quand et comment es-tu devenu photographe ?
Ian Dalipagic : J’ai longtemps voulu faire de la photo, sans trop savoir où j’allais. Les choses ont changé quand je travaillais dans l’humanitaire, au Népal. Là-bas, un photographe est venu documenter nos activités. Il avait déclaré qu’un seul cliché pouvait avoir plus d’impact que notre travail. Je pense que, malgré son arrogance, il m’a poussé dans cette voie. En rentrant, j’ai effectué une année de formation avec Julien Daniel et Guillaume Herbaut.
Peux-tu nous parler de ton approche photographique ?
Elle est avant tout humaine. Je me sers de mon objectif comme prétexte pour aborder des sujets, approcher des personnes. Elle m’aide à étudier les choses en profondeur, à prendre le temps de m’y intéresser. Mes images doivent raconter des histoires.
Pourquoi cet intérêt pour les États-Unis ?
J’y vais depuis que je suis jeune. J’aime ce pays pour sa diversité, ses habitants, son positivisme, sa folie… Et je rejette ses inégalités, sa politique, son consumérisme. J’ai l’impression de le connaître, pourtant certaines choses m’échappent encore.
Peux-tu nous raconter l’histoire de John Lennon Morgan ?
C’est un jeune homme de 21 ans parti en Irak en 2003 et en 2004. Là-bas, il a vécu des épisodes traumatiques, qui l’ont profondément marqué. Après cela, le retour à la vie « normale » était très compliqué. Depuis 15 ans, sa vie est rythmée par les symptômes de l’ESPT (État de Stress Post Traumatique) : dépression, cauchemars, difficulté à garder un travail etc. Après avoir essayé l’alcool, la drogue, les antidépresseurs et les anxiolytiques sans succès, sa femme et lui se sont finalement installés au cœur de la forêt, proche de la nature et des animaux. Ceux-ci ont des effets bénéfiques reconnus sur les personnes atteintes de ESPT.
Ces symptômes touchent un grand nombre de soldats américains
Les vétérans sont partout aux États-Unis. On estime qu’ils représentent environ 7% de la population, soit plus de 22 millions de personnes. Ils sont célébrés au cinéma et en public, mais on parle peu de l’envers du décor. Ces hommes ne se considèrent pas comme des héros. Au contraire, on estime que 22 vétérans se donnent la mort chaque jour. Si la guerre est abominable, c’est un deuxième combat qui commence une fois de retour sur le sol américain.
L’ESPT cause souvent un sentiment d’isolement. Cela a-t-il influencé ta série ?
Oui, j’ai voulu montrer que cette bataille, il la mène avant tout contre lui-même. Une photo de lui, dans son camping-car reflète ce besoin de s’isoler du reste du monde.
Comment as-tu photographié cette intimité ?
Cela s’est fait assez naturellement. Il a fallu apprendre à se connaître mutuellement, à se faire confiance. Je voulais qu’il comprenne mes intentions. Avec ce projet, je souhaitais interpeler, susciter des interrogations, parler aux personnes confrontées aux mêmes problèmes que John. Ma série expose un retour à une vie plus saine, loin de la sauvagerie de la ville. Elle propose un autre mode de vie à ces personnes en souffrance.
© Ian Dalipagic