Avec 1,5 million d’hectares de forêt et un taux de boisement de près de 48%, le sud-est de la France apparaît comme l’un des territoires européens les plus exposés aux incendies. En janvier 2017, Arnaud Teicher, un photographe installé en Provence, a eu son premier électrochoc. Sa série Wildfire recense des territoires calcinés et questionne le rapport de l’homme au territoire. Entretien.
Fisheye : Comment es-tu devenu photographe ?
Arnaud Teicher : J’ai 33 ans et je suis installé en Provence. Après des études de design réalisées à Paris, j’ai travaillé en tant que graphiste indépendant à Lyon pendant 5 ans. Aujourd’hui je mélange plusieurs activités, dont la photographie. J’ai commencé la photographie adolescent, de façon instinctive, par pur plaisir, cela m’offrait de nombreuses possibilités « artisanales ». J’étais fasciné par le tirage noir et blanc à l’agrandisseur, il y avait une certaine esthétique de la discipline, en prenant des photos à l’argentique c’était comme si j’étais dans un film de Gus Van Sant.
Qu’est ce que représente la photographie pour toi?
Outre le fait d’être un passionné de photographies à regarder et un passionné de livres photo, je dirais que pour moi l’image est une façon d’appréhender la vie de manière plus complète, chaque angle permet de voir une chose dans une certaine direction, ça peut rendre le quotidien plus excitant. C’est un peu comme si le monde devenait un immense terrain d’expérimentation, chaque projet est l’occasion d’une nouvelle aventure qui peut nous permettre d’en apprendre plus sur quelque chose, c’est un peu comme dévorer des livres. Je pense que cela m’aide à me construire en tant qu’individu, la photographie m’a emmené vers des sujets inconnus, ça répond aussi à une curiosité débordante.
Comment décrirais-tu ton approche photographique ?
J’ai eu cette question dans mon esprit pendant longtemps. Aujourd’hui je me rends compte que c’est bien plus complexe que cela. Mon travail évolue constamment, de nouveaux sujets m’interpellent, le monde change. Il est pour moi important d’appréhender ce changement tout en développant une approche plastique. Je cherche à me concentrer sur ce que je vois dans mon environnement, sans avoir à parcourir des milliers de kilomètres. C’est peut-être une façon de chercher mes racines, ou d’en créer de nouvelles. Observer, appréhender et comprendre mon territoire. C’est pour cela que je me suis intéressé au sujet des incendies. Habitant en Provence, le sujet m’était très familier, j’étais un témoin légitime de ce phénomène.
Quelle est l’histoire de ta série Wildfire ?
J’ai commencé le projet en janvier 2017. Je ressentais le besoin de consacrer plus de temps à ma pratique photographique, sans m’éloigner de chez moi, l’inconnu me faisait peur. Souvent, je passais en voiture proche d’une colline qui avait brûlé l’été précédent. Un jour, sans savoir pourquoi, je me suis arrêté et j’ai passé de longues minutes à me déplacer dans ce territoire complètement calciné. Ce fut comme un électrochoc pour moi. Habitué à arpenter les Alpes, j’avais finalement trouvé un sujet passionnant proche de mon lieu de vie. Et cela me procurait de l’émotion. Il y avait tellement d’éléments étranges à mon quotidien : la couleur du sol était différente, l’odeur nouvelle et le silence omniprésent. Comme si le territoire était devenu un lieu de recueillement… J’étais fasciné par le calme qui se dégageait de cet endroit. À ce moment-là, j’ai compris que je voulais montrer la quiétude, la beauté et l’espoir et non pas les flammes, la tempête ou la désolation. La nature nous prouve chaque jour sa capacité de réaction et d’adaptation. Elle nous rappelle que nous ne sommes pas à la hauteur des enjeux contemporains que nos sociétés traversent.
La nature et les grands espaces occupent une place essentielle dans tes travaux. Qu’est-ce t’inspirent ces décors ?
J’ai toujours été fasciné par la photographie des grands espaces américains. Ces images évoquaient la liberté et cela a forcément influencé mon approche artistique. Je pense que tout peut être inspirant dans la nature, si on prend le temps de s’y attarder. Chaque élément peut révéler des histoires passionnantes. Tout ceci nous offre des possibilités de contemplation sans limites. Autant de sujets pouvant donner lieu à un projet photographique.
L’homme est absent de tes images, pourquoi ?
C’est assez paradoxal. La représentation de l’homme est absente, mais l’homme est à l’origine des incendies que j’ai photographiés – par négligence ou du fait de son emprise sur le territoire. Les paysages que j’ai découverts sont le fait de l’homme.
Qu’as-tu appris en réalisant ce projet ?
Les incendies sont un sujet important dans ma région et plus particulièrement sur tout le pourtour méditerranéen. L’urbanisation massive liée en grande partie au développement et au tourisme a poussé les constructions de plus en plus proches des zones forestières, souvent sans réglementation. Tout ceci nous amène aujourd’hui à des situations complexes. Ce sujet m’a amené à regarder les villes, les villages, les quartiers, les lotissements avec un œil différent et plus critique. Le rapport de force entre le développement économique et le respect du territoire pose aujourd’hui un problème. ll faut réfléchir à la façon dont on utilise la terre et donner du sens à nos actions.
Comment tes images ont-elles été reçues ?
C’est étrange, car je pensais que ce projet pourrait faire réagir localement. J’imaginais que cela puisse intéresser des infrastructures de la région. Finalement, les retours les plus encourageants me sont venus de l’étranger : Canada, États-Unis, Australie, Italie ou encore Royaume-Uni… Enfin, je garde toujours le plaisir de penser qu’il pourrait être présenté un jour par ici.
© Arnaud Teicher