Sean Mundy, photographe autodidacte résidant à Montréal, construit des séries sombres, mettant en scène d’étranges silhouettes noires. Un travail symbolique, s’inspirant des nuances de notre monde. Entretien.
Fisheye : Comment as-tu découvert la photographie ?
Sean Mundy : Mes parents m’ont acheté un petit Polaroid numérique à l’occasion d’un voyage scolaire, lorsque j’étais au collège. C’est à partir de ce moment que mon amour pour le médium est né. À l’époque, j’emportais mon boîtier partout avec moi, pour photographier mes amis, mes voyages, les fêtes auxquelles j’allais… Petit à petit j’ai commencé à créer des œuvres plus conceptuelles et artistiques, en m’aidant de Photoshop. Aujourd’hui, je ne travaille presque plus autrement.
Comment prépares-tu tes shootings ?
Je planifie tout. Je réalise souvent des croquis de mes images, puis je fais en sorte de les concrétiser : je trouve le bon lieu, je choisis mes modèles, je réfléchis au processus de création : l’image sera-t-elle purement organique, ou plutôt digitale ? Il m’arrive d’essayer de me laisser aller, mais mes clichés sont plus puissants lorsqu’ils sont préparés. J’éprouve un profond respect pour les artistes qui savent improviser !
Tes trois séries – Hollow, Barriers et Ruin – semblent hantées par d’étranges silhouettes. Sont-elles liées ?
Si mes projets sont similaires esthétiquement parlant, ils ne sont pas pour autant liés. Ces silhouettes me permettent de représenter l’être humain de manière anonyme, sans aucun trait caractéristique. En les mettant ainsi en scène, je cherche à créer une présence humaine neutre, afin de mettre davantage en lumière la signification de chaque image : en d’autres termes, elles incarnent des idées. Je peux les utiliser pour illustrer les notions de solitude, de communauté, ou encore l’isolement. Cependant, certaines de mes œuvres sont aussi créées à des fins purement esthétiques.
Tu utilises de nombreux symboles dans tes séries, que signifient-ils ?
J’ai toujours eu l’habitude de réaliser des images uniques, qui n’ont pas leur place dans une série. Pourtant, en 2014, j’ai commencé à imaginer ce que deviendrait Hollow. J’étais fascinée par une certaine composition triangulaire, que j’ai reproduit avec l’image Elude (une foule poursuivant une silhouette). Cette première création m’a incité à explorer la notion de communauté dans notre monde de manière surréaliste, en reproduisant les « rituels » et les contradictions de notre société. Une image, par exemple, illustre la notion d’idolâtrie, une autre, la monotonie du quotidien… Ces thèmes, réunis, ont finalement composé mon premier projet.
Une démarche allégorique que tu as poursuivie avec tes autres projets.
Oui, pour Barriers, j’ai d’abord eu l’idée d’une figure encerclée par des flammes – une image que je n’ai d’ailleurs toujours pas réussi à réaliser correctement ! Ce rapport au feu m’a inspiré, et je l’ai utilisé pour représenter les barrières que nous nous imposons. Mes silhouettes étaient alors prises au piège ou isolées par cet élément. Puis j’ai poursuivi ce concept en utilisant une fumée noire, symbolisant nos pensées irrationnelles, qui parfois s’intensifient et nous hantent. J’ai réalisé ces photos à une période difficile de ma vie, construisant ainsi une série très personnelle.
Enfin, Ruin serait ma tentative de créer des images post-apocalyptiques représentant un futur lointain dans lequel nos structures et nos ressources auraient été détruites.
En quoi notre monde t’inspire ?
Le monde moderne est incroyable, et beaucoup d’entre nous sommes chanceux d’avoir des opportunités, et de connaître le bonheur, mais il peut également être sombre et répugnant, dépourvu d’âme et de compassion. Je crois que je ne peux pas m’empêcher d’aborder des sujets effrayants, qui illustrent certains aspects de notre société.
Comment composes-tu tes mises en scène ?
Je shoote toujours mes images en ayant en tête la suite des étapes pour faciliter la prise de vue. Mais je cherche toujours à créer les effets spéciaux en direct, si cela n’est pas trop dangereux – j’ai mis le feu à mes vêtements à de nombreuses reprises ! L’editing est souvent la partie la plus longue du processus de création : je peux terminer une image en plusieurs heures comme en plusieurs semaines. Mon travail peut être fastidieux, parce qu’il ne me permet pas de savoir si un cliché fonctionne avant d’avoir finalisé une première version. Pourtant j’adore cette partie de la production, puisqu’elle me permet de « voir » enfin l’image finale.
Quelles sont tes sources d’inspirations ?
Je m’inspire de tous les arts. Mes artistes favoris ? Petrina Hicks, Nicholas Alan Cope, Storm Thorgerson, et bien d’autres. Mais plus que tout, je suis captivé par ce sentiment d’émerveillement que l’on ressent face à une œuvre. J’essaie de créer des images qui provoquent cette émotion, pour que le regardeur se sente, à son tour, inspiré.
© Sean Mundy