« Shooter un bâtiment architectural »

17 avril 2018   •  
Écrit par Lou Tsatsas
« Shooter un bâtiment architectural »

Emmanuel Tussore est un artiste pluridisciplinaire actuellement exposé au Festival Circulation(s) où il présente Study for a soap, des photos de ruines, sculptées dans du savon d’Alep. Rencontre avec le photographe-plasticien.

Fisheye : Peux-tu nous parler de ton parcours ?

Emmanuel Tussore : Je dessine et peins, depuis tout petit. J’ai découvert la photo quand j’avais 16 ans, et j’ai déménagé à Barcelone peu après, où je me suis inscrit dans une école de photographie. C’était une expérience personnelle fantastique, mais j’ai le sentiment que cette école m’a peu appris. Je suis ensuite parti à New York, où je suis devenu assistant-photographe. Là-bas, j’ai connu des réalisateurs qui m’ont initié à la vidéo. Ce n’est que récemment que je suis revenu à mon amour de jeunesse : l’art plastique. J’aime utiliser mes différentes pratiques dans mon travail.

D’où t’es venu l’idée de travailler le savon d’Alep ?

Pour moi, le savon est le symbole de l’homme civilisé. Le simple geste de l’être humain qui se lave me fascine. D’où vient cette idée ? C’est une véritable invention, qui, étrangement, a eu lieu au même moment que la création de l’alphabet. Pour moi, ces deux choses sont liées. Elles marquent toutes deux une évolution pour l’Homme.

J’aime l’aspect universel de cette matière. Et si le savon d’Alep est connu de tous en France, en Allemagne, au contraire, il me faut expliquer son histoire.

Que t’évoque cet objet ?

Pour moi, le savon est un produit qu’on utilise au quotidien. Et celui d’Alep est une connexion directe avec la Syrie. Il s’agit d’une matière organique, vivante, vouée à disparaître qui permet un retour à la terre. J’ai commencé à sculpter ce matériau en 2017 et je ne sais pas comment mes créations vont se transformer avec le temps. Cette fragilité m’intéresse.

© Emmanuel Tussore© Emmanuel Tussore

Tes sculptures rappellent les bâtiments délabrés de l’Antiquité. Que racontent-elles ?

Ce sont des ruines antiques et modernes. C’est un thème que j’affectionne. Elles sont à la fois construction et déconstruction. J’appartiens à cette génération qui a vu la chute des tours jumelles et qui a assisté à l’installation du chaos au Moyen-Orient – par notre faute. Les réfugiés de ces pays orientaux, aujourd’hui, doivent s’enfuir, et ont tout à reconstruire. Cette matière, venue de Syrie illustre ces temps difficiles.

Les ruines évoquent à la fois les piliers des empires grecs et romains, et le chaos actuel du monde. Malgré tout, j’aime à penser qu’il y a un espoir de reconstruction dans le futur, tout comme moi, je reconstruis ce savon.

Ces sujets historiques et sociaux te tiennent à cœur ?

Les questions identitaires, de frontière et de transit me fascinent. En même temps, je cherche toujours un lien avec la matière. Le savon est un objet du quotidien, il a un lien fort avec la nature et l’Homme, les souffrances. C’est, en quelque sorte, une relique. Sais-tu que ce sont les croisés qui ont importé le savon en occident ? Ils l’ont déposé à Marseille, faisant du savon de Marseille le petit enfant du savon d’Alep. C’est un sujet qui invite au voyage.

Comment mets-tu en valeur ces sculptures ?

Je les photographie à la chambre numérique. Mon objectif était de shooter un bâtiment architectural. Je joue avec les perspectives : les images sont prises du point de vue d’un humain. On peut voir les plafonds et les sols des étages que je sculpte. Au départ, je voulais placer mes constructions sur du gravât, mais après plusieurs essais, je me suis rendu compte que la sculpture était sublimée par l’aspect épuré. J’ai également réalisé des vidéos de ces structures pour évoquer l’esthétique visuelle d’un drone. Une autre manière de lier le présent à l’Histoire.

D’autres projets, liés à ces ruines architecturales ?

Mes photographies exposées à Circulation(s) marquent mon premier passage en France. L’image fonctionne très bien avec ce projet de plasticien, elle permet de mettre en valeur la minutie du travail.

Pour l’instant, j’ai réalisé une centaine de savons. Je prépare une autre installation, dans le cadre de la biennale de Dakar, qui regroupera trois cents de ces sculptures. C’est un travail gargantuesque, car je passe entre trente minutes et 1 heure 30 à sculpter et photographier le résultat.

© Emmanuel Tussore© Emmanuel Tussore
© Emmanuel Tussore© Emmanuel Tussore
© Emmanuel Tussore© Emmanuel Tussore

© Emmanuel Tussore

Explorez
Les photographes montent sur le ring
© Mathias Zwick / Inland Stories. En jeu !, 2023
Les photographes montent sur le ring
Quelle meilleure façon de démarrer les Rencontres d’Arles 2025 qu’avec un battle d’images ? C’est la proposition d’Inland Stories pour la...
02 septembre 2025   •  
Écrit par Lucie Donzelot
Volcan, clip musical et collages : nos coups de cœur photo d’août 2025
© Vanessa Stevens
Volcan, clip musical et collages : nos coups de cœur photo d’août 2025
Expositions, immersion dans une série, anecdotes, vidéos… Chaque mois, la rédaction de Fisheye revient sur les actualités photo qui l’ont...
29 août 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Contenu sensible
Focus #80 : Sofiya Loriashvili, la femme idéale est une love doll
06:31
© Fisheye Magazine
Focus #80 : Sofiya Loriashvili, la femme idéale est une love doll
C’est l’heure du rendez-vous Focus ! Alors que sa série Only You and Me se dévoilera prochainement sur les pages de Sub #4, Sofiya...
27 août 2025   •  
Écrit par Lou Tsatsas
La sélection Instagram #521 : monstres et merveilles
© Jean Caunet / Instagram
La sélection Instagram #521 : monstres et merveilles
Les monstres, les créatures étranges et hors normes sont souvent associés au laid, au repoussant. Les artistes de notre sélection...
26 août 2025   •  
Écrit par Lucie Donzelot
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Sandra Calligaro : à Visa pour l'image, les Afghanes sortent de l'ombre
Fahima (17 ans) révise dans le salon familial. Elle suit un cursus accessible en ligne sur son smartphone. Kaboul, Afghanistan, 24 janvier 2025. © Sandra Calligaro / item Lauréate 2024 du Prix Françoise Demulder
Sandra Calligaro : à Visa pour l’image, les Afghanes sortent de l’ombre
Pour la 37e édition du festival Visa pour l’Image à Perpignan qui se tient jusqu’au 14 septembre 2025, la photojournaliste Sandra...
Il y a 5 heures   •  
Écrit par Marie Baranger
Fisheye #73 : vivre d'Amour et d'images
© Jenny Bewer
Fisheye #73 : vivre d'Amour et d’images
Dans son numéro #73, Fisheye sonde les représentations photographiques de l’amour à l’heure de la marchandisation de l’intime. À...
Il y a 10 heures   •  
Écrit par Marie Baranger
Nicole Tung, ultime lauréate du Prix Carmignac !
Diverses espèces de requins, dont certaines sont menacées d'extinction, tandis que d'autres sont classées comme vulnérables, ont été ramenées à terre à l'aube par des pêcheurs commerciaux au port de Tanjung Luar, le lundi 9 juin 2025, à Lombok Est, en Indonésie. Tanjung Luar est l'un des plus grands marchés de requins en Indonésie et en Asie du Sud-Est, d'où les ailerons de requins sont exportés vers d'autres marchés asiatiques, principalement Hong Kong et la Chine, où les os sont utilisés dans des produits cosmétiques également vendus en Chine. La viande et la peau de requin sont consommées localement comme une importante source de protéines. Ces dernières années, face aux vives critiques suscitées par l'industrie non réglementée de la pêche au requin, le gouvernement indonésien a cherché à mettre en place des contrôles plus stricts sur la chasse commerciale des requins afin de trouver un équilibre entre les besoins des pêcheurs et la nécessité de protéger les populations de requins en déclin © Nicole Tung pour la Fondation Carmignac.
Nicole Tung, ultime lauréate du Prix Carmignac !
La lauréate de la 15e édition du Prix Carmignac vient d’être révélée : il s’agit de la photojournaliste Nicole Tung. Pendant neuf mois...
04 septembre 2025   •  
Écrit par Lucie Donzelot
RongRong & inri : « L'appareil photo offre un regard objectif sur le sentiment amoureux »
Personal Letters, Beijing 2000 No.1 © RongRong & inri
RongRong & inri : « L’appareil photo offre un regard objectif sur le sentiment amoureux »
Le couple d’artiste sino‑japonais RongRong & inri, fondateur du centre d’art photographique Three Shadows, ouvert en 2007 à Beijing...
04 septembre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger