« Tendance floue est pluriel, les solutions photographiques Fujifilm également »

13 novembre 2020   •  
Écrit par Anaïs Viand
« Tendance floue est pluriel, les solutions photographiques Fujifilm également »

Environnementales, personnelles ou encore politiques, les fragilités sont multiples, et ô combien actuelles. Le collectif Tendance floue s’est emparé de ce thème pour son nouveau projet intitulé Fragiles. C’est à cette occasion que nous avons dialogué avec l’un de ses représentants, Ljubiša Danilović, et Franck Portelance, responsable des relations extérieures chez Fujifilm, compagnon de longue date du collectif. Entretien.

Fisheye : Quelles valeurs partagent le collectif Tendance floue et Fujifilm ?

Franck Portelance : En tant que leader historique de la photographie, Fujifilm s’est attaché depuis toujours à promouvoir la communication à travers les supports visuels. La photo amateur nous montre à quel point nous partageons un socle commun et comment nos différences culturelles nous enrichissent plutôt que nous divisent. Sur le plan professionnel, la photographie de reportage documente les enjeux du présent, et la photographie plasticienne ouvre de nouveaux imaginaires. Sans être un reflet parfait de la réalité, la photo reste un langage direct, sensible, immédiatement interprétable. Avec le 8e art, il est toujours possible de prendre de la distance et d’exercer son intelligence. La photo réintroduit le silence dans le fracas du monde. Pour Fujifilm, la photographie permet de montrer le monde en mouvement tout en laissant le spectateur élaborer ses propres interrogations et formuler ses propres réponses. Notre engagement auprès de Tendance floue, à travers l’expression plurielle et démocratique qui lui est propre, est l’exemple parfait de nos orientations.

Ljubiša Danilović : Je crois bien que la curiosité et l’écoute se retrouvent de part et d’autre de cette collaboration. Autour de la table, chez Tendance floue, il y a autant d’écritures photographiques que de personnalités (souvent fortes). Nos avis diffèrent, tout comme nos sensibilités. Créer ensemble nécessite une grande attention et un respect mutuel. L’équipe de Fujifilm est très à l’écoute de ses ambassadeurs, de ses collaborateurs, et des avis de leurs clients en général.

Comment est née votre collaboration, et quels ont été ses temps forts ?

FP & LD : La première collaboration entre Fujifilm et Tendance floue date de 2003, et de l’exposition et du livre National Zéro (2003). Fujifilm a également apporté son soutien à la série de publications des MAD IN (China, India, France) entre 2007 et 2011. Un certain nombre de photographes du collectif ont depuis également collaboré de façon individuelle avec la marque, et plusieurs photographes du collectif travaillaient déjà avec ses appareils avant le projet Fragiles.

Dans quelle mesure les solutions photographiques apportées par Fujifilm sont-elles adaptées à l’engagement de Tendance floue ?

FP : Notre soutien s’est d’abord concrétisé par un support technique. Chacun des quinze photographes engagés dans cette aventure dispose de matériel Fujifilm. Ils peuvent en changer au fil du temps. Le large choix de gammes, de boîtiers, d’ergonomies, de formats de capteur et d’optiques est en mesure de permettre à chaque style et chaque pratique photographique de trouver son outil privilégié, et d’adapter le traitement de son sujet.

LD : Fujifilm propose une gamme étendue d’appareils qui correspond à des usages et des pratiques photographiques différentes. Du compact ultraléger au moyen format survitaminé, il y a de quoi contenter le street photographer comme le photographe de studio. Il y a chez Tendance floue une grande variété d’approches photographiques, certaines sont documentaires, d’autres purement poétiques. Certaines s’emparent quasi exclusivement du portrait, là où d’autres ne jurent que par la photographie de paysage ou l’approche architecturale. Et parfois ces écritures se mélangent – ce qui explique que certains photographes travaillent avec différents appareils de la gamme. Nous avons tous trouvé notre bonheur parmi les boîtiers de la marque. Tendance floue est pluriel, les solutions photographiques Fujifilm également.

© Mat Jacob

En 2021, le collectif Tendance floue fêtera ses 30 ans, et ses 18 années de collaboration avec Fujifilm. Évoquons Fragiles, un projet phare pour chacune des deux maisons…

FP : Il y a deux ou trois ans, Mat Jacob m’a contacté pour initier une collaboration avec Fujifilm. Le projet s’est concrétisé durant l’été et l’automne 2019. Il visait à explorer les zones de fractures et d’instabilité du présent, et les réinventions du monde et des modes de vie. Il est aisé de constater comment les crises climatiques, sanitaires, politiques et sociales impactent le présent et nous engagent individuellement et collectivement vers de nouvelles voies. L’idée est d’en faire une sorte d’inventaire, et c’est ainsi que les thèmes du projet Fragiles ont, petit à petit, émergé. Nous avons tout de suite été très sensibles à cette tentative d’expression d’une refondation des regards portés sur le présent. D’autant plus que nous percevons tous ce sentiment de doute.

LD : Le projet Fragiles a une résonance particulière pour le collectif, tout d’abord parce que nous souhaitions, non pas célébrer nos trente années d’existence à une date précise, mais passer le cap avec une production nouvelle. Dans le paysage photographique français, la longévité de cette aventure collective est assez exceptionnelle, et aucun de nous n’avait envie de célébrer les 30 ans en ressortant simplement ses archives. Le projet Fragiles est ambitieux, et nos attentes artistiques vis-à-vis de nous-mêmes sont grandes. Fragiles est LE grand projet collectif sur lequel Tendance floue s’implique depuis un peu plus d’un an… Hélas, La crise sanitaire et les restrictions qui en découlent ont mis un coup de frein temporaire à la réalisation de ce projet – et à notre activité en général, mais ce n’est pas comme si nous étions les seuls concernés. Aucun de nous n’a vraiment eu la possibilité de se déplacer à l’étranger comme il l’avait initialement prévu, nous sommes contraints de travailler sur place pour l’instant. On peut dire que nous sommes tous dans les starting-blocks.

Quelle est la genèse de ce projet particulièrement d’actualité ?

LD : Comme tous les autres projets, Fragiles est né autour de la table de réunion, il y a deux ans environ, un mercredi soir. Il est parti d’un constat, d’une phrase prononcée à voix haute par Clémentine Semeria [chargée de projets de TF] : « Ça bug quand même grave à tous les étages en ce moment… ! » BUG était le titre originel du projet. Il s’est affiné, et s’intitule désormais Fragiles.

Fragiles est né du constat que le chaos menace notre monde, et d’une envie de témoigner de sa vulnérabilité et de son incertitude… Quelles sont les différentes fragilités dont le collectif témoigne à travers ce projet ?

LD : BUG était un titre qui avait l’inconvénient de nous enfermer dans une énumération de dysfonctionnements. Nous avions le sentiment qu’il était déjà trop tard pour s’en emparer, et que la chose était actée au niveau mondial. Il y avait dans cette version initiale une orientation induite à ne voir que ce qui allait mal. Fragiles a émergé lors du premier confinement. Chacun de nous a été – au moins psychologiquement – impacté par cette privation soudaine de liberté de circulation. Fragiles est un constat établi, en premier lieu, à partir de notre expérience personnelle. Et puis nous avons observé que la fragilité existait autour de nous aussi : l’environnement, la vraie démocratie, l’économie, et plus largement l’ensemble des histoires communes qui ne tiennent que par l’intersubjectivité, c’est-à-dire notre croyance commune en leur bien-fondé. Or, nos mythes fondateurs s’effondrent, celui de la croissance sans limites en particulier, et aucun autre n’est encore venu prendre sa place. Ce titre Fragiles peut être compris comme un constat donc, mais comme une revendication aussi. Le monde n’irait-il pas mieux si chacun acceptait sa fragilité et se comportait en conséquence ?

© Alain Willaume / Tendance floue

Franck, qu’est-ce qui t’a séduit dans ce nouveau projet Fragiles ?

FP : Chacun mesure l’importance des fractures qui traversent notre présent. Le déclassement et les inégalités déstabilisent notre modèle social. Les bouleversements environnementaux mettent en danger jusqu’à la survie de l’espèce. Le statut de la vérité est mis en cause par les complotismes. Le choix de l’ignorance et la contestation des faits deviennent une vertu. Le danger pandémique ressurgit dans un monde où l’homme se pensait tout puissant. Les obscurantismes fissurent les démocraties. La litanie des crises qui bousculent nos modes de vie est longue. Il faut bien une dose d’insouciance pour se lever matin ! Face à chacun de ses enjeux, des hommes et des femmes inventent de nouveaux modes de vie, innovent et changent leurs regards sur le monde pour offrir une chance à l’avenir. À travers cette confrontation des crises et des tentatives de dépassement, l’espoir, le courage et la ténacité sont toujours à l’œuvre ! L’exploration des fragilités du présent s’enrichit ainsi des perspectives individuelles portées par chacun des membres du collectif, et la pluralité guide l’intelligence du spectateur vers une réflexion plus globale.

Fragiles, un mot quant au choix du thème pluriel ?

FP : Jusqu’à présent, aucune synthèse de cette situation globale n’avait été tentée à travers le média photographique. Le faisceau convergent des crises et des opportunités avait été laissé aux seuls médias discursifs. Bien que des approches photographiques documentaires existent, une synthèse manquait. Tendance floue nous propose de rechercher, à travers des visions multiples sur ces bouleversements, les liens qui les unissent. L’approche photographique permet à chacun des spectateurs de se forger sa propre idée sur les enjeux, voire l’enjeu unique, celui du présent.

LD : Pour l’instant, chacun des photographes a décidé de s’emparer du projet avec sa sensibilité individuelle. Il s’agira dans un second temps de faire évoluer le projet en opérant des croisements entre nos histoires et nos écritures. Parfois, ce manque de visibilité sur le long cours peut déconcerter. Pourtant, c’est l’ADN de Tendance floue ! On ne connait pas le point d’arrivée. Et heureusement ! « Si l’on sait exactement ce qu’on va faire, à quoi bon le faire ? », disait Pablo Picasso. Il y a une direction générale, une Tendance… mais elle reste floue. Certains sont à l’écoute de ce que font les autres, d’autres se sont emparés déjà de projet précis, pour d’autres encore cela reste plus vague.

En guise d’exemple, en discutant avec Grégoire Eloy nous nous sommes aperçus que les glaciers qui le fascinent depuis longtemps se situent sur la route des flux migratoires qui me préoccupent depuis des années. Nous allons donc tenter un rapprochement visuel de nos deux projets. Nous partirons ensemble dans les Alpes cet hiver pour voir si nous pourrions trouver des résonnances pertinentes entre ses images de glaciers menacés par la fonte, et mes portraits de migrants qui parfois laissent leurs vies dans ces mêmes montagnes.

© Grégoire Eloy / Tendance floue

Quelques mots quant aux restitutions prévues ?

FP & LD : Le projet d’exposition, initialement prévue en 2021, a été reporté à 2022 d’un commun accord. De manière assez pragmatique, l’impossibilité de voyager à l’étranger et le report de la plupart des expositions programmées en 2021 par la grande majorité des lieux culturels ne nous ont pas vraiment laissé le choix.

Techniquement, quels boîtiers ont participé au projet Fragiles ?

FP : Les choix se sont portés pour les uns sur le grand format (moyen-format) GFX – GFX100, ou un des deux GFX50 – lorsque la précision de l’image et la douceur de ce format étaient requises. D’autres, plus attachés à la légèreté, la liberté et la discrétion ont fait le choix des appareils de la série X (X-T3 ou X-T30, X-Pro3 ou X100). Que ce soit 26 Mpixels, 50 Mpixels, 100 Mpixels, la finesse des images, la fidélité colorimétrique et la réactivité sont toujours présentes aux rendez-vous fixés par le regard exigeant des photographes du collectif.

Quels sont les nouveaux enjeux du collectif ? Comment Fujifilm vous accompagne-t-il dans cette quête de renouveau ?

LD : À ce jour, le collectif est, comme toutes les structures culturelles, en difficulté. C’est la conséquence directe des choix politiques qui ont été fait pour endiguer la propagation de la Covid-19. Les enjeux sont donc de tenir bon face à des commandes annulées ou reportées. L’avantage d’avoir trente années d’existence, c’est que cette crise n’est pas la première que le collectif traverse. La structure, importante par sa taille, reste fragile mais résiliente. La structure collective – tout comme les photographes à titre individuel – est habituée à se situer juste au-dessus de la ligne de flottaison.

Dans le contexte actuel plus encore que d’ordinaire, la présence à nos côtés d’un partenaire comme Fujifilm nous réjouit. C’est un compagnon de longue date dont on ne peut que louer la fidélité et l’engagement vis-vis de la photographie et des photographes. Énormément d’entreprises traversent une période difficile et, malgré cela, l’engagement de l’équipe de Fujifilm France ne s’essouffle pas. Continuer à bénéficier de leur soutien et de leur expertise est une chose très précieuse pour le collectif.

 

Un échange à prolonger en visionnant la vidéo de l’interview de Ljubisa DANILOVIC et Grégoire ELOY (de Tendance Floue) lors des rendez-vous virtuels Fujifilm Fait Son Show. Retrouvez aussi le tiré à part dédié au projet Fragiles (bilan d’étape) distribué dans le Fisheye #44, disponible en kiosque lundi. 

© Yohanne Lamoulère / Tendance floue© Yohanne Lamoulère / Tendance floue

© Flore-Aël Surun / Tendance floue© Ljubiša Danilović / Tendance floue

© Tendance floue

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