Clément Chapillon, 35 ans est un photographe basé à Paris. Entre 2015 et 2016, il s’intéresse au lien entre les hommes et leur terre en Israël et en Palestine et réalise sa série Promise Me A Land. Aujourd’hui, il souhaite prolonger ce travail en créant un ouvrage. Entretien.
Fisheye : Quand et comment es-tu devenu photographe ? Tu as quitté ton agence de communication pour devenir photographe, quel a-été le déclic ?
Clément Chapillon : Je fais de la photographie depuis l’adolescence. C’est un hobby qui prend de plus en plus de place dans ma vie depuis une dizaine d’années. J’ai toujours été un nomade et il m’est impossible de voyager sans mon boîtier. Petit à petit a germé l’idée que ça pouvait être plus qu’une simple passion. En 2015, j’ai quitté mon agence de communication, car je sentais que je devais tenter ma chance, je ne voulais pas vivre avec le regret d’être passé à côté de quelque chose. Ce fut un choix difficile, j’avais une carrière toute tracée, une équipe et un bon poste. J’ai suivi 4 mois de formation intensive aux Gobelins et je me suis lancé dans un projet documentaire en Israël et en Palestine. Depuis deux ans, ce projet est mon quotidien.
Comment a germé l’idée de cette série, Promise Me A Land ?
Le déclencheur est très simple : en trois ans, deux de mes meilleurs amis sont partis vivre en Israël. Deux copains avec qui j’ai grandi, deux personnes avec qui je partage la même culture, les mêmes goûts, décident de quitter la France, leur pays de naissance. J’ai voulu comprendre comment cette terre pouvait exercer une telle gravité. J’avais mon sujet, il me restait à trouver mon angle et mon histoire.
Quelles ont été les différentes étapes de ton projet ?
J’ai fait mon premier voyage en 2010, mais le projet n’a pas commencé à ce moment. En 2015, j’ai d’abord effectué un long travail préparatoire afin d’explorer les regards qui ont été posés sur ce territoire. Pendant des mois, je me suis plongé dans les travaux photographiques et littéraires réalisés par des Israéliens, des Palestiniens, mais aussi des étrangers. En février 2016, je suis parti me confronter au terrain, avec un microphone enregistreur et un appareil photo reflex plein format, un Nikon D810. J’ai réalisé au total 4 voyages, chacun d’eux a duré entre 15 jours et 2 mois. C’est le travail entre les voyages qui fut le plus long. Il me fallait ensuite environ 4 mois pour regarder et éditer mes images, écouter mes interviews et prendre le recul nécessaire.
Quel boîtier as-tu utilisé ?
Je me suis servi d’un appareil photo reflex plein format, un Nikon D810. J’ai tout photographié au format ⅘ qui est un format natif du capteur, ainsi qu’avec une optique fixe 35mm, aussi bien pour les portraits que pour les paysages.
Qu’as-tu voulu montrer à travers ce projet ?
J’ai voulu documenter le lien entre les hommes et leur terre en Israël et en Palestine. J’ai adopté cet angle au fur et à mesure de mes voyages et de mes expériences. La notion de terre est devenue pour moi le prisme essentiel pour comprendre ce que je voyais et ce qu’on me racontait. Tout me ramenait à elle. Durant une interview, un Israélien me raconte : « nous avons toujours été le peuple du livre, nous devons maintenant apprendre à devenir le peuple de la terre ». En Israël, le retour de l’homme à sa terre est synonyme d’une forme d’émancipation, d’autodétermination et de rédemption. Du côté palestinien, j’ai découvert une société en miroir, c’est-à-dire un peuple aussi attaché au territoire que les Israéliens, mais avec une autre histoire. Celle d’un territoire perdu, occupé ou juste partagé. Et au-delà des tragédies passées et présentes ressenties, j’ai été frappé par l’importance de la terre dans leur tradition et leur quotidien. En creusant cette thématique, je pouvais apporter beaucoup de clés de lecture sur les mentalités et les identités de cette région.
Comment définirais-tu ton approche photographique pour ce projet ?
Je ne pense pas qu’il s’agisse de photojournalisme, je préfère employer le terme de photographie documentaire. Je n’ai pas d’images-chocs, je ne m’intéresse pas à un sujet unique, je ne suis pas allé sur les zones de conflits. Je voulais justement éviter de respecter toutes ces règles du photojournalisme. Israël / Palestine est un sujet clivant. Avec Promise Me A Land, j’ai voulu développer une vision sensible et empathique, loin du traitement habituel. Mes photos suggèrent l’expérience artistique. Ce projet est comme un essai photographique du réel. Faire ressentir les couleurs, les lumières et la chaleur, trouver des portraits qui racontent l’identité et le rapport à la terre, c’est compliqué et en même temps personnel. Ma matière brute c’est la réalité sous toutes ses formes, je ne fais pas de mise en scène, j’utilise exclusivement la lumière naturelle.
Comment as-tu choisi les modèles à photographier ? Quelle était ta démarche ?
Je voulais incarner mon récit à travers des individualités, observer cette terre complexe à travers les yeux et la voix de ses habitants. L’humain était donc primordial, aussi bien dans mes images que dans mes textes. Pour capturer des portraits ou pour réaliser les interviews, j’arrêtais les gens au hasard de ma route, dans les cafés, à l’arrêt de bus, au milieu du désert, au marché… Je voulais des rencontres vraies et spontanées. Mes portraits doivent raconter le territoire, le plan large permet de les ancrer dans leur environnement, qu’il soit urbain ou naturel. Le contexte est parfois aussi important que le portrait lui-même. Je cherchais des images qui sortent des clichés et des fantasmes qu’on se fait sur cette terre, je voulais que mes photos montrent le quotidien de millions de gens dont on ne parle jamais.
Peux-tu nous raconter un souvenir marquant avec l’une des familles photographiées ?
Il y en a eu tellement, difficile de choisir ! Mais il y a eu un moment particulier lors de mon 3ème voyage, c’était à Rosh Hanikra, à la frontière libanaise, sur une plage de la Méditerranée. Les derniers rayons de soleil éclairaient des adolescents qui plongeaient des rochers. Le temps est à l’insouciance à quelques mètres de l’une des frontières les plus disputées de la planète. Lorsque je décide de m’approcher de la plage, je vois une famille d’Arabes Israéliens, ils ont installé leur chaise directement dans la mer, la houle est forte, mais le système de fixation tient bon. Je m’approche, il me regarde et m’invite à m’installer avec eux. Je m’exécute, ils me donnent quelques fruits et un verre de thé, le moment est délicieux. Je rejoins la plage pour discuter avec les deux petites filles de la famille. Elles parlent bien anglais et rêvent de venir à Paris. Elles chantent « voulez-vous coucher avec moi ce soir » et se mettent à rire. Je fais presque partie de la famille le temps d’un coucher de soleil, les parents regardent les moutons orangés qui filent dans le ciel, ils m’ont oublié, c’est le moment de faire la photo.
Tu es au coeur d’une campagne de financement participatif pour la création d’un livre. Peux-tu nous expliquer ce projet de livre ?
Faire un livre est pour moi l’aboutissement de cette aventure, j’ai toujours pensé que ce serait le meilleur moyen de transmettre mon récit. Il mêlera les images que j’ai réalisées et quelques textes importants tirés de mes interviews. Je pense qu’il fera environ 130 pages. Je vais tout faire pour que cet ouvrage soit une véritable expérience sensorielle, avec la couverture et le papier. La maison d’édition Kehrer a choisi de soutenir ce projet, c’est pour moi un vrai honneur car il s’agit d’un éditeur très reconnu dans le milieu de l’édition photographique. J’ai besoin de collecter les fonds nécessaires à l’impression des 1000 exemplaires, c’est pourquoi j’ai lancé une campagne de financement participative sur Kickstarter. L’objectif est de réunir 10 000 € mais j’ai besoin de bien plus pour produire le livre donc je serai heureux si je dépasse ce seuil !
Tu vas allier images et récits ?
C’est un véritable travail de puzzle pour construire un récit qui fasse sens. Le rapport entre le texte et l’image est important, il ne s’agit pas d’illustrer des mots ou de légender les images, mais de les enrichir les uns aux autres sous forme d’échos. Je voulais réunir dans un récit commun toutes ces existences qui se croisent sans jamais se regarder, sans jamais se parler. Je trouve que peu de travaux mêlent les différents langages.
Pourquoi, à l’heure du numérique, se lancer dans un tel projet ?
Premièrement, parce qu’un livre est un objet qui à la fois arrête, fixe et donne vie au projet. Une fois qu’il est imprimé, il propose l’expérience ultime pour le lecteur de se plonger dans mon récit. Je trouve que le livre est parfois plus puissant qu’une exposition car il crée un lien très intime entre l’auteur et le lecteur. Il permet de rentrer plus en profondeur dans la vision du photographe. Un livre permet une narration plus dense. Enfin, on a beau avoir les meilleurs écrans du monde, rien ne remplace une expérience photographique sur du papier. Dans mon projet, l’expérience avec le papier, sa texture et sa matière est primordiale, notamment pour ressentir le rapport à la terre et aux paysages.
Peux-tu nous parler de ta rencontre avec la maison d’édition Kehrer ?
Il s’agit d’une rencontre inattendue. Je me trouvais à Arles cet été dans le cadre du festival des “Voies Off”. Entre deux rendez-vous, je me promenais, mon portfolio sous le bras, et je suis passé devant la librairie Kehrer éphémère.Je rentre, feuillette quelques livres et demande si « par hasard », quelqu’un serait disponible pour réaliser une lecture de portfolio. Une femme arrive avec un peu de retard, Alexa. Comme il ne me restait plus que 10 minutes avant mon prochain rendez-vous, j’ai effectué une présentation très rapide. Elle me donne sa carte de visite et plus tard, j’ai su que le projet était validé en interne. C’est la magie des Rencontres d’Arles.
Quels sont tes autres projets après le livre ?
Cet été, j’ai obtenu le prix Leica portfolio award. Un prix qui va me permettre d’exposer cette série dans les galeries parisienne et milanaise de Leica. Et puis, j’ai appris, il y a seulement quelques jours, que Promise Me A Land a été sélectionnée au festival Circulation(s), mon travail sera donc aussi visible au Centquatre l’année prochaine aux côtés d’autres jeunes photographes. Enfin, j’ai un projet d’exposition dans un village proche de Jérusalem avec une institution Israélienne qui milite pour la paix, ça serait très fort de pouvoir présenter mon projet aux personnes qui vivent au quotidien sur cette terre.
Trois mots pour décrire ce travail ?
Promise – Me – a Land.
Promise Me A Land © Clément Chapillon