Les Reines de Catane, transmettre la beauté absurde de la vie

09 juin 2022   •  
Écrit par Finley Cutts
Les Reines de Catane, transmettre la beauté absurde de la vie

Pour Glitter Blues, le photographe Lorenzo Castore s’est rendu dans les méandres des rues de San Berillo, à Catane. Un quartier rouge dont l’histoire fait singulièrement écho à celle de ses habitantes. Cet article est à retrouver dans notre dernier numéro.

Les projets du photographe italien Lorenzo Castore sont toujours dictés par la passion, et son ouvrage Glitter Blues, publié en novembre dernier, ne déroge pas à la règle. Une passion brûlante qui l’amène à s’immiscer dans les vies, toujours plus trépidantes, de ses sujets. À la marge de nos sociétés, ces personnes aux multiples facettes se livrent sans complexe devant son œil bienveillant. Car le regard de cet insatiable curieux ne dissimule aucune malice, seulement une grande tendresse. Une honnêteté qui l’a d’ailleurs fait tomber dans le 8e art dès 18 ans, sans savoir ce qu’il voulait faire de sa vie. « À l’époque, je ne m’intéressais pas à la photographie. J’ai eu une révélation en voyant l’exposition Exils de Josef Koudelka, à Florence. Ce médium que je pensais trop réaliste pouvait en fait montrer bien plus que la réalité. Il y ajoutait même du mystère », raconte-t-il. Lorenzo Castore n’y trouva rien de moins qu’une promesse de liberté, ce concept qui a nourri ses rêves de jeunesse. Avec une main sur l’appareil photo et l’autre sur le cœur, l’artiste plonge corps et âme, « avec le cerveau et les tripes », dans la vie de ses personnages plus grands que nature. « Je suis toujours poussé par une puissante attraction pour les gens. C’est la seule façon dont je choisis mes sujets. Cela me permet de transmettre la beauté absurde de la vie », poursuit-il.

© Lorenzo Castore

En 2004, sa boussole interne le conduit à Catane, cité portuaire de Sicile. Un ami lui suggère d’aller se perdre dans les ruelles de San Berillo, le quartier rouge mythique de la ville où il rencontre ses habitantes, singulières et travesties. « Le quartier des girls semblait un territoire à part, comme une île sans la mer qui l’entoure, ou un château sans fortifications, se souvient-il. Dans ces quatre petites rues, l’intimité déborde sur le seuil des chambres du rez-de-chaussée qui s’ouvrent sur la ville. » Et c’est sur le seuil d’une de ces chambres qu’il rencontre Franchina. « Sa générosité informelle vous met vraiment à l’aise. Nous avons parlé un peu, j’ai demandé si je pouvais prendre quelques photos d’elle, puis j’ai continué ma promenade », raconte le photographe. C’est dans le même esprit, entre insouciance et curiosité, qu’il tombe nez à nez avec Cioccolatina. « Avec exubérance, elle m’a invité à entrer dans sa chambre, me promettant une expérience inoubliable. Elle a pris mon refus avec nonchalance, et nous sommes restés à discuter jusqu’à ce qu’un client arrive et que notre rencontre soit brusquement interrompue. » Et durant plusieurs années, chaque fois que Lorenzo est retourné à Catane, il refait le détour par ce quartier pour causer avec ces femmes dont le non-conformisme l’intriguait.

© Lorenzo Castore

La souffrance d’Agathe

À partir de 2011, Lorenzo Castore intensifie ses voyages en Sicile, mais pour une tout autre raison : une passion naissante pour les fêtes de Sainte-Agathe. Sainte patronne de la ville, Agathe de Catane, était inscrite dans la tradition païenne de la Sicile avant d’intégrer le giron du catholicisme. Elle mourut en martyre après diverses tortures, dont une amputation des seins pour avoir refusé de se donner au proconsul de l’époque et de trahir sa foi. Chaque année, durant trois jours, début février, une immense procession parcourt la ville pour vénérer cette sainte. Des foules de jeunes gens, un cierge à la main, expriment leur dévotion et leur foi aveugle. Un spectacle qui hypnotise le photographe italien. « L’esprit païen de cette manifestation, cet abandon au mystérieux, associé à l’image de la jeune fille humiliée, torturée et amputée dans l’expression physique la plus symbolique de la féminité, a créé en moi un puissant court-circuit émotionnel. J’ai subitement fait le rapprochement entre la vierge et ces jeunes filles auxquelles la nature n’avait pas accordé de seins, mais des “organes génitaux excédentaires” », explique-t-il. La souffrance d’Agathe fait écho au conflit identitaire qu’éprouvent les girls de San Berillo. Une tension qui a fait d’elles les proies de discriminations.

Cet article est à retrouver en intégralité dans Fisheye #53, disponible ici

© Lorenzo Castore

© Lorenzo Castore

© Lorenzo Castore

© Lorenzo Castore

© Lorenzo Castore

© Lorenzo Castore

© Lorenzo Castore

Explorez
Octavio Aguilar remporte le prix Découverte Roederer
Ma yëë tunjoty, ma yëë kopkjoty, 2020. © Octavio Aguilar. Avec l’aimable autorisation de l’artiste / Parallel Oaxaca.
Octavio Aguilar remporte le prix Découverte Roederer
Pour la deuxième année consécutive, les Rencontres d'Arles mettent en lumière les sept finalistes du prix Découverte Fondation Roederer à...
12 juillet 2025   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Rencontres d'Arles 2025 : les coups de cœur de la rédaction
Montagne de Corte, Corse, 2022. © Jean-Michel André. Avec l’aimable autorisation de l’Institut pour la photographie / Galerie Sit Down.
Rencontres d’Arles 2025 : les coups de cœur de la rédaction
En parallèle de ses articles sur la 56e édition des Rencontres d’Arles, qui se tient jusqu’au 5 octobre 2025, la rédaction...
12 juillet 2025   •  
Camille Lévêque décortique la figure du père
© Camille Lévêque. Glitch, 2014. Avec l’aimable autorisation de l’artiste
Camille Lévêque décortique la figure du père
Dans À la recherche du père, Camille Lévêque rend compte de questionnements qui l’ont traversée pendant de longues années....
10 juillet 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Pour ses vingt ans, MYOP rend hommage au passé pour mieux se tourner vers l’avenir
Militaires russes en visite sur le site de Chersonèse, Ukraine, 2005 © Julien Daniel / MYOP
Pour ses vingt ans, MYOP rend hommage au passé pour mieux se tourner vers l’avenir
Cette année, MYOP fête ses vingt ans. À cette occasion et dans le cadre des Rencontres d’Arles, les photographes de l’agence...
09 juillet 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Les images de la semaine du 7 juillet 2025 : sous le soleil arlésien
The Last Cosmology © Kikuji Kawada
Les images de la semaine du 7 juillet 2025 : sous le soleil arlésien
C’est l’heure du récap ! À l’occasion des Rencontres d’Arles, nous avons sélectionné une série d’expositions, aux sujets et...
Il y a 1 heure   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Octavio Aguilar remporte le prix Découverte Roederer
Ma yëë tunjoty, ma yëë kopkjoty, 2020. © Octavio Aguilar. Avec l’aimable autorisation de l’artiste / Parallel Oaxaca.
Octavio Aguilar remporte le prix Découverte Roederer
Pour la deuxième année consécutive, les Rencontres d'Arles mettent en lumière les sept finalistes du prix Découverte Fondation Roederer à...
12 juillet 2025   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Rencontres d'Arles 2025 : les coups de cœur de la rédaction
Montagne de Corte, Corse, 2022. © Jean-Michel André. Avec l’aimable autorisation de l’Institut pour la photographie / Galerie Sit Down.
Rencontres d’Arles 2025 : les coups de cœur de la rédaction
En parallèle de ses articles sur la 56e édition des Rencontres d’Arles, qui se tient jusqu’au 5 octobre 2025, la rédaction...
12 juillet 2025   •  
Nan Goldin, lauréate du prix Women in Motion 2025, présente Syndrome de Stendhal
Jeune amour, 2024 © Nan Goldin. Avec l’aimable autorisation de l’artiste / Gagosian.
Nan Goldin, lauréate du prix Women in Motion 2025, présente Syndrome de Stendhal
Ce mardi 8 juillet, Nan Goldin a reçu le prix Women in Motion au Théâtre Antique d’Arles, qui affichait complet. À cette occasion...
11 juillet 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet