Le rapport au passé et à l’enfance inspire les photographes. À travers sa rétrospective, Véronique Ellena explore notre mémoire et notre jeunesse avec une grande créativité. Thomas Hauser, lui, travaille ses clichés et les brouille, comme pour reconstruire ses souvenirs. Enfin, Ali Mobasser raconte son histoire et celle de son grand-père, alors qu’il fuit l’Iran. Ce parcours thématique au sein des Rencontres d’Arles est à découvrir dans notre dernier numéro, sous les plumes d’Éric Karsenty, Lou Tsatsas et Sofia Fischer.
De commandes publiques en résidences artistiques, Véronique Ellena explore par son approche plasticienne notre quotidien, notre mémoire et notre enfance depuis une trentaine d’années. La première rétrospective organisée par le musée Réattu est l’occasion de prendre conscience de son œuvre.
Dimanches, Recettes de cuisine, Supermarchés… Dans ces grandes fresques consacrées à la vie quotidienne, les personnages rejouent leur rôle dans leur propre décor. Une mise en scène de la classe moyenne qui sonne étonnamment juste. « J’ai choisi d’élever ces événements modestes mais fondateurs au rang d’œuvres d’art. Un enfant perd une dent, ce n’est rien dans la course du monde, mais, pour cet enfant, c’est immense et, pour ses parents, à cet instant, c’est tout », déclare l’artiste.
Le parcours éclectique de Véronique Ellena nous entraîne vers les maisons qui ont marqué son histoire familiale aussi bien que vers les sans-abri devenus Les Invisibles, « parce qu’on ne les regarde plus, écrasés sous le poids des architectures somptuaires qui monopolisent le regard ». Nature, natures mortes, vitraux ou plans- films numérisés créant de singuliers Clairs-obscurs, la photographe plasticienne née en 1966 n’hésite pas à transgresser les genres.
à g. Le cycliste, série « Ce qui ont la foi », 2003, à d. Angelo, série « Les Invisibles », Rome, 2011 © Véronique Ellena
Jeune fille dans sa chambre, série « Le plus bel âge », 2000 Rayon produits d’entretien, Les Supermarchés, 1992 © Véronique Ellena
Grenade, série « Les Natures mortes », 2007 © Véronique Ellena
L’éveil de la poussière
Se tourner vers l’enfance est également un travail de mémoire. À Ground Control, l’exposition The Wake of Dust, organisée par la galerie Un-spaced, porte bien son nom. En présence des œuvres de Thomas Hauser, on assiste à un véritable « éveil de la poussière ». Une poussière que l’on retrouve dans la nostalgie des images et dans leur grain si particulier. Car les clichés du photographe français sont manipulés avec soin après l’impression. Photocopiées, découpées, déformées, les photos deviennent des chefs-d’œuvre d’imperfection. Au cœur de ce grain, se trouvent des portraits mystérieux qui cohabitent avec des images abstraites, des sculptures, des explosions… Des portraits familiaux déconstruits par l’artiste, comme s’il cherchait à réorganiser ses souvenirs. À la manière d’un plasticien, Thomas Hauser réinvente son histoire avec cette décomposition. Et recompose un récit empreint de mélancolie, où les regards se croisent et où les visages sombrent dans l’obscurité.
© Thomas Hauser, courtesy galerie Un-spaced
Une époque heureuse avant l’exil
Ali Mobasser nous raconte son histoire. Une histoire d’amour, de douleur et d’exil d’une famille iranienne fuyant la révolution de 1979 à la lumière des photos de son grand-père prises entre 1959 et 1975 et découvertes il y a deux ans.
Quand la révolution éclate en 1979 en Iran, Ali Mobasser a 7 ans, et sa famille doit fuir le pays au plus vite. La grand-mère d’Ali, atteinte d’un cancer, ne peut quitter l’hôpital de Téhéran. Et son grand-père, général sous le Shah, devra l’abandonner. Le jeune Ali Mobasser atterrit en Californie avec sa mère et se met à collectionner les timbres iraniens. Un an plus tard, on l’envoie à Londres pour rendre visite à son père et son grand-père, avec dans ses bagages sa précieuse collection. Des vacances qui s’éternisent. Ali restera à Londres et grandira avec les deux hommes et sa tante dans un petit appartement où il dormira dans la chambre de son père, et d’où il continuera à collectionner les timbres iraniens, « seuls reliquats de [son] pays natal », précise-t-il. Chez lui, on ne parle pas du passé, de la somptueuse maison abandonnée à Téhéran. « Il n’y avait pas de conversations comme le font les familles normales : “On allait là en vacances”, ou “On avait telle voiture”… C’était comme si ça ne s’était jamais vraiment passé. »
À la mort de son père, en 2016, alors qu’il débarrasse la maison de famille, Ali Mobasser tombe sur une boîte de négatifs abîmés, rangés sous un lit. Ce sont des clichés pris par son grand-père, qui avait capté des moments de l’intimité familiale avec son précieux Rolleiflex – le même qu’il avait légué à Ali pour ses 19 ans – avant que la révolution n’éclate.
© Ali Mobasser
Ces articles sont à retrouver dans Fisheye #31, en kiosque et disponible ici.