Un matin de juillet sur la place du Forum, dans le centre d’Arles, Philippe Grollier commande un café allongé. Ses mains tremblent, il semble mal à l’aise à l’idée de parler de lui. C’est l’une des choses qui sautent aux yeux lorsqu’on le rencontre : le photographe est doté d’une grande humilité et fuit la lumière depuis toujours. Né à Nantes en 1975, Philippe est le seul de sa famille à ne pas être devenu charcutier. À l’école, il a galéré, redoublé et a été renvoyé de plusieurs établissements.
La photo est arrivée par hasard dans sa vie, au lycée : « On avait monté un fanzine avec des copains, je faisais des photos parce que j’étais le seul à avoir un appareil. J’aimais bien ça, mais je n’y connaissais rien. » Il fait une pause, puis ajoute, en riant : « Pour moi, Cartier-Bresson était un mec qui faisait des montres. » Titulaire d’un bac technologique, il est entré comme stagiaire à Presse Océan, un quotidien nantais, avant d’y travailler trois ans. « Trop rock’n’roll » pour le journal, il est parti à Toulouse suivre des études à l’École de photographie et de game design (ETPA). Attiré par le portrait parce qu’il rêvait d’illustrer des pochettes d’album, il a décidé d’en faire sa spécialité.
La page portrait de Libé en ligne de mire
À la sortie de l’école, en 1999, Philippe Grollier est devenu l’assistant de Sarah Moon et de Ruven Afanador, entre autres : « On faisait de la mode et de la pub, je découvrais plein de choses. » Lui qui n’avait jamais quitté la France a rempli son passeport en un an. « J’étais comme un poisson dans l’eau, même si ce n’était pas mon truc. » Au bout de deux ans, il s’est mis à démarcher la presse. À peine diplômé, il avait dit : « Quand je ferai la page portrait de Libé, j’aurai réussi. » En 2002, sa première commande tombe : il réalise le portrait de l’écrivain Paul-Loup Sulitzer… pour la dernière page de Libération. Pour le quotidien, Maïwenn et Anne Parillaud, entre autres, passent, elles aussi, devant son objectif. Il collabore également avec Le Monde, Télérama, L’Express, et cofonde le collectif Temps Machine avec quatre photographes.
Mais la vie à Paris ne lui convenait pas : l’homme discret et entier avait besoin de calme et d’espace. Il y a quelques années, il s’est installé à 40 km de Toulouse, dans une ferme en ruine. « En ayant quitté Paris, je savais que ça allait s’arrêter assez vite. » Sorti du réseau, il vit désormais de quelques commandes et de portraits pour la presse, mais les fins de mois sont difficiles : « J’ai failli arrêter parce que je n’y arrivais pas », avoue-t-il. Et puis, sans trop y croire, en mars dernier, il a participé au prix FIDAL de la photographie documentaire. Figurer parmi les cinq finalistes avec son projet Peacewalls, sur l’Irlande du Nord, a été une grande surprise pour lui. Son engagement a séduit le jury, et l’artiste a remporté une bourse de 20 000 euros pour lui permettre de financer le reste de ce projet durant deux ans.
Une vie pour raconter l’Irlande du Nord
À l’annonce du résultat, Philippe Grollier n’en est pas revenu : son travail, entamé quinze ans plus tôt, était enfin récompensé. Pour son ami de vingt ans, le photographe Guillaume Rivière, il était temps : « Ses photos sont très abouties, et cela fait des années que je lui disais de le montrer. Mais il attendait toujours d’en avoir plus. » …
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