Deux artistes sensibles aux questions de féminité, Clémentine du Pontavice et Louise Oligny, animent depuis deux ans un atelier de création à la Maison des femmes, à Saint-Denis. En associant bijoux, dessins et photographies, elles aident des victimes de violence à se reconstruire. Cet article est à retrouver dans notre dernier numéro.
Tous les lundis, des femmes de toutes origines se retrouvent à la Maison des femmes, à Saint-Denis (93). Le 17 juin, j’ai pu assister à l’un des derniers ateliers de l’année, « Réparer l’intime », animé par deux artistes. À l’étage du bâtiment accueillant toutes les femmes vulnérables ou victimes de violence, la pièce se remplit très vite. Il y a des habituées et de nouvelles têtes, venues juste par curiosité. Certaines d’entre elles me font la bise. Deux femmes discutent près de moi: « Comment tu vas? — C’est dur, mais ça va. » La seconde explique qu’elle vient de commencer un nouvel emploi.
Depuis deux ans, pendant deux heures, une quinzaine de femmes se réunissent avec l’illustratrice Clémentine du Pontavice et la photographe Louise Oligny. « J’ai rencontré Ghada Hatem-Gantzer [gynécologue obstétricienne à l’origine du projet La Maison des femmes, ndlr] à l’occasion d’un portrait réalisé en commande. Je suis revenue au sein de la structure dans le cadre d’un projet que j’amorçais sur le corps des femmes. J’ai eu la chance d’assister à l’atelier de création de bijoux mené par Clémentine. Nous avons mis nos compétences en commun et nous avons créé un nouvel atelier : “Réparer l’intime” », explique Louise Oligny. « J’ai rencontré Ghada à l’occasion d’une exposition de mes dessins à la Maison des femmes. Nous ne nous sommes pas croisées par hasard avec Louise », complète Clémentine du Pontavice. Avant d’illustrer les notions de féminité, cette dernière a dirigé une entreprise de bijoux durant quinze ans. Une compétence qui complète les deux autres, car la création de bijoux, la photographie et le dessin constituent les trois piliers de l’atelier.
De l’image au moi intérieur
Première étape ? La fabrication. Clémentine du Pontavice sort de sa valise perles, fils et tissus. Des éléments indispensables pour la réalisation de bagues, bracelets, colliers et boucles d’oreilles. Il s’agit là d’un temps précieux et symbolique. Comme des brodeuses, les femmes avancent point par point dans le réapprentissage de la féminité. Le bijou, signe d’union ou de religion, est présent à chaque étape importante de la vie. « Elles réapprennent à utiliser un attribut du féminin et à séduire. Il est important de savoir qu’il est possible de pouvoir séduire sans se faire violer », confie Hélène Mircovich, stagiaire psychologue art-thérapeute, qui suit elle aussi l’atelier. Le 8e art s’invite à la deuxième étape. Les femmes se maquillent, se parent de leurs bijoux, et Louise Oligny tire un rideau noir. Le shooting photo commence. À la séance suivante, la photographe apporte les tirages et les femmes se découvrent. Une étape forte en émotions. « Si la photo fixe les choses, son apparition constitue un grand moment. Il y a un vrai décalage entre l’image et le moi intérieur », constate Hélène Mircovich.
Lors de la troisième et dernière étape, les femmes utilisent leur image et dessinent leur portrait à l’aide d’un calque. « Le temps du dessin réajuste les choses. L’usage du calque permet de faire le lien entre les moments d’inhibition et d’exhibition », constate l’apprentie psychologue. Le processus de création est aussi long que celui de la reconstruction. Une femme sur trois a déjà été victime de violence dans le monde, et 720 millions de filles connaissent des mariages précoces. Ces données, affichées dès la page d’accueil du site internet, sont bien connues à la Maison des femmes, première structure française prenant en charge de façon globale les femmes victimes de violence physique et psychologique. Et c’est contre ces injustices que Ghada Hatem-Gantzer et son équipe luttent au quotidien. Quant à l’atelier « Réparer l’intime », il apporte un souffle, un espoir. En témoignent les effets positifs sur les participantes. « Ici, c’est la vie. Louise et Clémentine font de la thérapie sans être thérapeutes », commente Mathilde Delespine, sage-femme et coordinatrice de l’unité de soins dédiée aux femmes victimes de violence.
Cet article est à retrouver dans son intégralité dans Fisheye #38, en kiosque et disponible ici.
Photographies © Louise Oligny