Patty Carroll face à la claustrophobie domestique

30 novembre 2022   •  
Écrit par Pablo Patarin
Patty Carroll face à la claustrophobie domestique

Sujets insolites ou tendances, faites un break avec notre curiosité. Lumière aujourd’hui sur Patty Carroll, dont les mises en scène aux couleurs intenses et saturées dévoilent l’envers du décor de la vie d’une « femme aux foyer », et déconstruisent le mythe de l’harmonie domestique.

Enseignante au sein de plusieurs universités, Patty Carroll est surtout une photographe américaine reconnue, multi-primée et exposée à l’international, dont la carrière a débuté dès les années 1970. Elle a réalisé, depuis, plusieurs projets documentaires aux thématiques singulières – des stands de hot-dogs aux imitateurs d’Elvis – représentatifs d’une esprit décalé adepte des fusions entre réalité et fiction. Originaire de Chicago, l’artiste s’est expatriée à Londres il y a près de vingt ans. Bien que professeure, elle s’y retrouve considérée comme simple « épouse du recteur et non comme la photographe et enseignante indépendante reconnue aux États-Unis », confie-t-elle, avant de poursuivre : « Nous pensions y rester pour toujours, mais je n’ai tenu que quatre ans. » Un moment décisif dans sa carrière, dont elle décide de se nourrir pour créer. Dans son studio, elle prend pour modèle un mannequin féminin,  doublure et symbole de la femme idéale, et le capture paré de différents objets domestiques venant masquer son identité. C’est ainsi que naît Anonymous Women, un projet qu’elle poursuit aujourd’hui encore, ayant pour ambition de révéler la réalité cachée de la gent féminine.

Dissimuler pour mieux exprimer

Inspirée par les films colorés des années 1950, les natures mortes traditionnelles et les magazines de décoration, Patty Carroll met en scène l’identité des invisibles qui gèrent leur foyer dans l’ombre. Camouflée dans des draperies et autres objets domestiques, la « femme anonyme » apparaît au fil de clichés vivement colorés, instaurant un jeu de cache-cache satirique avec le·a spectateurice. Des images fortement influencées par les intérieurs traditionnels britanniques, utilisant les rideaux comme une métaphore de la fermeture du monde réel et de la charge mentale, trop souvent ignorée, des femmes. « J’ai réalisé d’autres séries depuis, mais le projet Anonymous Women s’est développé au fur et à mesure que je retournais à mes racines et que je reconsidérais la question de ce qu’est un foyer et de son impact sur l’identité d’une personne. »

Une œuvre complète se présentant aujourd’hui en quatre parties. La première dévoile la femme anonyme, épaules dénudées, visage masqué par de la nourriture, des décorations ou des équipements de cuisine. La deuxième la dissimule dans une draperie. Reconstructed entoure ensuite la femme d’une collection abondante, presque étouffante d’objets. Le dernier segment, Domestic Demise présente, enfin, la femme dans sa maison fictive, accablée ou écrasée par ses diverses activités, objets ou situations. « Je crée des tableaux narratifs pour l’appareil photo, basés sur le monde idéalisé de la banlieue où j’ai grandi, où les rideaux de chacun étaient assortis au canapé et où le mythe de la perfection était entretenu. », précise l’artiste, qui reconstruit ainsi un monde fantasmé dissimulant la sombre réalité du quotidien féminin. Et si ses photos représentent « la vie d’une femme blanche d’un certain âge », Patty Carroll a pensé son œuvre comme universelle : « je suis certaine que les femmes d’autres cultures peuvent s’identifier au sujet. Les objets et les espaces de nos maisons peuvent être différents, mais je crois que les femmes vivent souvent des expériences, éprouvent des besoins et des instincts similaires, quels que soient leur âge, leur culture, leur couleur ou leur statut socio-économique », conclut-elle.

 

L’ensemble des photographies sont à retrouver dans deux monographies : Anonymous Women, publiée en 2017 par Daylight Books, et Anonymous Women : Domestic Demise, publié en 2020 aux éditions Aint-Bad.

 

© Patty Carroll

© Patty Carroll

© Patty Carroll

© Patty Carroll

© Patty Carroll

© Patty Carroll

© Patty Carroll

© Patty Carroll

© Patty Carroll

Explorez
Cloud Dancer : 7 séries photo qui arborent la couleur Pantone 2026
© Damien Krisl
Cloud Dancer : 7 séries photo qui arborent la couleur Pantone 2026
Chaque mois de décembre, Pantone dévoile sa couleur pour l’année suivante. Pour 2026, il s’agira de « Cloud Dancer », à savoir une nuance...
Il y a 3 heures   •  
Écrit par Apolline Coëffet
La sélection Instagram #536 : perceptions altérées
© Melchior Dias Santos / Instagram
La sélection Instagram #536 : perceptions altérées
Les artistes de notre sélection Instagram de la semaine s’amusent à déformer leurs images. Ils et elles jouent avec le flou, la...
09 décembre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Les images de la semaine du 1er décembre 2025 : surface et profondeur
© Carla Rossi
Les images de la semaine du 1er décembre 2025 : surface et profondeur
C’est l’heure du récap ! Cette semaine, les photographes publiés sur les pages de Fisheye s’intéressent autant à la surface qu’à la...
07 décembre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
3 livres à offrir à Noël : réel, fiction et mode
Dior par Yuriko Takagi © Yuriko Takagi
3 livres à offrir à Noël : réel, fiction et mode
Noël approche. À cette occasion, la rédaction de Fisheye vous concocte des sélections de ses livres photo préférés, que vous...
05 décembre 2025   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Cloud Dancer : 7 séries photo qui arborent la couleur Pantone 2026
© Damien Krisl
Cloud Dancer : 7 séries photo qui arborent la couleur Pantone 2026
Chaque mois de décembre, Pantone dévoile sa couleur pour l’année suivante. Pour 2026, il s’agira de « Cloud Dancer », à savoir une nuance...
Il y a 3 heures   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Extrême Hôtel : voyage dans l’œuvre intime et colorée de Raymond Depardon
Italie, Sicile, Taormine, 1981 © Raymond Depardon / Magnum Photos
Extrême Hôtel : voyage dans l’œuvre intime et colorée de Raymond Depardon
Après huit mois de travaux pour rénovation, le Pavillon populaire de Montpellier rouvre ses portes. À cette occasion, le musée...
Il y a 8 heures   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Twist : les basculements du regard de Grade Solomon
© Grade Solomon
Twist : les basculements du regard de Grade Solomon
Grâce à l'impression risographie, Grade Solomon raconte les formes de vie et les états d’âme dans ce qu’ils ont de familier et de...
09 décembre 2025   •  
Écrit par Milena III
La sélection Instagram #536 : perceptions altérées
© Melchior Dias Santos / Instagram
La sélection Instagram #536 : perceptions altérées
Les artistes de notre sélection Instagram de la semaine s’amusent à déformer leurs images. Ils et elles jouent avec le flou, la...
09 décembre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger