Paru au courant de l’été aux éditions Isabelle Sauvage, L’Invisible présente les travaux récents de la photographe Juliette Agnel. Réalisé après une résidence dans les monts d’Arrée, cet ouvrage tente de rendre compte des énergies insaisissables des lieux.
« Je suis une photographe monomaniaque. » C’est ainsi que se définit Juliette Agnel. Cette artiste, née en 1973 et diplômée des Beaux-Arts de Paris, a fait des forces insaisissables de la nature un objet de recherche débuté alors qu’elle était encore étudiante. « Pour un cours, explique la photographe, nous devions choisir un objet et le transformer. J’ai choisi un marron, et je me suis appuyée sur le médium photographique pour effectuer cette transformation. Cet exercice m’a amenée à des sensations vives. J’ai eu l’impression de pénétrer l’âme du marron, de saisir l’essence même de son être. C’est un peu le point de départ inconscient des images que je présente aujourd’hui ».
Pour construire le projet qui allait devenir sa série L’Invisible, Juliette Agnel se concentre tout d’abord sur les fougères. Dans une démarche presque scientifique, elle en répertorie les différents aspects jusqu’à aboutir à un épuisement des formes et que la plante révèle ses caractères insaisissables. Mais c’est à l’invitation d’Isabelle Sauvage, éditrice de l’ouvrage, pour une résidence artistique dans l’ancienne poste de Plounéour-Ménez (Finistère), que la photographe a donné une orientation plus large à son projet. « Isabelle souhaitait faire entrer la photographie dans sa résidence. C’est pour cela qu’elle m’a contactée », se souvient-elle.
Les monts d’Arrée, un lieu mystique
Démarre alors une exploration sensorielle dans les monts d’Arrée, un lieu mystique rempli de légendes. Pour réaliser ses clichés, Juliette Agnel explore les profondeurs des forêts qui l’entourent. Mais c’est une nouvelle rencontre qui confèrera à L’invisible la dimension presque mystique qu’il recouvre aujourd’hui. C’est en partant à la rencontre des gens qui font ce terroir unique qu’elle fait la connaissance de Yann Gilbert, géobiologue, dont les mots parcourent l’ouvrage de la photographe. Pour beaucoup, la géobiologie est une pratique obscure. Ce savoir alternatif, proche de la radiesthésie, a pour objet l’étude des rapports de l’évolution cosmique et géologique de la planète avec celle de la matière vivante.
« Dans le travail que je fais, explique Yann Gilbert, il y a vraiment cette idée que le monde est capable de faire énormément de choses. Mais d’un point de vue énergétique, ça a besoin de notre intercession. » C’est donc presque comme un médiateur des énergies que le géobiologue intervient. Ces énergies sont au centre du projet de Juliette Agnel. Dans beaucoup de ses images rien de ces forces impalpables ne paraît, pourtant l’artiste l’affirme, elles sont bien là. Elles fonctionneraient comme un réseau qui recouvrirait la planète. Les monts d’Arrée seraient alors un maillage dense d’énergies sensibles.
Une des portes de l’Enfer
Les mystères qui entourent cet espace se retrouvent dans les contes évoquant les chevaliers de la Table ronde et ces forêts abriteraient une des portes de l’Enfer. Ces croyances ont contribué a façonner le paysage des monts d’Arrée. Les menhirs, dolmens, chapelles, qui peuplent la forêt sont en quelque sorte une représentation concrète de l’invisible qui nous occupe ici. En cela, la masse photographique que représente le travail de Juliette Agnel peut apparaître comme une cartographie des énergies en œuvre, une cartographie que certains pourront penser imaginaire.
Cette tentative de capter l’invisible pourrait ainsi paraître vaine, et la photographe en a bien conscience : « En définitive, mon idée de photographier l’invisible est impossible, nous sommes dans le ressenti pur, loin de la forme telle que nous la concevons. » Cette irréalisable représentation, elle la résume très bien dans un film réalisé en parallèle de L’invisible et dont le titre est révélateur : Je sens avec les mains. Et pour compléter l’expérience, Juliette Agnel présente une partie de cette série et de ses travaux précédents à l’occasion de La Mémoire des Roches, une exposition bien visible jusqu’au 31 décembre à la Galerie L’Imagerie, à Lannion.
L’Invisible, éditions Isabelle Sauvage, 22€, 130 p.
La Mémoire des Roches – Galerie L’Imagerie
Jusqu’au 31 décembre 2020
19 rue Savidan, 22300 Lannion
© Juliette Agnel / Courtesy Galerie Françoise Paviot