Rachel Papo révèle les cicatrices laissées par la dépression post-partum

18 août 2022   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Rachel Papo révèle les cicatrices laissées par la dépression post-partum

Dans It’s been pouring | The dark secret of the first year of motherhood, un ouvrage à l’intimité poignante, la photographe Rachel Papo revient sur ses premiers mois de maternité, obscurcis par la dépression post-partum. Un récit croisant images et témoignages s’imposant comme une lecture nécessaire.

« Les dépressions post-partum toucheraient entre 15% et 30% des femmes (…), mais seulement 5% des mères disent avoir été diagnostiquées ».

Dans un article du Monde, publié en septembre 2021, ces chiffres glaçants mettaient en lumière un sombre constat : l’arrivée d’un nouveau-né dans une famille est souvent cause de souffrances. Et si, depuis quelques années, certaines jeunes mamans osent prendre davantage la parole, se réapproprier leur corps et partager leur douleur, celles-ci demeurent minoritaires, ne parvenant pas à cacher une triste réalité : la société attend des femmes qu’elles s’épanouissent dans la maternité.

Pour Rachel Papo, photographe née en Israël et installée à New York, cette pression insensée doit être remise en question. Dès l’adolescence, l’autrice s’est tournée vers le 8e art pour déverser son besoin créatif. Diplômée de la School of Visual Arts de la Grosse Pomme, elle s’attache depuis à construire des séries intimes, guidées par son intuition. « La surprise et l’incertitude sont des éléments aussi stressants qu’excitants, qui donnent une dimension magique à mes photos. J’ai récemment découvert que je suis meilleure lorsque je peux évoluer −ou “danser” −de manière libre dans un environnement », explique-t-elle.  Et pour y parvenir, l’artiste a besoin d’une attache émotionnelle à ses sujets. D’un ressenti qui la nourrit, la fait frémir et fleurir pour mieux exprimer, en images, les nuances qui éclosent. Alors, naturellement, lorsque la dépression post-partum prend le contrôle de son corps et de son esprit, Rachel Papo se tourne vers la création pour témoigner, et révéler.

© Rachel Papo

Je hais la maternité

« Pour moi, il s’agissait d’un état d’impuissance totale, de déclin psychologique et physique, qui ont mené à une crise identitaire. J’avais peur de sortir de chez moi, je ne me faisais pas confiance. Je culpabilisais, je perdais espoir − l’opposé total de mon moi ordinaire. Mes symptômes incluaient l’anxiété, l’insomnie, la perte d’appétit, les crises de panique, et une peur suffocante »,

raconte la photographe. D’abord concentrée sur sa propre souffrance, point de départ de It’s been pouring, the dark secret of the first year of motherhood, l’autrice s’est ensuite tournée vers les milliers de femmes qui se noyaient elles aussi dans leurs propres angoisses. Comme un phare dans une brume épaisse, le message qu’elle publie sur Facebook devient alors un exutoire. « On m’a répondu assez rapidement, et j’ai commencé à rencontrer et à interviewer ces mères. Elles semblaient soulagées de pouvoir parler. Certaines se sont écroulées en pleurant, car elles n’avaient jamais osé raconter cela à qui que ce soit », confie-t-elle.

Natures mortes étrangement ordonnées, lumières naturelles éclairant le visage poupon de son bébé, assiettes aux décorations enfantines… Sublimés par des tons chauds, nichés dans une tendre douceur, les clichés réalisés par Rachel Papo parviennent toutefois à capturer la beauté. Une recherche de l’esthétisme que l’autrice est parvenue à conserver durant sa dépression. Pourtant, à ces images délicates s’opposent des extraits de journaux intimes, des bribes d’entretiens, des textos assassins qui révèlent avec une honnêteté brute le désarroi dans lequel les femmes sombrent. « Demain, ça fera deux mois que j’échoue à allaiter. J’échoue, pour l’instant, à chaque nouvelle expérience. Je hais la maternité. », « Lorsqu’il pleurait, je le détestais. Ça parait horrible à dire, mais je lui en voulais tellement – que ça me soit arrivé à moi, à mon corps, à mon superbe accouchement aquatique, à ma relation avec mon mari – que je repoussais tout le monde. » « C’était comme si quelqu’un était sans cesse assis de tout son poids sur ma poitrine. » … Au fil des fragments de pensées – les siens comme ceux d’autres jeunes mères – se dessine une définition du post-partum. Une réalité implacable, envahissante, engloutissant les espoirs et les joies des premiers mois. « J’ai, à un moment, voulu ajouter une notion d’espoir, de rédemption à mon livre, mais j’ai finalement décidé de l’enlever. Je souhaitais que les gens qui n’ont jamais vécu cela soient mal à l’aise, qu’ils comprennent que cette maladie mentale nous affecte toutes », précise la photographe. À l’image de Laia Abril – dont les œuvres aussi choquantes que recherchées l’inspirent – Rachel Papo fait de It’s been pouring un carnet d’une sincérité dérangeante. Un recueil de doutes et de malheurs, de poésie éphémère et de mal être palpable, comme un chant ralliant celles qui culpabilisent en silence, celles qui demeurent dans l’ombre, de peur d’obscurcir le portrait radiant diffusé par un monde ignorant.

 

It’s been pouring | The dark secret of the first year of motherhood, Éditions Kehrer Verlag, 48€, 240 p. 

© Rachel Papo© Rachel Papo
© Rachel Papo© Rachel Papo

© Rachel Papo

© Rachel Papo© Rachel Papo
© Rachel Papo© Rachel Papo

© Rachel Papo

© Rachel Papo

Explorez
Les images de la semaine du 17 novembre 2025 : portraits du passé et du présent
I Saw a Tree Bearing Stones in Place of Apples and Pears © Emilia Martin
Les images de la semaine du 17 novembre 2025 : portraits du passé et du présent
C’est l’heure du récap ! Cette semaine, les photographes de Fisheye dépeignent différentes réalités. Certains puisent leur inspiration...
23 novembre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
5 événements photo à découvrir ce week-end
© Sandra Eleta
5 événements photo à découvrir ce week-end
Ça y est, le week-end est là. Si vous prévoyez une sortie culturelle, mais ne savez pas encore où aller, voici cinq événements...
22 novembre 2025   •  
Écrit par Fisheye Magazine
La Galerie Carole Lambert réenchante l'œuvre de Manuel Álvarez Bravo
Petit cheval de Quito © Archivo Manuel Álvarez Bravo
La Galerie Carole Lambert réenchante l’œuvre de Manuel Álvarez Bravo
Jusqu'au 18 décembre 2025, la Galerie Carole Lambert devient l’écueil des 40 tirages d’exception du photographe mexicain Manuel Álvarez...
21 novembre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Emilio Azevedo : En ligne de mire
Rondônia (Comment je suis tombé amoureux d’une ligne), 2023 © Emilio Azevedo
Emilio Azevedo : En ligne de mire
Présentée dans le cadre du festival PhotoSaintGermain et au musée du Quai Branly, l'exposition Rondônia. Comment je suis tombé amoureux...
20 novembre 2025   •  
Écrit par Milena III
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Corps, catch et injonctions : la séance de rattrapage Focus
©Théo Saffroy / Courtesy of Point Éphémère
Corps, catch et injonctions : la séance de rattrapage Focus
Les photographes des épisodes de Focus sélectionnés ici révèlent les corps et dénoncent les injonctions que nous leur collons. Ils et...
26 novembre 2025   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Le 7 à 9 de Chanel : Viviane Sassen, l’ombre comme seconde peau
© Viviane Sassen
Le 7 à 9 de Chanel : Viviane Sassen, l’ombre comme seconde peau
Nouvelle invitée du 7 à 9 de Chanel au Jeu de Paume, Viviane Sassen a déroulé le fil intime et créatif de son œuvre au cours d’une...
25 novembre 2025   •  
Écrit par Cassandre Thomas
La sélection Instagram #534 : film noir
© Lux Corvo / Instagram
La sélection Instagram #534 : film noir
Alors que les jours s’assombrissent et que la nuit domine, les artistes de notre sélection Instagram de la semaine nous plongent dans les...
25 novembre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Dans l’œil de Naïma Lecomte : rendez-vous au bord de l’eau après les cours
© Naïma Lecomte / Planches Contact Festival
Dans l’œil de Naïma Lecomte : rendez-vous au bord de l’eau après les cours
Cette semaine, nous vous plongeons dans l’œil de Naïma Lecomte. Jusqu’au 4 janvier 2026, l’artiste présente Ce qui borde à Planches...
24 novembre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet