Avec England… Les Anglais ont débarqué !, le photographe britannique Robin Maddock signe un portrait fou de son pays d’origine, au lendemain du Brexit. Un ouvrage encyclopédique aux multiples entrées, aussi délirant que captivant.
« Je prends des photos et j’écris sur des choses pour essayer d’illustrer ce qui nous arrive à nous, humains. Généralement, j’utilise ces médiums pour traiter de certains enjeux, mais ces derniers pourraient finalement bien me guider… »,
déclare le Britannique Robin Maddock. C’est durant son enfance, alors que son père lui prête le boîtier familial que l’auteur se découvre une passion pour le 8e art. « Je ne lui ai jamais rendu, et ainsi, les photos de famille ont disparu », ironise-t-il. Comparant sa propre pratique à « une promenade avec un chien, qui décide lui-même du trajet », l’auteur ne s’interdit aucune approche ni aucun appareil photo, et s’intéresse avant tout au sujet. L’objectif ? Trouver le meilleur outil pour le révéler. En résultent des projets abracadabrants, véritables désordres artistiques, où se croisent collages, street photography, portraits, humour, intime, poésie et même abstraction.
Un amalgame créatif qui définit précisément England… Les Anglais ont débarqué !, un livre audacieux imaginé au lendemain du Brexit. « En 2016, j’ai quitté Lisbonne, où j’étais installé, pour retourner dans mon pays d’origine. L’ouvrage reprend des images de mes archives, comme des œuvres plus récentes, inspirées par le contexte politique. Au total, il m’a fallu cinq ans – dont dix-huit mois de retard, à cause de la pandémie – pour le terminer », se souvient Robin Maddock. Et de ce projet volumineux émerge un portrait nuancé du Royaume-Uni, aux multiples strates inspirées par autant d’amour que de frustration, autant d’espoir que de déception. Une représentation brute, folle et colorée du territoire qui a vu grandir le photographe.
Comme tout bon film d’horreur
Car dans England… Les Anglais ont débarqué !, rien ne semble avoir de sens. Les écritures photographiques se suivent et ne se ressemblent pas, l’intime croise le comique, et l’expérimentation le classicisme. Une mosaïque aux maintes influences – parmi elles, Martin Parr, Don McCullin, Deborah Turbeville, Diane Arbus, Luigi Ghirri, Daido Moriyama ou encore Walker Evans – symbolique d’un espace multi-identitaire. « La fluidité – ou plutôt la non-fluidité de la maquette est censée représenter les connexions entre les choses qui ne devraient pas être côte à côte et qui, pourtant, le sont, dans la vraie vie », précise Robin Maddock. Une diversité également influencée par son recul sur la situation : « j’ai grandi à Singapour, j’ai beaucoup voyagé tout au long de ma vie et j’habite désormais en France. J’ai étudié les sciences sociales à l’université, je sais à quel point les sociétés peuvent être différentes. Tout est arbitraire, et pas inévitable », ajoute-t-il.
Mais à ce détachement manifeste s’ajoute néanmoins une colère, face à la bêtise des politiques, qui ont provoqué cette rupture entre le Royaume-Uni et le reste de l’Europe. Définissant lui-même son œuvre comme « une propagande gauchiste », le photographe laisse éclater sa rage à travers la conception artistique. Véritable torrent d’images, le livre capture un éventail d’émotions fortes, un désir impérieux de donner du sens – ou au contraire de le dissoudre entièrement – dans un contexte politique chaotique. Un équilibre fragile que l’artiste parvient à atteindre en usant de l’humour. « Comme dans tout bon film d’horreur, non ? Sans cette justesse, il n’y a plus de crédibilité. Mais les Anglais savent rire d’eux-mêmes », s’amuse-t-il. Et, dans cette effervescence, l’auteur écrit sa propre définition du territoire « un endroit dans lequel je vivais, autrefois, et qui est au bord d’une rupture : avec une union qui nous a empêchés d’entrer en guerre pendant des centaines d’années », explique-t-il. Une rupture qui, à la manière d’un scénario catastrophe, déclenche de sombres événements. « L’utilisation de la technologie, sa relation à notre consommation, et ses dégâts sur l’environnement, notamment », ajoute Robin Maddock. Avec England… Les Anglais ont débarqué !, le photographe propose une histoire, à la fois réaliste et fictive, heureuse et mauvaise. Une histoire venue de ses entrailles, née d’une frustration intense face aux débordements de notre monde contemporain. Et quoi de mieux, pour lui crier son incompréhension, que de la jeter sur les pages d’un ouvrage au charme impertinent, à l’extravagance captivante ?
England… Les Anglais ont débarqué !, Éditions fire/hole, 45£, 248 p. (dont 4 déchirées à la main)
© Robin Maddock