« This is Farewell » : les expériences qui forment l’être

20 février 2023   •  
Écrit par Lou Tsatsas
« This is Farewell » : les expériences qui forment l’être

Dans This is Farewell, Erik Gustafsson multiplie les expérimentations visuelles pour imaginer un récit familial métaphorique porté par un protagoniste cherchant à prendre son envol, pour devenir qui il doit être.

Couleurs vives, monochromes contrastés, étranges archives, expérimentations abstraites… Croisant les écritures et les sensibilités, Erik Gustafsson imagine des narrations non linéaires où s’entrechoquent des fulgurances visuelles et des souvenirs sensibles. Conçus comme des immersions dans l’imaginaire d’un·e inconnu·e, ses projets jouent avec notre mémoire, invitent l’étranger dans le quotidien, le non-familier dans la routine et parviennent à façonner des histoires qui – d’une certaine manière – sont l’écho des nôtres. Né à Uppsala, en Suède, l’artiste de 36 ans s’est tourné vers la photographie après le lycée, alors qu’il déménage à Hawaï. « J’y documentais la culture du surf à l’aide d’un boîtier 4×5 grand format. De retour en Europe, j’ai continué à shooter, et je suis finalement entré à l’Académie d’Art et de Design HDK-Valand de Göteborg où j’ai fait ma licence, puis mon master », se souvient-il. Sa devise, lorsqu’il s’agit de créer ? « Fais d’abord, pense après ». Une démarche intuitive qui le pousse à faire appel à son inconscient, à l’instinct le plus pur pour figer indéfiniment un instant éphémère. Ce n’est que plus tard, lors du développement des images que leurs portées symboliques se révéleront à lui. « L’important est d’essayer d’être le plus ouvert possible », rappelle l’artiste.

Dans This is Farewell, ce goût pour l’inattendu se traduit aussi par l’expérience de la chambre noire. « Il s’agit d’une suite directe du travail avec mon appareil. Je crois que j’apprécie particulièrement la dimension physique du tirage, les traces laissées, la gestuelle, l’imperfection humaine du procédé… Et travailler dans l’obscurité permet de stimuler son imagination », confie Erik Gustafsson. Aux frontières du réel et de l’imaginaire le plus absolu, l’ouvrage emprunte à différents récits, déconstruit des matériaux, des éléments pour former une nouvelle narration s’étirant subtilement entre le vrai monde, et celui des possibles.

© Erik Gustafsson© Erik Gustafsson

Se perdre pour mieux se retrouver

« Je pense que ma relation à mes parents est ma plus grande source d’inspiration pour ce travail. C’est ce qui m’a poussé à assembler toutes ces images : je voulais jouer avec l’idée d’un champ de bataille familial, d’une libération, et d’une renaissance », déclare le photographe. Si ce dernier avoue ne pas connaître de tension particulière au sein de son cercle familial, il souligne néanmoins la nécessité de s’en échapper pour pouvoir prendre son envol, devenir « soi ». Le titre, quant à lui, se charge d’une symbolique puissante alors que la réalisation du projet touche à sa fin : « Mon grand-père est décédé, et le livre est soudain devenu une sorte d’album réconfortant, nous permettant de nous souvenir du passé », conclut l’auteur.

Ratures sombres obturant l’image, trous noirs béants dissimulant le sujet, négatifs brûlés, réactions chimiques envahissant l’image… Au fil des pages, les méandres de pensées d’Erik Gustafsson croisent les recherches plastiques, comme pour faire écho à la fragilité de l’existence. Comme pour souligner notre propre finitude. Passionné par la matérialité même de l’image, l’artiste semble, à travers This is Farewell, faire l’éloge de sa fragilité. Libre à nous, alors, de plonger dans cet univers étrange, où les clichés évoquent des porcelaines brisées, où les souvenirs ne peuvent être qu’en partie évoqués. Parce que les repères s’estompent, et avec eux s’effacent le bon comme le mauvais. Et, dans ce conte chimérique aux nombreuses ramifications, il nous faut errer, nous perdre pour mieux nous retrouver, et apporter aux zones d’ombres une lueur qui nous est propre. Une belle manière de rendre l’intime universel et le révolu atemporel.

 

This is Farewell, Éditions Heavy Books, 50€, 132 p. 

© Erik Gustafsson© Erik Gustafsson
© Erik Gustafsson© Erik Gustafsson

© Erik Gustafsson

© Erik Gustafsson© Erik Gustafsson

© Erik Gustafsson

© Erik Gustafsson© Erik Gustafsson

© Erik Gustafsson

© Erik Gustafsson

Explorez
Les images de la semaine du 28 avril 2025 : rétrospective d’avril
© Sander Coers
Les images de la semaine du 28 avril 2025 : rétrospective d’avril
C’est l’heure du récap ! De nombreux rendez-vous ont rythmé les publications de cette semaine. Les coups de cœur du mois, un nouvel...
04 mai 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Les Rencontres de Niort : la nuit en ébullition des artistes en résidence
Les ballades du corail © Joan Alvado
Les Rencontres de Niort : la nuit en ébullition des artistes en résidence
Depuis 1994, Les Rencontres de la jeune photographie internationale de Niort poursuivent leur volonté d’être un incubateur de création...
03 mai 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Pôle Nord, corgis et plongeuses japonaises : nos coups de cœur photo d’avril 2025
Images issues de Midnight Sun (Collapse Books, 2025) © Aliocha Boi
Pôle Nord, corgis et plongeuses japonaises : nos coups de cœur photo d’avril 2025
Expositions, immersion dans une série, anecdotes, vidéos… Chaque mois, la rédaction de Fisheye revient sur les actualités photo qui l’ont...
30 avril 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Les images de la semaine du 14 avril 2025 : mémoire et conversations
© Louise Desnos
Les images de la semaine du 14 avril 2025 : mémoire et conversations
C’est l’heure du récap ! Récits intimes, histoires personnelles ou collectives, approches de la photographie… Cette semaine, la mémoire...
20 avril 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Nos derniers articles
Voir tous les articles
À la Bourse de commerce, Deana Lawson suscite la réflexion
Bendy, 2019. Pinault Collection. © Deana Lawson / courtesy de l’artiste et de David Kordansky Gallery
À la Bourse de commerce, Deana Lawson suscite la réflexion
Jusqu’au 25 août 2025, la Bourse de commerce, à Paris, accueille la première exposition monographique de Deana Lawson en France. Sur les...
06 mai 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
La sélection Instagram #505 : ce que dit le geste
© axelle.cassini / Instagram
La sélection Instagram #505 : ce que dit le geste
Langage du corps ou outil, le geste dit et produit. Il peut trahir comme démontrer, parfois même performer. Les artistes de notre...
06 mai 2025   •  
Écrit par Lucie Donzelot
Les coups de cœur #542 : Roxane Cassehgari et Kinu Kamura
Me Myself and I © Kinu Kamura
Les coups de cœur #542 : Roxane Cassehgari et Kinu Kamura
Roxane Cassehgari et Kinu Kamura, nos coups de cœur de la semaine, explorent leurs identités multiples et les mémoires de leurs familles....
05 mai 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Les images de la semaine du 28 avril 2025 : rétrospective d’avril
© Sander Coers
Les images de la semaine du 28 avril 2025 : rétrospective d’avril
C’est l’heure du récap ! De nombreux rendez-vous ont rythmé les publications de cette semaine. Les coups de cœur du mois, un nouvel...
04 mai 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet