Dans This is Farewell, Erik Gustafsson multiplie les expérimentations visuelles pour imaginer un récit familial métaphorique porté par un protagoniste cherchant à prendre son envol, pour devenir qui il doit être.
Couleurs vives, monochromes contrastés, étranges archives, expérimentations abstraites… Croisant les écritures et les sensibilités, Erik Gustafsson imagine des narrations non linéaires où s’entrechoquent des fulgurances visuelles et des souvenirs sensibles. Conçus comme des immersions dans l’imaginaire d’un·e inconnu·e, ses projets jouent avec notre mémoire, invitent l’étranger dans le quotidien, le non-familier dans la routine et parviennent à façonner des histoires qui – d’une certaine manière – sont l’écho des nôtres. Né à Uppsala, en Suède, l’artiste de 36 ans s’est tourné vers la photographie après le lycée, alors qu’il déménage à Hawaï. « J’y documentais la culture du surf à l’aide d’un boîtier 4×5 grand format. De retour en Europe, j’ai continué à shooter, et je suis finalement entré à l’Académie d’Art et de Design HDK-Valand de Göteborg où j’ai fait ma licence, puis mon master », se souvient-il. Sa devise, lorsqu’il s’agit de créer ? « Fais d’abord, pense après ». Une démarche intuitive qui le pousse à faire appel à son inconscient, à l’instinct le plus pur pour figer indéfiniment un instant éphémère. Ce n’est que plus tard, lors du développement des images que leurs portées symboliques se révéleront à lui. « L’important est d’essayer d’être le plus ouvert possible », rappelle l’artiste.
Dans This is Farewell, ce goût pour l’inattendu se traduit aussi par l’expérience de la chambre noire. « Il s’agit d’une suite directe du travail avec mon appareil. Je crois que j’apprécie particulièrement la dimension physique du tirage, les traces laissées, la gestuelle, l’imperfection humaine du procédé… Et travailler dans l’obscurité permet de stimuler son imagination », confie Erik Gustafsson. Aux frontières du réel et de l’imaginaire le plus absolu, l’ouvrage emprunte à différents récits, déconstruit des matériaux, des éléments pour former une nouvelle narration s’étirant subtilement entre le vrai monde, et celui des possibles.
Se perdre pour mieux se retrouver
« Je pense que ma relation à mes parents est ma plus grande source d’inspiration pour ce travail. C’est ce qui m’a poussé à assembler toutes ces images : je voulais jouer avec l’idée d’un champ de bataille familial, d’une libération, et d’une renaissance », déclare le photographe. Si ce dernier avoue ne pas connaître de tension particulière au sein de son cercle familial, il souligne néanmoins la nécessité de s’en échapper pour pouvoir prendre son envol, devenir « soi ». Le titre, quant à lui, se charge d’une symbolique puissante alors que la réalisation du projet touche à sa fin : « Mon grand-père est décédé, et le livre est soudain devenu une sorte d’album réconfortant, nous permettant de nous souvenir du passé », conclut l’auteur.
Ratures sombres obturant l’image, trous noirs béants dissimulant le sujet, négatifs brûlés, réactions chimiques envahissant l’image… Au fil des pages, les méandres de pensées d’Erik Gustafsson croisent les recherches plastiques, comme pour faire écho à la fragilité de l’existence. Comme pour souligner notre propre finitude. Passionné par la matérialité même de l’image, l’artiste semble, à travers This is Farewell, faire l’éloge de sa fragilité. Libre à nous, alors, de plonger dans cet univers étrange, où les clichés évoquent des porcelaines brisées, où les souvenirs ne peuvent être qu’en partie évoqués. Parce que les repères s’estompent, et avec eux s’effacent le bon comme le mauvais. Et, dans ce conte chimérique aux nombreuses ramifications, il nous faut errer, nous perdre pour mieux nous retrouver, et apporter aux zones d’ombres une lueur qui nous est propre. Une belle manière de rendre l’intime universel et le révolu atemporel.
This is Farewell, Éditions Heavy Books, 50€, 132 p.
© Erik Gustafsson