10 femmes qui font la photo : Fannie Escoulen

08 novembre 2018   •  
Écrit par Anaïs Viand
10 femmes qui font la photo : Fannie Escoulen

La prise de conscience de la sous-exposition des femmes photographes progresse. Depuis un an, des festivals leur sont dédiés, des magazines, des hors-séries centrés sur cette question (comme celui de Fisheye l’an dernier) sont publiés, et les prises de paroles dans la presse se multiplient. Un mouvement qui s’accompagne d’une plus grande attention portée à la parité hommes/femmes lors des commissions d’achat ou de l’attribution de prix, nous révèlent les curatrices qui s’expriment dans ce dossier. Si le chemin à parcourir est encore long, les choses bougent.

À l’image de Paris Photo et du ministère de la Culture, qui proposent de concert Elles x Paris Photo, un itinéraire pour découvrir une centaine d’images exposées sous la nef du Grand Palais et dans la capitale, toutes signées par des femmes. À l’occasion de la grand-messe de la photo, Fisheye a choisi de réaliser le portrait de dix femmes actrices de la photographie d’aujourd’hui, à différents postes, afin de recueillir leur point de vue sur cette situation en mutation, leurs dernières découvertes, et de bénéficier ainsi de leur regard pour mieux nous orienter dans un automne photographique particulièrement riche.

© Fisheye

Commissaire d’exposition indépendante spécialisée en photographie contemporaine et ex-directrice adjointe du BAL, espace dédié à l’image-document sous toutes ses formes à Paris, Fannie Escoulen signe le parcours Elles x Paris Photo. Cet article est à retrouver dans notre dernier numéro.

« Le parcours Elles x Paris Photo s’inscrit dans la volonté du ministère de la Culture d’instaurer davantage d’égalité et de parité, que ce soit au sein des gouvernances des institutions ou dans leurs programmations »

, explique Fannie Escoulen, choisie pour assurer le commissariat de cet itinéraire qui met en lumière le travail des femmes photographes. Imaginé par Marion Hislen, déléguée à la photographie au sein de la Direction générale de la création artistique du ministère de la Culture, en partenariat avec Paris Photo, ce parcours s’est construit via un appel aux 166 galeries présentes sur la foire parisienne.

Sur les 500 images de femmes photographes récoltées, 100 ont été retenues au final par l’ex-directrice adjointe du BAL, Fannie Escoulen. « Je voulais proposer une vue d’ensemble de la programmation de Paris Photo, tout en isolant les grands mouvements de l’histoire de la photographie à travers le prisme féminin. Je ne souhaitais laisser de côté aucune période, depuis une image emblématique de 1865, signée Julia Margaret Cameron, jusqu’à aujourd’hui. Quelques manques reflètent peut-être un état du marché de la photographie. Par exemple, il y a peu d’images de femmes photographes du XIXe siècle, souvent signées comme anonymes, ou des années 1940-1960. En revanche, je remarque davantage de productions réalisées à partir de 1970. Le marché ne fait que rendre compte de la sous-représentation des femmes dans le milieu de la photographie. Les collectionneurs collectionnent ce qui s’expose, c’est une boucle », conclut-elle.

Si Fannie Escoulen a opéré une sélection chronologique, elle s’est aussi laissé guider par ses coups de cœur. Parmi eux, on compte une des premières femmes photographes « commerciales », Margaret Watkins (1884-1969, Canada), représentée par la galerie Robert Mann, ou Mao Ishikawa (née en 1953, Japon), à la galerie NAP. Cette dernière a réalisé des projets engagés politiquement, sur la condition des femmes japonaises et la ségrégation à Okinawa, entre autres. Fannie Escoulen pointe aussi le travail de Charlotte Abramow sur les îles Féroé, They Love Trampoline, exposé par la Fisheye Gallery à Paris Photo. « J’ai proposé des artistes moins connues, tout en intégrant des grands noms de la photographie, comme Dorothea Lange ou Lisette Model. Je ne suis pas une spécialiste de la question des femmes photographes, mais j’ai adoré me plonger dans cette mission. Je doute d’ailleurs qu’il existe de vrais spécialistes de cette thématique, car il est difficile d’embrasser l’histoire de la photographie féminine sur une période aussi large. »

© Charlotte Abramow

© Charlotte Abramow

Rétablir un ordre des choses plus juste

Convaincue qu’il existe un regard de femme, Fannie explique : « Chaque artiste développe sa propre sensibilité et son rapport au monde, mais on retrouve des thématiques récurrentes chez les femmes photographes : le corps, l’enfance ou l’intime. Elles pratiquent aussi davantage l’autoportrait que les hommes. La femme photographe n’est pas seulement photographe. Elle est femme et exprime sa condition de femme à travers ses œuvres. »

Et justement, le parcours est une façon de puiser au sein d’une large iconographie des images emblématiques de la condition féminine. « J’espère que cette vue d’ensemble incitera d’autres institutions, programmateurs et commissaires à prendre le relais. » Car selon elle, la sous-représentation des femmes photographes n’est que le résultat de l’inaction des institutions. « Il est temps de rétablir un ordre des choses qui soit le plus juste et normal possible. Il ne s’agit pas de questionner le sexe ou le genre, mais d’accorder plus d’attention aux travaux de qualité, quels qu’ils soient. Et d’aller chercher ailleurs que dans ce qui nous est donné à l’intérieur des livres d’histoire de la photographie, souvent écrits au masculin. » Ce sera l’un des sujets abordés le 8 novembre au cours d’une « conversation » intitulée « La femme, cette exception : une sous-représentation du genre dans la photographie ? » et organisée au sein du Grand Palais.

Le parcours Elles x Paris Photo se déploie aussi dans toute la capitale, dans une dizaine de lieux permettant de poursuivre l’exploration de l’histoire féminine de la photographie. Le festival PhotoSaintGermain, le salon Approche, le musée du Jeu de Paume, avec l’exposition Ana Mendieta : le temps et l’histoire me recouvrent, ou encore la Fondation Cartier, avec Géométries Sud, du Mexique à la Terre de Feu, sont autant d’étapes de cet itinéraire. Une publication gratuite sous forme d’abécédaire accompagnera le visiteur, qui pourra ainsi emprunter le parcours imaginé par Fannie Escoulen à travers les milliers d’images exposées sous la nef du Grand Palais et au-delà.

© Fatima Mazmouz

© Fatima Mazmouz

© Wiame Haddad© Lisa Sartorio

 

© à g. Wiame Haddad, à d. Lisa Sartorio

Cet article est à retrouver dans Fisheye #33, en kiosque et disponible ici.

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