Naissance d’une Marée © Marie Thiboumery et Rob Woodcox
Producer : Banana Contemporary, Monica Martínez – Location/Production Partner : Proyectos Publicos – Video Interviews : Gigi Recny – Models : Bihter Palafox, Alessandra De Lliolova, Coi O’meara, Michelle Ekwoge, Karen Paz, Leslie De Los Reyes, Laura Vega, Atiyah McKnight, Candus Hamblin-Smith, Shanika Maria, Emilie Basez, Kate Robberson, Clelia Compas, Andrea Sotelo Bustamante, Lyric Harmony, Marifer Legaspi, Chelsea Kane, Michelle Luisce, Marie Thiboumery, Monica Martínez, San Campuzano, Mitzy Lerma, Gigi Recny, Candi X, Julia Rado, Adeléyde Rose, Anabel Venegas, Pauline Cornet, Anastasiya Ponomareva, Michelle Pound, Valentine Golinelli, Allie Silver, Macarena Palazuelos, Maria Andrea Raujo, Catalina Navarrete, Emma Palem, Tamara Hamdan, Dalia Urzua, Montserrat Villafaña – Breathwork Leader: Regreso A Respirar – BTS Video: Patricia Franco Zamora – Assistants: Rita Guerrero Martínez, Liz Guerrero Martínez, Eduardo Cifuentes, Miguel Campuzano
En découvrant Proyectos Públicos – General Prim, un lieu de culture alternatif à Mexico, le photographe américain Rob Woodcox et la directrice artistique française Marie Thibouméry ont une épiphanie. La peinture en triptyque d’une femme nue, allongée – type Renaissance –, dans une des pièces de l’édifice, les inspire à entreprendre un projet photographique de grande envergure : rassembler des femmes et révéler leur puissance. La série Naissance d’une Marée (Birth of a Tide, en anglais) est présentée pour la première fois à l’occasion du 8 mars, la journée internationale de lutte pour les droits des femmes. Rencontre.
Fisheye : Comment avez-vous bâti ce projet monumental ?
Marie Thibouméry : Proyectos Públicos – General Prim, à Mexico, et en particulier cette pièce où trônait cette peinture colossale d’une femme nue, datant probablement de la Renaissance, a été le point de départ de notre projet. Elle avait cette posture plutôt générique et correspondait aux codes classiques de la représentation du genre féminin. Pourtant, elle dégageait une confiance en elle inébranlable, par son attitude et son regard détaché du public. Rapidement, c’est devenu clair dans notre esprit : nous devions travailler sur la question des femmes et de la libération des corps. Nous avons donc fait venir une cinquantaine de femmes dans l’établissement, le jour de la prise de vue. Des femmes de couleurs, de formes différentes, de communautés multiples – indigènes, queers, transgenres. Puis, nous avons conçu en binôme une mise en scène théâtrale. Le lieu était déjà fort en matière d’architecture, nous ne voulions pas rajouter d’artifice. Nous avons simplement fait le choix d’arranger des fleurs en papiers d’un bleu violet, typiques du Mexique et fabriquées par des Mexicaines. Leur symbolique est notable : elles sont le lien avec la nature, mais révèlent aussi une part de féminité. Leur couleur fait écho au violet des mouvements féministes qui investissent en masse les rues du pays pour protester contre les féminicides.
Rob Woodcox : Je vis à Mexico depuis huit ans et la découverte de General Prim a insufflé une volonté de créer un espace sûr où les femmes peuvent s’exprimer librement à travers leur corps. J’ai tendance à travailler sur le lien entre le corps et la nature. Cette peinture représentait pour moi mère Nature. Elle est devenue la source de cette série photographique, que nous avons pensée avec Marie, en nous inspirant du célèbre film mexicain Les Épices de la passion (1992), qui a pour ouverture une scène assez surréaliste. On y voit une femme enceinte qui perd les eaux et commence le processus d’accouchement. Parce qu’elle était très émotive, on disait que le bébé pleurait déjà dans son ventre. Toutes ces larmes sortaient du corps de sa mère et inondaient la cuisine. J’ai voulu reprendre un peu cette symbolique. Dans Naissance d’une Marée, c’est comme si les femmes que nous photographions se prélassaient dans l’utérus figuré par la salle à la peinture dans laquelle un tapis rouge orne le sol. Puis, elles se mettent à couler, telle une rivière à travers les couloirs et les escaliers du bâtiment pour enfin s’unir dans un océan d’unité autour du balcon. C’est ainsi que nous avons dirigé le mouvement et le flux des poses. C’était véritablement un travail d’équipe.
Naissance d’une Marée © Marie Thiboumery et Rob Woodcox
« Tout le monde était enthousiaste et uni, c’était magique d’observer les couches de pudeurs tomber les unes après les autres, littéralement et métaphoriquement. »
« Rassembler » était le mot d’ordre. Quelle était l’ambiance le jour du shooting ?
Rob : Nous avons rassemblé toutes ces femmes en seulement trois jours (rires). Beaucoup faisaient déjà partie de mon cercle, d’autres étaient ami·es d’ami·es. Notre copine Gigi s’est jointe à nous pour réaliser des interviews filmées. Le jour J, nous avons accueilli nos modèles avec deux séances de méditation et de respiration pour les aider à entrer dans l’exercice de la nudité et du partage. Nous voulions qu’elles soient toutes à l’aise de poser devant la caméra ensemble, dans leur état le plus naturel. Tout le monde était enthousiaste et uni, c’était magique d’observer les couches de pudeurs tomber les unes après les autres, littéralement et métaphoriquement. Au point qu’entre les prises de vue, elles se promenaient complètement émancipées. Pour moi, c’était un moment d’alliance euphorique. Je m’identifie comme non-binaire et je pense que ce projet incarne un pont entre nos communautés. Les femmes et leurs allié·es, ensemble, ériger des environnements où l’on peut être nous-mêmes, où l’on peut dévoiler notre vérité intérieure devant l’appareil photo.
Marie : Au début, il y avait un peu de timidité, c’est vrai, mais la méditation l’a dissipée. Elles sont sorties de ces deux sessions unifiées, bien que sur chaque image, nous percevions leur personnalité, leur individualité, leur identité. Elles riaient entre elles. Aussi, les personnes qui travaillaient pour la séance photo étaient soit des femmes, soit des personnes queers et je pense que cela a contribué à instaurer une certaine aise et un sentiment de sécurité sur le set. J’avais l’impression d’être en famille ou entourée d’ami·es proches, tellement le moment était empreint de générosité – on avait fait des gâteaux et fait venir un traiteur pour nourrir toute l’assemblée.
« Le fait de pouvoir mettre en place cette série pour ces femmes aux multiples parcours, de les dépeindre unies dans l’adversité, dans une sororité forte et tendre à la fois, face à la violence systémique de notre monde, c’est une fierté. »
Après avoir réalisé cette série, comment vous sentez-vous en ce 8 mars ?
Marie : Je me sens pleine d’émotions contradictoires. La question de nos droits est présente au cœur de nos vies quotidiennes et ces derniers sont constamment challengés. Nous devons nous battre encore, autant pour les protéger que pour en acquérir de nouveaux. Ainsi, réaliser Naissance d’une Marée, et d’autant plus à Mexico, revêtait d’une immense symbolique pour moi. C’est un jour qui rassemble toutes les femmes du Mexique, y compris des communautés indigènes qui sont moins représentées dans l’espace public lorsqu’il s’agit de manifester. Or, spécifiquement, à ce moment-là, elles participent aux marches – toute génération confondue. C’est vraiment émouvant. Le fait de pouvoir mettre en place cette série pour ces femmes aux multiples parcours, de les dépeindre unies dans l’adversité, dans une sororité forte et tendre à la fois, face à la violence systémique de notre monde, c’est une fierté.
Rob : Je me suis toujours senti très connecté à ma féminité. J’ai grandi en observant les luttes des femmes à travers la vie de mes sœurs et de ma mère : lorsqu’elles ont leurs menstruations, lorsqu’elles mûrissent, lorsqu’elles fréquentent des hommes, lorsqu’elles vieillissent. Elles doivent faire face à tant de choses dans ce monde. Un monde où leurs droits, dûment acquis, leur sont retirés, notamment aux États-Unis, mon pays d’origine. Et je parle aussi des droits de mes sœurs transgenres et des personnes queers. Un nombre de mes ami·es est directement touché par ces lois diaboliques, souvent mises en œuvre par des hommes. Mais en fin de compte, j’estime que faire communauté crée un phare qui offre une échappatoire à l’individualisme omniprésent de nos sociétés. Cela nous permet de comprendre que d’autres gens vivent la même chose que nous pensions vivre seul·es. Pour moi, le fait d’avoir cette sororité pour cette série était particulièrement important. Je souhaite qu’à travers ce travail, nous puissions engendrer l’espoir pour les femmes de continuer de se rassembler. Car c’est l’unique moyen de poursuivre la lutte contre les forces oppressives.
Naissance d’une Marée a vocation à être exposée dans différents pays à inviter des artistes locaux·ales à s’emparer du sujet.