« Je louai au-dessus d’Honfleur une grande maison poussiéreuse et déglinguée, et m’apprêtais à passer le mois de juillet dans des bains de mer, quand je découvris deux états de faits hélas concomitants : à savoir que la mer était toujours au diable, mais, en revanche, le Casino de Deauville toujours ouvert. »
Dans Avec mon meilleur souvenir, paru en 1984, Françoise Sagan relate une anecdote formidable qu’elle situe en 1960. Alors âgée de 25 ans, elle quitte Saint-Tropez et se rend à Deauville avec deux amis, du 8 juillet au 8 août. « Mes journées ensoleillées furent remplacées par des nuits blanches. » Françoise Sagan passe son temps entre les tapis de jeux et cette vieille maison qui jadis avait appartenu au père de Sacha Guitry; le manoir de Breuil.
Lorsque Marguerite Bornhauser nous raconte cette histoire, elle l’évoque elle-même comme un vieux souvenir. Car c’est ce récit qui a inspiré sa série 8, chiffre fétiche de cette nuit incroyable qu’a vécu Sagan.
La photographe nous explique : « J’étais en résidence de fin d’études dans le cadre du festival Planche(s) Contact de Deauville, organisé par la Fondation Louis Roederer. Je ne connaissais rien de cette ville, à part ce que j’en avais lu dans les livres. » Elle pense notamment à Marguerite Duras ou Marcel Proust. Mais ses recherches la mènent à Sagan, et à ce récit étonnant. Voici comment il se poursuit :
« Le 7 août, veille du jour où je devais rendre la maison et faire un inventaire qui s’avérait compliqué, nous nous rendîmes pour la dernière fois, pensions-nous, dans le gros et blanc Casino […] Vite ruinée au chemin de fer, je me rabattis sur la roulette, et grâce au 8 qui sortit immédiatement et longuement, je me retrouvai (à l’aube) à la tête – c’était en 1960 – de 80000 francs nouveaux. » Lorsque Sagan et ses amis rentrent le 8 au matin, à 8 heures, elle tombe sur le propriétaire qui propose de lui vendre la maison pour… 80000 francs. « Que voulez-vous que je fisse contre tout cela ? »
Entre l’être et le paraître
Presque 60 ans plus tard, Marguerite en tire une série aux images mystérieuses et presque intemporelles. Ses cadrages isolent le sujet et le confine dans son étrangeté : que se cache-t-il derrière le vernis des choses ? Quelle est la frontière entre l’être et la paraître ? Ses questions sont les sujets de prédilection de Marguerite. Un terrain déjà exploité dans sa série Plastic Colors, dont elle a tiré un livre. Tout comme avec 8 : « Je ne fais que de l’auto-édition », précise la jeune femme en feuilletant devant nous son dernier ouvrage.
Elle a composé son récit avec une logique minutieuse, « du jour à la nuit. La dernière photo, c’est l’entrée du Casino », dans lequel elle n’a été autorisée à photographier que pendant une heure. Elle nous fait remarquer « que dans chaque photo se trouve le chiffre 8 ». Pour le voir, il faut donc se concentrer sur l’image et faire abstraction du clinquant des couleurs et du sujet photographié. Il y a une confusion dans tout ceci, comme si le temps est suspendu à travers l’image. D’ailleurs, comme le précise la photographe « le chiffre 8 renversé, c’est une boucle infinie. » Un peu comme l’écho de l’histoire de Sagan dont les vibrations se répandent aujourd’hui jusqu’à nous, grâce à Marguerite.
Propos recueillis par Marie Moglia
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