Jusqu’au 21 avril 2024, la Fondation Beyeler pare ses cimaises des tirages de Jeff Wall dans le cadre d’une rétrospective éponyme. L’évènement se présente comme une occasion de (re)découvrir le grand œuvre d’un acteur phare du 8e art à l’influence pérenne.
Une soudaine bourrasque emporte les feuilles d’un arbre et d’un porte-documents. Des personnes affolées s’affairent pour les récupérer. À quelques pas de là, un jeune garçon est en train de tomber d’une branche. Plus loin, un homme est assis contre un mur de briques. L’une d’elles, entre ses mains, explose. Ces accidents, qui s’apparentent à des moments volés, saisis au bon moment, ou issus de films, ont été immortalisés par Jeff Wall, qui les considère plutôt comme des « tableaux photographiques ». Jusqu’au milieu du printemps, la Fondation Beyeler, située à Bâle, en Suisse, réunit plus d’une cinquantaine d’entre eux à l’occasion d’une rétrospective éponyme. De ses imposantes diapositives montées dans des caissons lumineux à ses tirages au jet d’encre, les œuvres présentées retracent près de cinquante ans de carrière et rappellent, en contrepoint, les multiples influences d’un photographe qui a à son tour inspiré les nouvelles générations.
Une illusion documentaire
Dès les prémices de sa carrière, dans les années 1970, la pratique de Jeff Wall se caractérise par des associations contraires et un entremêlement des arts. Ses diapositives s’approprient ainsi les caissons lumineux, jusque-là réservés à la publicité, et affirment une volonté de s’affranchir des carcans alors en vigueur. Ses compositions, méticuleusement mises en scène, jouent avec le hasard tandis que la fiction se confond avec la réalité. Dans le fond comme dans la forme, cette esthétique emprunte largement à la littérature – notamment à La Comédie humaine d’Honoré de Balzac, aux tableaux parisiens de Charles Baudelaire ou encore à Invisible Man de Ralph Ellison, dont le prologue lui inspirera un tirage –, mais également au cinéma et à la peinture. Ses références à Hokusai, Eugène Delacroix ou Édouard Manet se révèlent plus clairement dans ses œuvres par le biais de détails, à la manière d’un jeu de piste.
L’approche photographique de Jeff Wall s’inscrit dans la recherche d’une illusion documentaire. À l’instar de ses modèles, il dépeint la laideur comme la banalité afin d’interroger notre perception de la réalité. Face à ces instants en suspens, à ces fragments d’histoires dénués de contexte, parfois inconfortables, l’imagination de celui ou celle qui contemple s’éveille. D’autres narrations, nourries de projections qui leur sont propres, se déploient alors au gré des regards. Cette démarche novatrice pour l’époque, à laquelle a grandement participé l’artiste canadien, a ouvert la voie à un genre qui a su perdurer. Pour preuve de sa portée, celui-ci anime aujourd’hui encore un certain nombre de photographes, parmi lequel se comptent notamment Kourtney Roy ou le duo Elsa & Johanna.