À la Fondation Beyeler, Jeff Wall évoque la force des influences

08 février 2024   •  
Écrit par Apolline Coëffet
À la Fondation Beyeler, Jeff Wall évoque la force des influences
Boy falls from tree, 2010, Impression lightjet, 226 x 305,3 cm, Fondation Emanuel Hoffmann, don de la présidente 2012, en dépôt dans la Öffentliche Kunstsammlung Basel © Jeff Wall
Milk, 1984, Diapositive dans caisson lumineux, 187 x 229 cm, Collection FRAC Champagne-Ardenne, Reims © Jeff Wall

Jusqu’au 21 avril 2024, la Fondation Beyeler pare ses cimaises des tirages de Jeff Wall dans le cadre d’une rétrospective éponyme. L’évènement se présente comme une occasion de (re)découvrir le grand œuvre d’un acteur phare du 8e art à l’influence pérenne.

Une soudaine bourrasque emporte les feuilles d’un arbre et d’un porte-documents. Des personnes affolées s’affairent pour les récupérer. À quelques pas de là, un jeune garçon est en train de tomber d’une branche. Plus loin, un homme est assis contre un mur de briques. L’une d’elles, entre ses mains, explose. Ces accidents, qui s’apparentent à des moments volés, saisis au bon moment, ou issus de films, ont été immortalisés par Jeff Wall, qui les considère plutôt comme des « tableaux photographiques ». Jusqu’au milieu du printemps, la Fondation Beyeler, située à Bâle, en Suisse, réunit plus d’une cinquantaine d’entre eux à l’occasion d’une rétrospective éponyme. De ses imposantes diapositives montées dans des caissons lumineux à ses tirages au jet d’encre, les œuvres présentées retracent près de cinquante ans de carrière et rappellent, en contrepoint, les multiples influences d’un photographe qui a à son tour inspiré les nouvelles générations.

A Sudden Gust of Wind (after Hokusai), 1993, Diapositive dans caisson lumineux, 229 x 377 cm, Glenstone Museum, Potomac, Maryland © Jeff Wall
Parent child, 2018, Impression à jet d’encre, 224 x 254 cm, Courtesy of White Cube © Jeff Wall

Une illusion documentaire

Dès les prémices de sa carrière, dans les années 1970, la pratique de Jeff Wall se caractérise par des associations contraires et un entremêlement des arts. Ses diapositives s’approprient ainsi les caissons lumineux, jusque-là réservés à la publicité, et affirment une volonté de s’affranchir des carcans alors en vigueur. Ses compositions, méticuleusement mises en scène, jouent avec le hasard tandis que la fiction se confond avec la réalité. Dans le fond comme dans la forme, cette esthétique emprunte largement à la littérature – notamment à La Comédie humaine d’Honoré de Balzac, aux tableaux parisiens de Charles Baudelaire ou encore à Invisible Man de Ralph Ellison, dont le prologue lui inspirera un tirage –, mais également au cinéma et à la peinture. Ses références à Hokusai, Eugène Delacroix ou Édouard Manet se révèlent plus clairement dans ses œuvres par le biais de détails, à la manière d’un jeu de piste. 

L’approche photographique de Jeff Wall s’inscrit dans la recherche d’une illusion documentaire. À l’instar de ses modèles, il dépeint la laideur comme la banalité afin d’interroger notre perception de la réalité. Face à ces instants en suspens, à ces fragments d’histoires dénués de contexte, parfois inconfortables, l’imagination de celui ou celle qui contemple s’éveille. D’autres narrations, nourries de projections qui leur sont propres, se déploient alors au gré des regards. Cette démarche novatrice pour l’époque, à laquelle a grandement participé l’artiste canadien, a ouvert la voie à un genre qui a su perdurer. Pour preuve de sa portée, celui-ci anime aujourd’hui encore un certain nombre de photographes, parmi lequel se comptent notamment Kourtney Roy ou le duo Elsa & Johanna.

After ‘Invisible Man’ by Ralph Ellison, the Prologue, 1999–2000, Diapositive dans caisson lumineux, 174 x 250,5 cm, Fondation Emanuel Hoffmann, en dépôt dans la Öffentliche Kunstsammlung Basel © Jeff Wall
In front of a nightclub, 2006, Diapositive dans caisson lumineux, 226 x 360,8 cm, Courtesy l’artiste © Jeff Wall
Morning Cleaning, Mies van der Rohe Foundation, Barcelona, 1999, Diapositive dans caisson lumineux, 187 x 351 cm, Kunstsammlung Nordrhein-Westfalen, Düsseldorf. Acheté en 2000 avec le soutien du Ernst von Siemens-Kunstfonds © Jeff Wall
Summer Afternoons, 2013, Deux impressions lightjet ; gauche : 183 x 212,4 cm ; droite : 200 x 250,5 cm, The George Economou Collection © Jeff Wall
Summer Afternoons, 2013, Deux impressions lightjet ; gauche : 183 x 212,4 cm ; droite : 200 x 250,5 cm, The George Economou Collection © Jeff Wall
Overpass, 2001, Diapositive dans caisson lumineux, 214 x 273,5 cm, Fondation Emanuel Hoffmann, en dépôt dans la Öffentliche Kunstsammlung Basel © Jeff Wall
Boxing, 2011, Impression lightjet, 215 x 295 cm, Courtesy l’artiste © Jeff Wall
A Donkey in Blackpool, 1999, Diapositive dans caisson lumineux, 195 x 244 cm, Kunstmuseum Basel, acquisition réalisée grâce au crédit d’acquisition de la Confédération et à une contribution de la Fondation Max Geldner en 2001 © Jeff Wall
À lire aussi
Kourtney Roy enquête sur les mystérieuses disparues de la Route des larmes
Kourtney Roy enquête sur les mystérieuses disparues de la Route des larmes
Depuis plus de quarante ans, des jeunes femmes disparaissent aux abords de la Highway 16, une autoroute canadienne tristement surnommée…
01 février 2023   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Elsa & Johanna : portrait intimiste de Moormerland
© Elsa&Johanna
Elsa & Johanna : portrait intimiste de Moormerland
Après le succès de leur exposition personnelle au Studio de la MEP l’an dernier, Elsa&Johanna sont de retour avec The Timeless Story…
12 août 2023   •  
Écrit par Costanza Spina
Explorez
Raymond Depardon, l’éloge du passage
© Raymond Depardon
Raymond Depardon, l’éloge du passage
La Galerie Magnum présente Raymond Depardon : Passages, une rétrospective visible jusqu'au 26 juillet 2025. À travers une...
18 juin 2025   •  
Écrit par Costanza Spina
Le palmarès du prix Picto de la Mode 2025 : la mode au croisement des enjeux contemporains
Symbiose © Arash Khaksari
Le palmarès du prix Picto de la Mode 2025 : la mode au croisement des enjeux contemporains
À l’occasion de la 27e édition du prix Picto de la Photographie de Mode, la cour du Palais Galliera s’est transformée en un lieu...
16 juin 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Alex Bex révèle la sensibilité des cowboys texans
Intermission (Big Foot, Texas), de la série Memories of Dust © Alex Bex, France, 3rd Place, Professional competition, Documentary Projects, Sony World Photography Awards 2025.
Alex Bex révèle la sensibilité des cowboys texans
Avec sa série Memories of Dust, le photographe franco-texan Alex Bex ébranle les codes de la masculinité dans les ranchs de cowboys au...
13 juin 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
18 séries photo à découvrir aux Rencontres d'Arles 2025
Extrait de Father (Atelier EXB Paris, 2024) © Diana Markosian
18 séries photo à découvrir aux Rencontres d’Arles 2025
Alors que la 56e édition des Rencontres de la photographie d’Arles approche à grands pas, la rédaction de Fisheye vous invite à...
11 juin 2025   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Isabel Muñoz à Portrait(s) : le corps en majesté
© Isabel Muñoz
Isabel Muñoz à Portrait(s) : le corps en majesté
Jusqu'au 28 septembre 2025, le festival Portrait(s) accueille une rétrospective d’Isabel Muñoz, grande figure de la photographie...
20 juin 2025   •  
Écrit par Costanza Spina
23 séries de photographies qui prennent vie en musique
Les membres originaux du groupe Oasis, Japon, 1994 © Dennis Morris
23 séries de photographies qui prennent vie en musique
En ce premier jour de l’été, partout en France, la musique est à l’honneur. À cet effet, nous vous avons sélectionné une série de...
20 juin 2025   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Que reste-t-il après le feu ? : des images, des voix, des actifs
Tour immersive en forêt © Alexandre Dupeyron
Que reste-t-il après le feu ? : des images, des voix, des actifs
À l’écomusée de Marquèze, jusqu’au 28 septembre 2025, l’exposition 600° – La forêt après le feu du collectif LesAssociés, pose une...
19 juin 2025   •  
Écrit par Fabrice Laroche
Archevêché by Fisheye : une 2e édition haute en couleur
© Marie Meister
Archevêché by Fisheye : une 2e édition haute en couleur
Du 7 au 12 juillet 2025, Fisheye investit la cour de l’Archevêché, lieu de rendez-vous incontournable du ()ff des Rencontres d’Arles, au...
19 juin 2025   •  
Écrit par Fisheye Magazine