Dylan Hausthor, là où les papillons veillent et la pluie murmure

23 mai 2025   •  
Écrit par Cassandre Thomas
Dylan Hausthor, là où les papillons veillent et la pluie murmure
© Dylan Hausthor
© Dylan Hausthor

Dans son premier livre, What the Rain Might Bring, Dylan Hausthor capture une Amérique rurale peu connue, peuplée d’ombres, de rites et de visions quasi bibliques. En noir et blanc, au flash ou à l’instinct, il construit un monde d’indices, de croyances et de créatures où chaque image semble chargée d’un présage, comme si la pluie elle-même y dictait ses révélations.

« Je n’arrête pas de parler des anges, je tombe souvent, j’ai vu un faon dans un champ aujourd’hui, et bientôt je serai parent », confie Dylan Hausthor, comme s’il écrivait un haïku sur sa propre existence. Il vit dans une petite ville du Maine, conduit un camion, aime la musique country, n’a jamais mangé de viande, et a créé un curieux objet. Un livre de photographies sans mot, ou presque. What the Rain Might Bring, publié par TBW Books, s’apparente à un grimoire rural, un recueil d’apparitions saisi entre les ténèbres d’une forêt humide et les tremblements de la foi. Les images sont toutes en noir et blanc, traversées par une lumière étrange – principalement celle d’un flash – qui évoque « un souffle mystérieux juste au-dessus de nos yeux ». « J’ai l’impression qu’il s’agit d’une preuve autant que d’un miracle. Peut-être est-ce la preuve d’un miracle », s’interroge l’artiste. Un simple effet technique devient ainsi un geste poétique et mystique. 

L’histoire de cet ouvrage est un collage de fragments, de projets avortés, de visions interrompues dans le cadre d’études supérieures. « Elles exigeaient la réalisation d’un nouveau projet chaque mois et ce rythme effréné de création a donné lieu à de nombreux travaux entamés. Entre autres idées farfelues, j’ai photographié ma famille sous hypnose pendant que j’étais moi-même hypnotisé, j’ai vécu et documenté six communautés religieuses différentes, j’ai réalisé un long métrage sur un éleveur de chèvres et une milice queer voisine », raconte-t-il. De ce chaos fertile naît finalement une structure subtile : sept jours, du crépuscule jusqu’à l’aube, rythmés par la visite d’un papillon de nuit et la construction d’une toile d’araignée à la fenêtre du studio de l’artiste. Une séquence, répétée sept fois, qui insuffle au livre une respiration mystérieuse. « J’ai l’impression que ces images sont pratiquement toutes des paysages. Les espaces dans lesquels je me trouve se sont pleinement imprégnés de ce livre. Je leur en suis très reconnaissant », déclare Dylan Hausthor.

© Dylan Hausthor
© Dylan Hausthor
© Dylan Hausthor

Champignons queers et messes sauvages

Il y a quelque chose de religieux, ou même d’animiste, dans ce livre, une foi trouble, nourrie par les bruissements, les bêtes, les corps, les souvenirs, mais surtout, les nombreuses inspirations de Dylan Hausthor. Parmi elles, le manuscrit de Voynich et le Livre des voyages de Jean de Mandeville, deux ouvrages découverts à la bibliothèque de Beinecke lorsqu’il était étudiant et qu’il n’était pas occupé à faire de la photo. « Des volumes légendaires qui gardent leurs secrets bien gardés. Ils ont eu une grande influence sur la manière dont j’ai orienté mes recherches sur la photographie documentaire contemporaine, en m’éloignant des idées post-journalistiques pour me tourner vers la théorie du “double regard” d’auteurices comme Mark Fisher et Sophie Berrebi. Je suis particulièrement sensible aux artistes et aux écrivain·es qui utilisent le folklore et la foi, non pas comme une source d’inspiration esthétique, mais presque comme des écritures, des modèles de vérité et de pouvoir qui sont très profonds », précise-t-il. Nous comprenons alors que What the Rain Might Bring ne cherche pas à raconter, mais à envoûter. À donner forme à ce qui ne veut pas se dire, ou à ce qui se cache – littéralement – sous la couverture. Car, pour accéder au seul texte imprimé du livre, un petit livret caché dans la garde de la quatrième de couverture, il faut la déchirer. Un acte presque sacrilège pour les puristes des livres d’art. 

L’énigmatique titre du livre, quant à lui, provient du guide d’identification des champignons de David Arora. Une lecture initiatique pour le photographe, surtout pour son introduction sur la mycophobie, cette peur irraisonnée des champignons. À travers cette aversion, Dylan Hausthor a découvert les similitudes terrifiantes avec la queerphobie, explorés par la chercheuse Patricia Ononiwu Kaishian. « J’avais travaillé dans une champignonnière pendant de nombreuses années auparavant et, soudain, tous mes intérêts pour l’histoire, la théorie queer, la recherche photographique, la peur et le mythe ont commencé à se fondre les uns dans les autres », explique l’artiste. Tout d’un coup, tout s’aligne. Le livre se transforme en champignon, il pousse dans l’ombre, il effraie et, surtout, il fascine. Et puis, il y a les anecdotes de shooting qui l’entourent, une chèvre coincée dans des toilettes, un prêtre très ivre, un feu de forêt incontrôlable, une clavicule brisée, assister à quatre baptêmes, tomber amoureux ou encore des lucioles à foison… Autant de souvenirs qui peuvent résumer à eux seuls l’esthétique du photographe. L’invisible prend forme et le minuscule devient mystique. Avec What the Rain Might Bring, Dylan Hausthor n’écrit pas une fable visuelle, il la murmure entre les pages. Comme il le dit lui-même, dans un ultime élan poétique et presque consolant : « Vos anges sont plus proches qu’il n’y paraît. »

© Dylan Hausthor
© Dylan Hausthor
© Dylan Hausthor
© Dylan Hausthor
© Dylan Hausthor
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